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« L’éducation populaire, c’est une philosophie avec des modes d’action »

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Avec la création d’un ministère dédié entre autres à l’éducation populaire, le gouvernement envoie un signal fort à ce mouvement qui vise à émanciper les populations par le savoir et la culture. Mais quelle peut être la place de l’éducation populaire dans la crise actuelle ? Les réponses du sociologue Christian Maurel, observateur et acteur engagé.
François Hollande a promis de faire de la jeunesse l’une de ses priorités. Est-ce une opportunité pour l’éducation populaire ?

Certainement, et la nomination de Valérie Fourneyron comme ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative est plutôt un bon signe. Mais il faut mettre un pied dans la porte avant qu’elle ne se referme, même si je crois que l’éducation populaire devrait être plutôt une politique transversale. Différents acteurs sont ainsi en train de mettre en place une plateforme nationale pour aller vers des états généraux de l’éducation populaire, en essayant de mobiliser tous ceux qui sont concernés. Y compris les réseaux traditionnels qui ont tendance, pour des raisons que l’on comprend, à essayer de négocier les maigres crédits du ministère.

Qu’est-ce que l’éducation populaire ?

Une première définition un peu formelle dit que c’est l’éducation du peuple par le peuple et pour le peuple. Le point important étant « par le peuple ». J’aime bien aussi la formule du Brésilien Paolo Freire dans sa Pédagogie des opprimés. Ce praticien de l’éducation populaire écrit : « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque tout seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. » Enfin, une troisième définition, travaillée dans le cadre de l’offre publique de réflexion sur l’éducation populaire lancée en 1998 par Marie-George Buffet, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, décrit l’éducation populaire comme le travail de la culture, au sens large du terme, dans la transformation sociale et politique.

Quelle est sa philosophie ?

Un premier courant s’enracine dans le siècle des Lumières, la Révolution française et les fameux mémoires de Condorcet sur l’instruction publique. Pour lui, il ne s’agissait pas uniquement d’apprendre à lire, à écrire et à compter mais de permettre aux individus de développer leurs capacités personnelles, de connaître leurs droits et leurs devoirs et de prendre les responsabilités auxquelles ils sont appelés par la société. Pour cela, explique-t-il, il faut s’éduquer tout au long de la vie. Certains mouvements d’éducation populaire, comme la Ligue de l’enseignement, les CEMEA ou les Francas, restent très proches de cette définition. Le deuxième courant, qui s’est un peu perdu dans les sables, est né à la fin du XIXe siècle, lorsque le mouvement ouvrier tentait de s’organiser. Il s’est alors construit une intelligence collective pour donner sens à ce mouvement. L’éducation populaire est devenue la science de ce qui oppresse les classes populaires. Aujourd’hui, l’éducation populaire peut se définir comme la dimension culturelle du mouvement social. Lorsqu’on lutte pour le droit au logement ou contre les exclusions, on crée une intelligence collective. C’est de l’éducation populaire. A l’école, on peut mettre en œuvre une conception classique de l’enseignement ou, comme Célestin Freinet et d’autres, développer une démarche pédagogique et participative. Même chose dans l’action sociale, où l’on peut instrumentaliser les usagers ou bien développer des pratiques collaboratives de construction de soi. L’éducation populaire, au fond, c’est une philosophie avec des modes d’action.

Les mouvements d’éducation populaire n’ont-ils pas un peu perdu de vue ces racines ?

C’est vrai, et cela nous a valu une réflexion très critique dans les années 1990. Invité à cette époque à rencontrer des directeurs de MJC, le sociologue et économiste belge Luc Carton leur avait démontré qu’ils ne faisaient plus de l’éducation populaire. Ils étaient dans une dérive socioculturelle de prestations de services. Cette remise en cause assez violente a débouché sur la mise en place d’un groupe de travail au sein de la fédération française des MJC, puis sur la création d’universités d’été qui ont abordé toutes sortes de sujets, au-delà des seules pratiques socioculturelles. Le premier thème de ces universités, en 1997, a d’ailleurs été « Les droits culturels des jeunes ».

Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école pourrait-il permettre à l’éducation populaire de renouer des liens avec l’Education nationale ?

