Des bulles pour s’évader

Quelques tables collées les unes aux autres, des chaises de jardin en plastique, des consoles de jeu reliées à de vieilles télévisions… La salle de l’atelier BD est, chaque semaine, le point de chute d’une poignée de jeunes aux parcours chaotiques. Des types « blindés, blasés, blessés, bridés » : des mineurs enfermés à la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde). Bast, dessinateur, a été mandaté par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) pour diriger des ateliers « sans obligation de résultat ». Pendant quatre ans, il a animé dans cet établissement des séances ouvertes à quatre ou cinq détenus, tous volontaires et disponibles pour dessiner – « enfin, en principe ». Le SPIP lui demande « de rester neutre, de ne pas participer aux débats et de réserver son sens critique aux seuls dessins réalisés sur place ». Mais également « de créer un climat de confiance, de convivialité et d’échanges avec une population en manque de repères et d’affection ». « Et ça, ben c’est compliqué », commente Bast, dans le roman graphique En chienneté, sous-titré Tentative d’évasion en milieu carcéral, qui retrace son expérience.

Au fil des séances – présentées par chapitres datés –, Bast doit trouver sa place de professeur, devant ces gamins qui jouent aux durs, se vantant parfois de leurs crimes et délits, mais pestant surtout haut et fort quand leur PlayStation est cassée ! Côté dessin, entre celui qui crayonne un plan d’évasion, celui qui ne pense qu’aux images pornographiques et celui qui n’arrive à rien, « shooté aux médocs », Bast comprendra que son rôle est davantage celui d’un « passeur » auprès des jeunes délinquants : le dessin n’est pas une fin en soi, il n’est qu’un prétexte pour « vibrer, rêver, s’émouvoir, se souvenir des bons moments, se viriliser, se valoriser, se construire une autre vie… » Et c’est passionnant. Entre les portraits qu’il fait des détenus (en modifiant leur nom et leur physionomie), l’évolution de son rapport avec ses élèves, la description de la prison elle-même, les réflexions sur l’art et l’analyse de cette expérience qui l’a profondément marqué, le bédéiste glisse des bulles très didactiques sur les établissements pénitentiaires en France. Un voyage inoubliable « de l’autre côté des murs ».