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Une pause dans la relation

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Dans la petite ville de Marvejols, en Lozère, est implanté un établissement d’accueil temporaire et d’urgence, la Maison des sources. Ce lieu de répit permet aux aidants, proches ou professionnels, comme à la personne handicapée de reprendre leur souffle.

Un mercredi matin tranquille, à la Maison des sources. Un résident est en pleine discussion avec sa mandataire judiciaire, qui recherche une solution d’hébergement autre que la famille d’accueil avec laquelle il ne souhaite plus vivre. Dans la chambre voisine, une jeune femme arrange ses nombreuses peluches sur son lit soigneusement fait. A l’étage supérieur, quelques résidents s’essaient au « bao-pao », un instrument permettant de faire de la musique à partir d’un laser, d’une baguette et d’un ordinateur. L’exercice n’est pas simple, il faut ajuster le rythme du geste au morceau choisi, mais, accompagnés par une monitrice-éducatrice et une aide médico-psychologique (AMP), tous semblent prendre du plaisir à jouer ainsi avec le rayon sonore. Plus loin, au deuxième étage, dans une pièce bien isolée, Yves Oddoux bénéficie d’une séance de relaxation dans la salle Snoezelen, au cœur d’un jeu de lumière et de son spécifique à cette méthode de stimulation sensorielle.

LA POSSIBILITÉ D’UN ACCUEIL EN URGENCE

Installée à Marvejols – l’ancienne capitale du Gévaudan –, la Maison des sources (1) est un établissement d’accueil temporaire et d’urgence (EATU) créé en avril 2010 par l’association Le Clos du Nid (2). En plein cœur de la Lozère – l’un des départements les moins peuplés de France, mais l’un des plus riches en institutions médico-sociales –, elle propose 24 places à des personnes présentant un handicap moteur ou psychique pour un séjour de répit, de convalescence ou d’évaluation de la capacité à vivre en collectivité. « Nous sommes surtout utilisés comme soutien aux aidants, résume Isabelle Buisson, directrice de la Maison des sources. Qu’il s’agisse de professionnels ou de la famille, tous ont besoin de faire une pause dans la relation à un moment ou à un autre. » Certaines institutions recourent également à l’établissement lorsqu’elles ferment leurs portes le temps des vacances. Et l’accueil en urgence y est également possible, au cas par cas. « L’année dernière, par exemple, nous avons reçu sept jeunes adultes qui venaient d’un établissement fermé par l’agence régionale de santé, rapporte Virginie Boissonnade, cadre de santé. L’agence nous a également contactés dans une situation où l’aidant était vraiment à bout de force. Et puis il arrive aussi, pour une personne vivant à domicile, que l’aidant tombe malade et doive être hospitalisé. Nous pouvons alors accueillir la personne. »

Les résidents sont originaires de la France entière, mais la plupart viennent du quart sud-est. « Le transport jusqu’à notre établissement n’étant pas pris en charge par la sécu, cela limite forcément notre attractivité », reconnaît Isabelle Buisson. Une autre limite réside dans le prix de journée de l’institution : entre 140 et 166 €. « Il nous faut parfois convaincre les responsables des conseils généraux ou des MDPH [maisons départementales des personnes handicapées] que l’accueil temporaire est un droit pour la personne handicapée, ajoute Sandrine Fages, assistante sociale. Cela fait partie de mes missions. » Actuellement, 60 % des séjours sont financés par l’aide sociale et 37 % bénéficient d’une convention signée avec l’établissement d’origine pour que leur prix de journée soit reversé à la Maison des sources. « Les quelque 3 % restants sont financés par les personnes elles-mêmes ou leurs proches, complète Virginie Boissonnade. Sauf pour les résidents en maison d’accueil spécialisée, qui bénéficient d’un accueil gratuit chez nous. »

