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Renouer avec la réussite

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Educatrice spécialisée, Marie-Ange Lautier intervient au sein du dispositif de réussite éducative créé en 2009 par la mairie de Toulouse. Elle aide les élèves de 4e et de 3e en difficulté au collège à réaliser des stages qui leur permettent de trouver leur voie.

C’est le coup de feu au restaurant Chez Carmen. En toque et veste blanches, Mohamed s’active en cuisine. A 14 ans et demi, le jeune garçon s’ennuyait ferme au collège où il a redoublé sa troisième. « J’allais en cours, mais cela ne m’intéressait pas, avoue-t-il. Par contre, les stages en cuisine, ça me plaît ! » Marie-Ange Lautier, éducatrice spécialisée chargée des collégiens décrocheurs au sein du dispositif de réussite éducative de la mairie de Toulouse, le couve d’un regard bienveillant. Elle accompagne Mohamed depuis la rentrée de septembre, sur demande du conseiller principal d’éducation (CPE) de son collège – un établissement de 500 élèves situé en zone urbaine sensible –, avec l’accord de ses parents. « L’objectif est de confirmer son projet et d’éviter qu’il ne décroche pendant les trois mois qui précèdent son entrée en DIMA [1], accessible à partir de 15 ans », précise-t-elle. Aujourd’hui, elle vient rencontrer l’entreprise et le jeune à la fin du stage d’une semaine pour vérifier que tout s’est bien passé. « Il est timide mais débrouillard et comprend rapidement ce qu’on lui demande, commente Rémi Prizzon, cuisinier, à la fin du service. Il a découvert l’épluchage des légumes, le taillage, le dressage, s’est impliqué dans le nettoyage. Il est assidu, toujours à l’heure et ne rechigne pas à rester au besoin. Ça se voit qu’il a envie ! » Une implication qui n’étonne pas l’éducatrice. « Souvent, en entreprise, je ne les reconnais pas, témoigne-t-elle. L’expression du visage et la posture du corps sont différentes. Ce matin, je cherchais Mohamed dans la cuisine alors qu’il était devant moi, en tenue, le sourire jusqu’aux oreilles ! Quand ils sont en stage, leur comportement est souvent à l’opposé de celui du collège : ils sont ponctuels, intéressés, polis… » Cette scolarité aménagée permet d’éviter l’exclusion et peut aider à remettre le jeune en situation de réussite, alors qu’il était en échec au collège.

UNE FONCTION UN PEU « ÉLECTRON LIBRE »

Marie-Ange Lautier suit un nombre variable d’adolescents : peu en début d’année et de plus en plus au fil des mois et des demandes des 24 collèges de Toulouse (2), présentées lors de réunions des cellules de veille et de réussite éducative (CVRE). L’an dernier, cette éducatrice spécialisée a accompagné au total une trentaine de jeunes de 14 à 16 ans, aussi bien des filles que des garçons. « Etant à temps partiel (25 % de son temps est consacré à la formation), Marie-Ange Lautier peut suivre une quinzaine de jeunes en file active », précise Christine Charbois, responsable du dispositif de réussite éducative de la ville de Toulouse.

A 49 ans, Marie-Ange Lautier, salariée des PEP 31 (lire encadré page 28), a travaillé essentiellement en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique et en prévention en milieu ouvert. C’est cette expérience qui avait intéressé l’inspection d’académie lors de la création de son poste en 2006, déjà en partenariat avec les PEP 31. Elle était alors référente de parcours pour les collégiens décrocheurs et animait une classe-relais sur la découverte du monde du travail et l’aide à l’orientation. Rapidement passée sous la tutelle de la mairie de Toulouse, elle a vu sa fonction ensuite intégrée à ce vaste dispositif mis en place en 2009 par la nouvelle équipe municipale (lire encadré page 29). Marie-Ange Lautier y occupe une place à part, puisqu’elle prend en charge spécifiquement, sur le temps scolaire, les collégiens de 4e et de 3e en risque de décrochage. Un peu « électron libre », elle n’assiste ni aux CVRE, ni aux réunions hebdomadaires des équipes des secteurs de réussite éducative. Mais elle est en connexion avec de très nombreux partenaires : conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation-psychologues des établissements scolaires, coordonnateurs et éducateurs de la réussite éducative, entreprises, professionnels des structures capables d’accueillir les collégiens (classes-relais, DIMA…), parents, etc. « Je n’ai pas de journée type, raconte-t-elle. Je suis sur le terrain de 10 heures à 12 heures et de 14 heures à 17 heures. Je peux commencer par deux ou trois rendez-vous en collège pour entamer ou poursuivre un suivi, rencontrer une entreprise pour présenter un jeune ou faire une visite de stage, avoir un rendez-vous avec un conseiller d’orientation-psychologue ou un CPE qui me sollicite pour faire le point sur un jeune. Entre les deux, je passe des coups de fil, j’envoie des mails pour caler des visites de stages, faire de la prospection sur de nouveaux lieux, mettre en relation collège et entreprise pour les conventions, faire le point sur les suivis avec les coordonnateurs de la réussite éducative et les éducateurs, appeler les parents… J’échange aussi beaucoup de SMS avec les jeunes. »

