La solidarité, une valeur en baisse ? C’est en tout cas ce que tendent à montrer les résultats du sondage réalisé par le CSA pour l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) – à l’occasion de son congrès de Lille, du 23 au 25 janvier (1) – et la MACIF. Alors qu’une majorité de Français craint d’être un jour confrontée à la précarité, la solidarité n’intervient qu’au huitième rang des valeurs citées, loin derrière la famille ou la justice. Et si l’organisation de la solidarité divise l’opinion, plus de la moitié des Français estime qu’elle doit profiter en priorité à certains publics, selon des besoins perçus comme urgents.
Si, comme tous les sondages, ces résultats sont à manier avec prudence, ils témoignent d’une évolution. La solidarité prend désormais des contours « assistanciels et devient une valeur morale », a commenté Robert Lafore, professeur de droit public à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et président du conseil de prospective de l’Uniopss (2), au contraire des principes qui défendent l’interdépendance des membres d’une même société dans laquelle chacun trouve sa place. Cependant, « le versant assistanciel, souligne-t-il, ne prend sens qu’à condition de le connecter à une politique de protection sociale », laquelle est structurée autour de droits et obligations.
Or les devoirs tendent à prendre le pas sur les droits. Au nom de l’activation des dépenses sociales (sur ce sujet, voir aussi ce numéro, page 34), qui « rend les individus responsables de leur sort au détriment de la responsabilité de la puissance publique d’assurer un minimum de solidarité, une confusion tend à s’instituer entre assistance et assistanat, avec de plus en plus d’insistance depuis une vingtaine d’années », a souligné le sociologue Robert Castel (3). La création du RSA (revenu de solidarité active), 20 ans après le RMI, « n’est qu’une version de ce glissement » qui contribue « à stigmatiser les pratiques d’assistance et leurs bénéficiaires ».
Avec quels résultats ? Guillaume Allègre, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques, démontre comment le renforcement des incitations au travail s’est développé au détriment des politiques de redistribution. En tenant compte de l’évolution des dépenses de la prime pour l’emploi (PPE) et du RSA activité, « on assiste à une baisse globale des prestations aux travailleurs pauvres, passées de 4,5 milliards en 2007 à 4 milliards en 2013 », explique-t-il. Et en 25 ans, le montant du RMI-RSA a considérablement décroché par rapport au SMIC. Le renforcement des politiques de lutte contre les « trappes à inactivité » ne seraient en outre justifiées, selon lui, qu’à trois conditions. La première : des incitations financières initialement faibles. Ce qui n’était pas le cas avec la PPE pour les emplois à plein temps. La deuxième : que le niveau des incitations soit déterminant. Or « les études montrent que les hommes et les femmes sans enfant acceptent des emplois même lorsque les incitations sont faibles ». Le taux élevé de non-recours invalide en outre cette hypothèse. Troisième condition : l’existence de postes à pourvoir quand les publics augmentent leurs efforts de recherche, ce qui est loin d’être le cas au vu du taux élevé de chômage. Au total, estime Guillaume Allègre, « le renforcement des incitations au travail par la baisse des revenus d’assistance n’a pas de réelle justification économique autre que de réaliser des économies budgétaires aux dépens de la lutte contre la pauvreté ». Parmi ses préconisations : réévaluer le RSA socle à 50 % du SMIC et réduire en contrepartie le cumul avec les revenus d’activité.
Ce qui rejoint l’idée de Robert Castel de défendre « une conception forte de l’assistance, au nom d’une conception forte de la solidarité, avec un socle de droits inconditionnels ». Mais, tempère-t-il, « inconditionnalité ne veut pas dire qu’il n’est pas bon de solliciter les personnes aidées pour les faire collaborer à leur projet ». La participation des publics à leur projet d’insertion, insiste Bruno Grouès, conseiller technique à l’Uniopss, est sans nul doute la voie à explorer pour concilier droits et réciprocité, dans une perspective de parcours vers l’autonomie.
(1) Voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 22.
(2) Lors d’une intervention au congrès.
(3) Lors d’un atelier sur « assistanat, assistance, activation, droits et devoirs, contreparties… Faut-il changer le système ? ».