UN TEMPS DE PRISE EN CHARGE MODELABLE

Chacun des résidents de l’institution doit obtenir une notification de la MDPH de son lieu d’habitation pour bénéficier d’un séjour à la Maison des sources. En cas d’urgence, cette dernière a deux semaines après l’admission pour obtenir ce sésame. La notification délivrée autorise une prise en charge maximale de trois mois, tous établissements confondus. « Si la personne a bénéficié d’un séjour dans un autre établissement au préalable, le temps passé sera donc déduit, précise Virginie Boissonnade. Mais nous proposons de plus en plus souvent une prise en charge fractionnée. La personne passe chez nous une semaine ou quinze jours tous les deux mois, par exemple. Changer d’environnement, se distancier, expérimenter d’autres formes d’accueil et d’accompagnement, cela permet de retrouver son chez-soi avec plaisir et de reprendre souffle. » En 2011, environ un tiers des 109 usagers accueillis a recouru à cet accueil fractionné.

Chaque mercredi après-midi, la commission d’admission se réunit à l’initiative de la direction, regroupant le cadre de santé, l’assistante de service social, la psychologue, le psychiatre et le médecin de la Maison des sources. Les seuls critères stricts de refus sont liés à l’âge (la structure n’accueille pas de mineurs), à la présence d’une pathologie psychique non stabilisée ou bien à un état de santé nécessitant des soins nocturnes ou particulièrement techniques. « La vocation de notre établissement n’est pas le soin, tient à préciser Isabelle Buisson, et nous n’avons pas d’infirmière la nuit ni le week-end sur le site. » Les dossiers sont préparés par Sandrine Fages. « C’est la plus grosse partie de mon activité. Réunir tous les éléments administratifs, sociaux, éducatifs, mais aussi individuels qui nous fourniront un maximum d’informations sur la personne, ses besoins, ses habitudes. Car une fois qu’elle sera là, on devra être réactifs très vite et lui apporter le bien-être dont elle a besoin rapidement. » Ces éléments aideront également l’équipe à composer des groupes harmonieux, à équilibrer la charge de travail globale en fonction des exigences spécifiques à chaque usager, à statuer sur la durée et la date de début du séjour. « Pour une première fois, nous allons proposer peut-être trois semaines ou un mois, pour que la personne puisse se faire une idée assez complète de ce qu’offre notre établissement et que nous apprenions à nous connaître », explique Virginie Boissonnade.

Lorsque c’est possible, une visite des lieux préalable est proposée aux candidats qui vivent à proximité ou qui peuvent se déplacer. « Cela permet un premier échange, souligne Isabelle Buisson. Pour les personnes qui viennent de leur domicile, cela peut leur donner une idée de ce qu’est la vie en collectivité. » Cette visite est aussi, pour les familles, l’occasion de dédramatiser le séjour. « Je ressentais une culpabilité à me détacher de l’accompagnement d’Yves », se souvient ainsi Fernande Oddoux. Son beau-frère, âgé d’une soixantaine d’années, est entré à la Maison des sources pour un séjour de convalescence à la suite d’une intervention chirurgicale à la main. « Il vit seul habituellement, mais dans une maison à côté de la nôtre. Mon mari et moi sommes toujours là pour lui, poursuit Fernande Oddoux. Alors nous avons eu besoin de voir comment c’était, de voir comment il réagissait ici. Je voulais sentir qu’il serait bien. »