Oui, s’il ne s’agit pas seulement de remplir les temps libérés par la réorganisation des rythmes scolaires avec des sessions de théâtre, de musique ou de sport. Je connais bien le monde enseignant, et il n’est pas facile d’y développer une démarche d’éducation populaire. L’institution scolaire a toujours trouvé plus simple d’organiser des cours que d’amener les jeunes à s’approprier une démarche culturelle ou artistique. Je me souviens, par exemple, d’un dispositif très intéressant lancé dans le cadre de l’éducation civique, juridique et sociale. Il consistait à partir d’une question posée par les élèves pour la mettre en débat et réaliser tout un travail collectif autour. Malheureusement, les enseignants sont loin d’avoir tous soutenu ce dispositif.

Le véritable défi pour l’éducation populaire n’est-il pas d’abord de se réimplanter dans les quartiers populaires ?

Mais elle y est implantée ! La vie associative est présente dans ces quartiers et l’on trouve parfois plus d’éducation populaire au sein de mouvements, d’associations et de collectifs de terrain que dans les grandes organisations qui s’en réclament. Ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est donner à toutes ces structures une légitimité en montrant qu’elles font réellement de l’éducation populaire. Par ailleurs, il existe toujours des maisons des jeunes et de la culture comme celle de Ris-Orangis, dans l’Essonne, qui a créé une université populaire et un laboratoire social à côté de ses nombreuses autres activités. Un groupe de travail a été installé sur le thème de la disparition des commerces de proximité. Il va s’entretenir avec les habitants, construire des savoirs, inviter des experts, organiser des débats publics pour déboucher sur des propositions et sur l’interpellation des responsables publics. On est bien là dans un schéma d’éducation populaire.

L’éducation populaire pourrait donc être le lieu d’émergence de nouvelles formes d’action collective ?

J’ai coutume de dire qu’elle repose sur quatre piliers. Le premier, c’est la conscientisation. Comprendre le monde et les rapports sociaux, la place qu’on y occupe et celle qu’on pourrait y occuper. C’est la formule de Condorcet : « Substituer enfin l’ambition d’éclairer les hommes à celle de les dominer. » Le deuxième pilier est l’émancipation. Une première prise de parole, une mobilisation, une pétition signée… ça commence par là. C’est une façon de sortir, si modestement soit-il, de la place que nous ont assignée les rapports sociaux, le genre, le handicap ou les accidents de la vie. Le troisième pilier, c’est ce que j’appelle l’augmentation de la puissance d’agir. Nous sommes trop souvent, surtout les plus démunis, dans une impuissance d’agir. Il faut donc essayer, à notre niveau, d’écrire l’histoire. Enfin, le quatrième pilier, qui va de pair avec le troisième, c’est la transformation de soi-même et des rapports sociopolitiques.

Quel lien entre le travail social et l’éducation populaire ?

Cela renvoie à un troisième courant de pensée de l’éducation populaire, le christianisme social, dans lequel s’enracine aussi, pour partie, le travail social. A la fin du XIXe siècle, Léon XIII, un pape un peu progressiste, publiait une encyclique intitulée Rerum novarum. Il invitait les chrétiens à aller vers le peuple, non comme des dames patronnesses pour faire la charité, mais pour faire corps avec lui. Cela a donné des mouvements comme le Sillon de Marc Sangnier, les grandes organisations de jeunesse chrétienne mais aussi, plus proches de nous, ATD quart monde ou encore les compagnons d’Emmaüs. Ces mouvements ne se contentent pas de faire du bien aux gens. Ils essaient de les mettre en mouvement en les amenant à s’appuyer sur leur propre assujettissement pour créer les conditions de leur émancipation. Le sociologue Pierre Roche résume cela dans une belle formule : « Ce par quoi un individu est assujetti est précisément ce par quoi il construit son devenir de sujet. » Cela me semble une bonne manière de faire du travail social et aussi de l’éducation populaire.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Christian Maurel est sociologue. Retraité, il a été directeur puis délégué régional de maisons des jeunes et de la culture.

Il a également enseigné à l’université de Provence.

Cofondateur du collectif national Education populaire et transformation sociale, il anime un séminaire de sociologie de la culture à l’université populaire d’Aix-en-Provence. Il a notamment publié Education populaire, la puissance d’agir (Ed. L’Harmattan, 2010).

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