Ephémères insulaires

Pendant plus de un an, l’écrivain et grand reporter Jérôme Camilly a arpenté les rues de son île, la Corse, seul ou avec des maraudeurs de la Croix-Rouge, à la rencontre de sans-abri. Son ambition ? Comprendre ce qu’il appelle le « verglas social », ce dérapage qui les a fait tomber dans la précarité. « Ils ne voulaient pas toujours me parler, parfois ils étaient trop alcoolisés, je récupérais une phrase, deux mots par-ci par-là. Souvent, ils sont résignés ou, à l’inverse, agressifs, en colère contre tout, et parfois contre eux-mêmes », relate-t-il. Ces hommes et ces femmes – des « sans-voix » – ont livré à Jérôme Camilly, au compte-gouttes, des cris de souffrance, des cris de détresse. Il a choisi d’en faire un livre illustré de peintures. Ce ne sont pas des témoignages à la chaîne qu’il divulgue, mais des textes originaux, tantôt des points de vue, tantôt des portraits (anonymisés) qui lui ont été inspirés par les mots recueillis. « Ce sont des gens comme nous qui ont eu des accidents de la vie. C’est donc un livre sur les destins », dit l’auteur. Sans misérabilisme, il raconte l’errance, les années à dormir dans une voiture, la dégringolade sociale, l’alcool « qui rend heureux sur le moment », les chiens, la solitude de la rue, l’insularité « qui rime de moins en moins avec solidarité ». Côtoyer ces « êtres éphémères » – « On n’est pas sûr qu’on les reverra au printemps prochain » – a laissé des traces indélébiles dans le cœur de Jérôme Camilly. Celui-ci n’omet pas de parler des associations, des travailleurs sociaux et des bénévoles, tous « ces soldats, avocats, fantassins, en première ligne pour défendre, pour soutenir ces accidentés de la vie. Ils sont là pour construire des passerelles, favoriser le passage d’une condition médiocre à une autre moins désespérée ».