SOLLICITER LES GOÛTS ET LES ENVIES

L’établissement est installé dans les locaux d’une ancienne clinique privée, réhabilitée. Sur trois étages, chaque unité regroupe huit chambres individuelles et deux salles de bains collectives. Toutes les chambres possèdent un lavabo, et certaines également une douche. A chaque niveau, les parties communes comprennent une cuisine-salle à manger, un salon et une ou deux salles d’activités. Dans l’une d’elles, des vélos d’appartement et une table de ping-pong sont à disposition. Dans une autre, toute une collection de jeux de société… Dès son entrée, chaque usager est sollicité sur ses goûts et ses envies. « Nous privilégions les activités de découverte du département, avec les parcs animaliers, les promenades, mais nous devons en permanence nous adapter à chacun d’entre eux, à leurs goûts, à leurs aptitudes et compétences », précise Ludovic Bringer, AMP. L’accompagnement des usagers est en effet très individualisé. Chacun peut prendre son temps au lever et au petit déjeuner, ou apporter des objets qui lui permettront de personnaliser sa chambre. Les professionnels les accompagnent dans les actes de la vie quotidienne favorisant les acquis, mobilisant les capacités et respectant les choix et le rythme de chacun. « Nous prenons toujours garde à ne pas bousculer leurs habitudes », note Evelyne Quentin, monitrice-éducatrice. L’établissement offre de nombreux loisirs, comme la salle de musique « bao-pao », des cours de danse ou diverses activités ludiques. Sans compter des sorties touristiques dans la région. Un spa adapté aux personnes handicapées est même accessible, grâce à un partenariat avec un établissement médico-social proche. Le séjour à la Maison des sources est d’ailleurs souvent présenté aux familles comme des vacances, avec pour conséquence des pics très nets de fréquentation en juillet-août et en décembre. « Des personnes se sont rencontrées ici, sont devenues amies et se donnent rendez-vous pour un prochain séjour », confie Virginie Boissonnade.

L’équipe de chacune des trois unités est composée d’un moniteur-éducateur, de trois AMP et de deux aides-soignants, qui ne font pour l’instant pas beaucoup de différences dans leurs rôles auprès du patient. « Nous participons aux toilettes, accompagnons les activités, observons leurs aptitudes et leur évolution au cours du séjour ensemble », détaille Ludovic Bringer. L’établissement étant récent, une partie des équipes n’a été recrutée que l’année dernière pour préparer l’ouverture progressive des places. « Nous sommes encore en train de travailler sur les fiches de postes, poursuit Ludovic. Peut-être pourra-t-on différencier un peu les interventions de chacun. » Pour Isabelle Buisson, il serait en effet souhaitable de développer davantage le rôle du professionnel référent : « Il faudrait qu’il devienne un véritable garant du projet de séjour, qu’il développe d’autres compétences, mais sans s’approprier la personne. » En outre, la nuit, un surveillant et un aide-soignant assurent une présence pour l’ensemble des unités. Et, en semaine, un kinésithérapeute propose également des soins de rééducation.

Le lien avec les lieux de vie habituels des personnes accueillies, institutions ou familles, est maintenu autant que possible. « Nous avons besoin de ces contacts pour bien connaître la personne accueillie, justifie Evelyne Quentin, car parfois elle ne nous dit pas tout ce dont elle a besoin. » Certaines institutions préfèrent ne pas trop communiquer pendant le séjour avec les éducateurs ou les personnels de soin de la Maison. « Elles peuvent être en attente d’un nouveau regard sur la personne, alors elles ne nous disent pas tout de ses petites habitudes, note Magaly Almeras, aide-soignante. Et parfois ce n’est pas plus mal. Certaines personnes sont décrites comme étant dans des situations de conflit ou d’opposition dans leur institution. Mais lorsqu’elles arrivent chez nous, on les découvre toujours prêtes à participer à ce qu’on propose. »

A l’accueil, chaque résident présente un projet et des objectifs de séjour qu’il a rédigés seul, avec ses proches ou dans le cadre de son établissement habituel. « Sur des courts séjours, il est toutefois difficile de se fixer des objectifs éducatifs », nuance Evelyne Quentin. Mais pour certains, qui resteront deux ou trois mois, le passage à la Maison des sources constitue un sas avant l’orientation vers un nouveau mode d’hébergement. « Nous avons, par exemple, en ce moment un patient de psychiatrie, indique Sandrine Fages. L’équipe de l’hôpital où il vit habituellement aimerait évaluer s’il peut intégrer un établissement médico-social. » Toute l’équipe participe alors à l’observation du patient et à l’évaluation du séjour. A la fin de celui-ci, un rapport est rédigé, avec l’accord de la personne accueillie, puis transmis aux aidants familiaux ou aux équipes lorsqu’ils retrouvent l’usager. « C’est un petit bilan qui peut attirer notre attention sur certains points à travailler, remarque Sylvie Richard, animatrice sociale et éducatrice dans un service d’accompagnement à la vie sociale de l’APF. C’est très intéressant et très riche, car l’équipe de la Maison des sources est présente en permanence auprès de notre usager. »

