La révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée et menée tambour battant par le gouvernement de François Fillon à compter de 2008, a permis de refaçonner de fond en comble l’administration de l’Etat, en particulier l’administration déconcentrée, qui a été réaménagée dans le cadre de la réforme de l’administration territoriale de l’Etat (RéATE). On en connaît les lignes de force, dont on observe d’ailleurs les effets concrets : positionnement des centres d’autorité à l’échelon régional et constitution d’une forme de « gouvernement régional » autour du préfet, regroupement des services au sein de huit grands services régionaux et de quatre (parfois cinq) structures départementales. Le vieux système départementaliste, hérité de la IIIe République et qui a connu une certaine apogée avec la structuration, en 1964, de puissantes directions départementales liées à chaque ministère, est bel et bien mort, tout au moins sur ce premier segment du système politico-administratif local. Reste à savoir de ce qu’il adviendra du second, à savoir l’administration décentralisée, mais c’est une autre histoire…
A peine l’encre des textes avait-elle séché, et surtout à peine les services avaient-ils été mis en ordre de marche, le plus souvent douloureusement, que la RGPP disparaissait pour faire place à la modernisation de l’action publique (MAP), lancée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Celle-ci est assise sur les décrets du 31 octobre 2012 qui mettent en place le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) ainsi que le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP).
Cette nouvelle machinerie commence déjà à produire des effets, en retenant des méthodes radicalement différentes de celles adoptées pour la RGPP. C’est ce qu’exprime un rapport parlementaire publié en décembre par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (n° 435) : la précédente réforme s’étant caractérisée par « son caractère abrupt, hiérarchique et confiné » et ayant constitué un « exercice avant tout budgétaire », la MAP doit reposer sur la participation des parlementaires et des usagers, notamment en confiant au Défenseur des droits le soin de recueillir la parole de ces derniers et en accordant un rôle décisif aux citoyens par le recours à l’évaluation et par l’aménagement de procédures indépendantes et objectives.
C’est ainsi que, lors de sa première séance de travail du 18décembre 2012, le CIMAP a défini une liste de politiques publiques devant faire l’objet des trois premiers cycles d’évaluation programmés entre janvier et juillet 2013. Dans le champ de l’action sociale, sont entre autres concernés les politiques d’insertion, le pilotage de l’allocation aux adultes handicapés, la scolarisation des enfants handicapés, la politique de la petite enfance, les aides à la famille, la politique du logement ou encore la tarification des établissements médico-sociaux (1)… Vaste chantier aux effets potentiels larges, si l’on en juge par cette liste à la Prévert.
L’objectif affiché est de remettre l’évaluation au cœur de la modernisation de l’action publique. Une louable orientation, l’évaluation n’ayant en fait pas été véritablement prise au sérieux après son lancement prometteur par le gouvernement Rocard dans les années 1990. Le mouvement général qui affecte les organisations collectives, et notamment les services publics, engage depuis vingt ans des logiques de mutations auxquelles on ne parvient pas jusqu’à maintenant à donner un sens qui fasse suffisamment consensus. Il s’ensuit que les structures, mises en position défensive, s’adaptent plus qu’elles ne changent sous la pression diffuse de leur environnement ou, dans la version RGPP, sous la contrainte d’injonctions descendantes réduites aux seules considération financières. La MAP choisit une toute autre stratégie de réforme visant à engager un véritable changement de notre modèle de service public tout en conservant, on l’espère, ses valeurs et finalités fondatrices.
Il conviendra tout d’abord que l’évaluation, qui en est le cœur, prenne une dimension véritablement démocratique et s’érige en un instrument de production du « sens » en ne se réduisant pas à une méthode de rationalisation. Il faut aussi espérer que ce qui aurait pu se faire moins difficilement dans la décennie 1990 ne bute maintenant sur les difficultés de l’heure. « Changer » devient une gageure lorsque les contraintes externes sont fortes, les acteurs sont usés par vingt ans de transformations erratiques et les groupes et corporations sont aux aguets pour défendre leurs intérêts. Autrement dit, et pour plagier Pierre Dac, il faudrait que l’évaluation aide à « penser le changement », sinon elle ne fera que « changer le pansement »…
(1) Voir ASH n° 2788 du 21-12-12, p. 8.