POUR DES ÉLÈVES EN DÉCROCHAGE « LÉGER »

Au début, en 2006-2007, Marie-Ange Lautier était alertée directement par les collèges. Depuis la mise en place par la mairie du dispositif, elle est saisie par les coordonnateurs « réussite éducative », après passage en CVRE. Ces cellules se réunissent dans chaque collège : environ une fois par mois dans ceux des quartiers « politique de la ville » où les élèves sont le plus en difficulté, un peu moins ailleurs. Coanimées par un responsable de l’Education nationale, le principal ou le CPE du collège et un coordonnateur de la mairie, ces cellules rassemblent un représentant du service médical et du service social scolaire, du centre médico-psychologique, de la Maison de la solidarité (conseil général), un psychologue scolaire et un conseiller d’orientation-psychologue. Christine Montagnier, coordonnatrice « réussite éducative » pour le secteur 6 (Grand Mirail, Toulouse Rive Gauche) et également éducatrice spécialisée, en anime une cinquantaine par an, tous niveaux confondus. « En 2012, nous avons lancé 120 projets de réussite éducative sur le secteur, détaille-t-elle. Beaucoup pour des collégiens et quelques-uns en maternelle et élémentaire, mais leur nombre augmente. »

Lorsque le collège détecte des risques de décrochage chez un élève, en raison de son absentéisme, de problèmes de violence, de désintérêt pour l’école, d’échec scolaire ou de difficultés linguistiques, et après avoir épuisé les dispositifs internes comme les classes de 3e découverte professionnelle, il présente sa situation en CVRE, avec l’accord des parents. « Les élèves en décrochage “léger”, sur lesquels l’institution a encore un peu de prise, qui posent des problèmes à la classe car ils ne font rien mais qui ne présentent pas de difficultés de comportement, peuvent être raccrochés par des ateliers-relais, des classes-relais ou par le dispositif de réussite éducative », pointe Claude Lagrange, CPE du collège Vauquelin. L’idée est de permettre au jeune de respirer, de mûrir son projet et d’être en réussite à travers des stages. « Nous élaborons une proposition en rencontrant la famille, le psychologue scolaire, l’assistante sociale scolaire ou la personne qui a la meilleure relation avec le jeune, détaille Christine Montagnier. Nous essayons de recontextualiser ses difficultés. Avec les plus jeunes, repérés dès l’élémentaire, nous essayons de tisser des liens en organisant des rencontres médiatisées par des sorties culturelles, sportives, des repas… Il est aussi possible de mobiliser l’AFEV [Association de la fondation étudiante pour la ville] pour un accompagnement individualisé par des étudiants. » Quant aux classes-relais, autre solution possible à côté des stages mis en place par Marie-Ange Lautier, elles sont plutôt destinées aux jeunes présentant des problèmes de comportement car elles permettent de travailler aussi sur le respect des règles et des personnes.

