Partant du contexte caractérisé par la crise économique, les contraintes imposées par l’Union européenne, la réforme des politiques publiques, les recompositions des structures familiales, l’évolution de la pyramide des âges et, bientôt, l’acte III de la décentralisation, les quatre scénarios bâtis par le conseil de prospective de l’Uniopss « sont des aides à la réflexion et à l’analyse, en aucun cas des prévisions ou des plans d’action formalisés », précise Robert Lafore, professeur de droit public à l’université de Bordeaux et président du conseil de prospective. Il met d’ailleurs en garde contre « leur pouvoir d’attraction qui pourrait laisser croire qu’il suffirait de prendre position en faveur de l’un ou l’autre pour régler tous les problèmes ».
Les scénarios explorent, en les poussant plus avant, deux logiques antagonistes préexistantes qui structurent deux modèles possibles pour la société de demain. La première, d’inspiration libérale, privilégie une solidarité privée délivrée principalement par des opérateurs marchands, qui repose sur une conception minimaliste des droits sociaux avec des risques envisagés de façon segmentée et un tiers secteur prestataire recentré sur sa performance gestionnaire. La seconde, d’orientation sociale-démocrate, se fonde davantage sur la solidarité publique avec une conception élargie des droits sociaux et des risques perçus comme transversaux ; les associations, dont l’ambition affichée est de défendre l’intérêt général, peuvent y demeurer force de propositions dans une dynamique citoyenne. C’est bien entendu ce dernier type de société que l’Uniopss appelle de ses vœux.
Mis en forme par Henry Noguès, professeur émérite à l’université de Nantes, et Jean-Claude Barbier, directeur de recherche au CNRS, tous deux membres du conseil de prospective, ils partent du constat du risque de dégradation de la protection sociale vers un filet de sécurité minimal avec un ciblage des plus pauvres dans un contexte de dumping social croissant : selon eux, les systèmes nationaux actuels, assis sur le plein emploi et fondés sur des mécanismes combinant solidarités publiques et professionnelles, butent en effet sur l’austérité budgétaire et un fédéralisme européen limité.
• Marqué par la paralysie et le statu quo des Etats nationaux, le premier scénario table sur la poursuite de cette altération de la protection sociale, laquelle se réduirait peu à peu à un socle limité, avec un ciblage sur certaines catégories de la population (Roms, personnes handicapées, immigrés…), selon une logique de droits strictement individuels. Favorisant le repli sur soi et la xénophobie, ce processus risque de déboucher sur un scénario libéral de mise en concurrence d’Etats sociaux en voie de démantèlement.
• Construit dans le cadre d’une solidarité transnationale, le second scénario s’inscrit, pour sa part, dans une politique européenne renouvelée où règnent la détente budgétaire et une justice sociale révisée et où s’instaure une « fédéralisation » progressive de segments de la protection sociale. Dans ce modèle qui reconnaît pleinement l’économie sociale et solidaire, la protection sociale apparaît comme un investissement et les droits fondamentaux ne sont plus seulement individuels mais aussi collectifs. Elle est réintégrée dans une conception large des politiques publiques concourant à la cohésion sociale. La consolidation d’un modèle social européen, même si elle demeure difficile, reste alors envisageable.
Présentés par Robert Lafore et Johan Priou, directeur de l’Uriopss Centre et membre du conseil de prospective, ils prennent racine dans un contexte marqué par la rationalisation, dont témoignent la mise en concurrence, les appels à projets, les regroupements d’établissements et services et les réformes de la tarification.
• Le premier scénario parie sur une accentuation de cette rationalisation, anticipant par exemple la généralisation des appels à projets et de la tarification à l’activité et la mise en concurrence au-delà de l’échelon français. Dans cette logique, la mise en place de mécanismes de standardisation des services, s’appuyant sur des catégories de plus en plus fines et homogènes de populations, implique une normalisation progressive des pratiques. En outre, l’accent est mis sur les performances managériales, la professionnalisation et les capacités de mutualisation et de coopération.
• Dans le second scénario, au contraire, c’est la logique de l’utilité sociale qui prime : les politiques sociales mises en œuvre sont au service du vivre ensemble et de la prospérité dans une perspective d’investissement social. Elles favorisent la co-construction de projets avec les acteurs impliqués sur le territoire. Les associations, quant à elles, privilégient l’expérimentation, l’innovation sociale et la coopération dans des projets au service de la citoyenneté. Dans cette perspective, l’action sociale a vocation à répondre aux besoins d’accompagnements sociaux et médico-sociaux de manière universelle et en socialisant largement le risque – les besoins ne sont plus considérés comme l’apanage des plus pauvres.