UNE NOTORIÉTÉ À DÉVELOPPER

Dans ce dispositif, l’assistante sociale occupe un rôle central. « Même si ma fonction n’est pas de gérer ou de préparer les orientations de sortie, je suis toujours là pour faire des propositions à des personnes accueillies qui ne sont pas bien informées du dispositif médico-social existant, souligne Sandrine Fages. C’est plus souvent le cas des personnes qui vivent à domicile, dont un certain nombre ne bénéficient d’aucun suivi social régulier. » L’établissement s’adresse également aux aidants qui prennent soin des usagers au quotidien. « Je peux les inciter à solliciter des prestations qu’ils ne connaissent pas, poursuit l’assistante de service social. Dans les situations où les familles sont vraiment démunies, je peux m’impliquer davantage et intervenir auprès de la MDPH pour avoir une plus ample connaissance de l’état de leur dossier, rédiger ce qui est nécessaire pour faire réévaluer des droits, etc. »

Autorisée à titre expérimental pour quinze ans, la Maison des sources doit procéder au printemps prochain à l’évaluation de ses trois premières années de fonctionnement. Pour l’heure, elle ne tourne pas à plein régime. Ouverte 365 jours par an, son taux d’activité en 2012 se situe autour de 50 % « Au bout de deux ans et demi d’existence, et par rapport aux autres établissements d’accueil temporaire et d’urgence, c’est tout à fait honorable », estime Isabelle Buisson. La troisième unité, celle du deuxième étage, n’est donc ouverte qu’exceptionnellement, entre autres lors des périodes de vacances. « A ce moment-là, nous recrutons du personnel temporaire pour compléter l’équipe », précise la directrice. Encore jeune, l’établissement a besoin de développer ses contacts. « Beaucoup de conseils généraux ne voient pas encore très bien l’intérêt de l’accueil temporaire. Pourtant, nous sommes un mode d’accueil innovant, qui permet clairement d’encourager le maintien à domicile. » Pour mieux se faire connaître, la Maison des sources a donc chargé son assistante de service social d’assurer sa « promotion ». « Je m’occupe de développer mon réseau, d’envoyer des plaquettes aux institutions qui pourraient être intéressées, de participer à des réunions ou à des colloques où l’on peut mettre en avant ce type de séjour, explique celle-ci. Je commence d’ailleurs à avoir un carnet d’adresses important. »

Compte tenu du nombre important de personnes accueillies sollicitant un nouveau séjour, l’équipe se montre plutôt satisfaite. « Si les personnes reviennent, c’est positif, se réjouit Magaly Almeras. Les familles aussi nous font des compliments. » Les seuls retours négatifs sont liés à l’adaptation à la vie en institution ou au mélange des divers types de handicap. « Il a pu arriver qu’une personne présentant un handicap moteur ne se sente pas à l’aise dans un groupe où le handicap psychique prédomine », reconnaît Sylvie Richard, qui a déjà orienté plusieurs de ses bénéficiaires à la Maison des sources. En effet, 48 % des personnes accueillies dans la structure présentent un handicap psychique, quel que soit leur degré d’autonomie. Yves Oddoux, lui, a déjà prévu un deuxième séjour dans l’établissement, puisqu’il doit également se faire opérer l’autre main. « La vie est belle ici, moi je n’ai aucun problème », conclut-il dans un grand sourire.

Notes

(1) La Maison des sources : quartier de l’Empery – 48100 Marvejols – Tél. 04 66 32 82 24.

(2) Le Clos du Nid : quartier de Costevieille – 48100 Marvejols – Tél. 04 66 32 03 11.

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