Si le stage est considéré comme la solution la plus adaptée pour raccrocher un collégien en voie de décrochage, le coordonnateur de secteur saisit Marie-Ange Lautier. Celle-ci s’occupe des jeunes seule ou en binôme avec un éducateur de la réussite éducative, s’il suit déjà la famille. Elle peut ainsi faire remonter à l’équipe éducative ce qu’elle a observé sur le lieu de stage, comme d’éventuels troubles associés (boulimie, alcoolisation, manque de sommeil, etc.). « L’échec scolaire est souvent la partie émergée de l’iceberg », rappelle-t-elle. L’éducatrice rencontre d’abord le collégien et ses parents dans un lieu neutre puis, quand la prise en charge est en route, dans l’établissement scolaire ou dans la famille s’il est déscolarisé. Le premier entretien porte sur le jeune dans sa globalité, pas seulement sur les volets scolaire et professionnel. « Je dois entrer en relation avec eux et faire en sorte que la confiance s’installe très rapidement, souligne-t-elle, car il s’agit d’un dispositif d’urgence. » De fait, le temps moyen de prise en charge est limité à l’année scolaire, à partir de la décision, plus trois mois au début de l’année suivante si nécessaire.

INSTAURER LA RELATION SANS TARDER

Lors des premières rencontres, Marie-Ange Lautier passe un accord avec le collégien : « Il s’investit dans sa scolarité, respecte les règles de savoir-être, et je lui trouve des stages, indique-t-elle. S’il décroche trop et se déscolarise, je lui dis que j’arrête la prise en charge. » Avec son carnet d’adresses d’entreprises bien fourni, l’éducatrice permet aux jeunes de découvrir les secteurs qui leur plaisent : la cuisine, la coiffure, la mécanique, et même un cabinet d’avocats. Un sésame indispensable pour les familles de ces adolescents, souvent issus de milieux défavorisés. « Pour le stage de troisième, j’ai cherché partout sans trouver, se souvient Mme Yahiaoui, la mère de Mohamed. J’ai passé beaucoup de temps à chercher dans les restaurants, mais pour une semaine, c’est difficile. Certains employeurs demandaient d’acheter la tenue ! Avec Mme Lautier, ça a été plus facile. Ça me rassure de l’avoir. » Pour l’Education nationale aussi, c’est une opportunité de disposer d’une personne qui puisse accompagner les collégiens : « On travaille sur le pourquoi de la difficulté scolaire, sur le projet d’orientation, on peut identifier des entreprises pour des stages, mais on n’accompagne pas le jeune jusqu’à l’employeur, souligne Carole Escande, conseillère d’orientation-psychologue à Toulouse, qui travaille depuis quatre ans avec l’éducatrice. Nous restons dans l’enceinte du collège alors que la réussite éducative se fait à l’extérieur. »

Marie-Ange Lautier s’occupe de deux types de jeunes : ceux qui savent déjà quelle branche professionnelle les intéresse (environ 80 %) et ceux qui n’en ont aucune idée. « Avec ceux qui sont décidés, je travaille la motivation, les représentations, je vérifie si leur choix est réaliste par rapport à leurs résultats. Je leur décris le métier s’ils l’ont déjà choisi. A Mohamed, par exemple, qui veut être cuisinier, je parle des différents lieux d’activité : en collectivité, en cafétéria ou en restaurant gastronomique. » Avec les moins décidés, plusieurs rendez-vous sont nécessaires. « Je leur projette des DVD sur les différents secteurs professionnels, je leur fais passer des tests sur les pôles d’intérêt jusqu’à trouver une idée, je leur montre des fiches métiers, des revues de l’Onisep. Je propose ensuite des stages pour affiner le projet : au moins un par trimestre, l’idéal étant que le quatrième puisse asseoir le projet. » Un travail réalisé après un bilan effectué par un conseiller d’orientation-psychologue.

En relation avec une trentaine d’entreprises, l’éducatrice s’est construit son réseau peu à peu : « Je travaille depuis 2006 avec la Fondation Agir contre l’exclusion [3]. Un chargé de mission m’a ouvert son carnet d’adresses d’entreprises que je fidélise progressivement. » Elle a aussi démarché par elle-même. « Je suis devenue un peu “commerciale”, s’amuse-t-elle. Mais je n’emploie jamais le terme de “décrocheur” en entreprise car c’est trop connoté “cas social”. Je présente plutôt les jeunes comme des élèves à qui la scolarité ne convient plus et qui veulent découvrir le milieu du travail. » Dernièrement, l’éducatrice a ainsi réussi à trouver un stage dans un cabinet d’avocats pour une jeune fille, grâce à un éducateur membre de la Ligue des droits de l’Homme. Ce stage a incité la collégienne à s’accrocher pour passer en 2de. Un cas qui reste rare, la plupart des décrocheurs ne reprenant pas d’études longues.

TRÈS PEU DE JEUNES SANS SOLUTION À LA SORTIE

Marie-Ange Lautier fait aussi appel à des partenaires du monde éducatif. « Il y a deux ans, Mme Lautier m’a présenté Memet, un jeune Turc qui avait besoin d’une école pas comme les autres, se souvient Catherine Benoiton, coordinatrice de l’école de production de l’Institut catholique des arts et métiers (ICAM) et également éducatrice spécialisée. Or nous sommes une école de production qui fonctionne comme une entreprise, avec des clients qui nous demandent des pièces en tournage, fraisage ou mécanique de précision. » Les 30 élèves passent deux jours en cours et trois en atelier, avec un recrutement fondé sur la motivation, sans critère de niveau. « Certains ont décroché en 5e ou en 3e, d’autres ont fait un bac pro, raconte la coordinatrice. Les jeunes peuvent faire un stage de découverte d’un ou deux jours, puis de quinze jours avant de rentrer dans notre école. » Sur les trois élèves décrocheurs proposés cette année par Marie-Ange Lautier, un est resté. De son côté, Memet va passer en juin son CAP de conduite des systèmes industriels et sans doute trouver un emploi comme opérateur-régleur sur machine numérique, car le secteur est porteur.

Au total, très peu de jeunes suivis par Marie-Ange Lautier restent sans solution à la sortie du dispositif. Pour l’année scolaire précédente, 60 % d’entre eux ont intégré un DIMA, 30 % ont entamé une formation en CAP (en apprentissage ou non) et 10 % sont passés en 2de générale.

Les PEP 31

L’association des PEP 31 dépend du réseau national des pupilles de l’éducation publique. Dans la Haute-Garonne, elle mène deux types d’actions : dans les domaines de l’éducation et des loisirs, avec notamment la réussite éducative et un espace d’accueil d’élèves nouvellement arrivés en France ; et dans le secteur social et médico-social, avec la gestion de cinq établissements (un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, un foyer d’accueil médicalisé, deux services d’éducation spécialisée et de soins à domicile et un institut médico-éducatif).

RÉUSSITE ÉDUCATIVE Un engagement volontaire

Le dispositif de réussite éducative de la ville de Toulouse se veut complémentaire des dispositifs de droit commun gérés par l’Education nationale et le conseil général, et coconstruit avec la famille. « On ne travaille pas sur un mandat contraignant de type justice, mais à partir d’une volonté du jeune et de sa famille, souligne Christine Charbois, responsable du dispositif. S’il ne souhaite pas s’impliquer et la famille se mobiliser, il ne se passera rien. » Le dispositif s’adresse aux enfants de 2 à 16 ans et suit environ 500 jeunes par an. Il emploie une trentaine de professionnels répartis en six secteurs géographiques, avec cinq coordonnateurs et cinq équipes, comprenant chacune deux ou trois éducateurs spécialisés, un éducateur de jeunes enfants et un psychologue.

Notes

(1) Les dispositifs d’initiation aux métiers par alternance (DIMA) accueillent 18 à 20 élèves à partir de 15 ans dans des centres de formation des apprentis, des lycées professionnels ou des maisons familiales et rurales. Il en existe six dans la Haute-Garonne (quatre à Toulouse, un à Muret et un à Saint-Gaudens). Les jeunes y font trois ou quatre stages dans l’année pour confirmer leur projet professionnel.

(2) Toulouse compte 27 collèges, mais les trois du centre-ville, accueillant un public plus favorisé, ne font pas ou peu appel au dispositif de réussite éducative mis en place par la mairie.

(3) La Fondation Agir contre l’exclusion (FACE) a été créée en 1993 par 15 grandes sociétés et vise à favoriser la diversité culturelle en entreprise. Elle agit pour l’insertion professionnelle et lutte contre les discriminations.

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