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Une recherche-action souligne l’intérêt de la médiation sanitaire auprès des Roms

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Un programme mené par des associations pendant deux ans a permis de doubler la fréquentation des services de santé par les familles rom concernées. Mais l’évacuation des campements est demeuré un obstacle majeur.

« La médiation sanitaire a des effets, même à court terme, sur les populations précarisées. Nous le savions déjà et venons de le mesurer de manière scientifique. » Après la restitution d’une recherche-action de deux ans sur la médiation sanitaire auprès des populations rom (1), pour lesquelles les indicateurs de santé sont particulièrement alarmants, Laurent El Ghozi, président de l’ASAV (Association pour l’accueil des voyageurs) (2), coordinatrice du programme, espère des décisions concrètes. « Dans le cadre de la conférence de lutte contre la pauvreté, la médiation sanitaire a été identifiée par le groupe de travail sur l’accès aux soins comme un outil pertinent et il y a un in­térêt manifeste pour maintenir et élargir le programme. La balle est dans le camp des pouvoirs publics », souligne-t-il.

Le projet, soutenu notamment par la direction générale de la santé et par l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES), qui a participé à son évaluation (3), a été mené à partir de janvier 2011 par des associations membres du collectif Romeurope : l’ASAV dans la Seine-Saint-Denis et dans le Val-d’Oise, Médecins du monde dans les Pays-de-la-Loire, et l’AREAS (Association régionale d’étude et d’action sociale auprès des gens du voyage) dans le Nord. Quatre médiatrices sanitaires roumanophones, titulaires d’un diplôme du champ de la santé ou du travail social et ayant bénéficié d’une formation continue spécifique, sont intervenues auprès de 44 foyers, soit plus de 100 personnes vivant dans des conditions très précaires. Objectifs du programme, centré sur la santé des femmes et des jeunes enfants : favoriser l’accès autonome des familles aux soins et à la prévention de droit commun, mobiliser les acteurs de la santé et réduire les risques sanitaires liés à leur environnement physique.

Premier constat : les actions de médiation auprès des Roms ont eu peu d’effets sur l’amélioration de leurs conditions de vie, faute de volonté politique locale. Les familles n’ont généralement toujours aucun point d’eau sur les terrains dont huit (sur 13) restent dépourvus de toilettes. Surtout, le programme n’a pas empêché les expulsions et leurs conséquences néfastes sur le suivi sanitaire, dont le désinvestissement des familles, l’augmentation des actes médicaux d’urgence et la perte de contact de certains foyers dont l’accompagnement est devenu impossible. Sur les 13 terrains, seulement six n’ont pas été évacués au cours du programme. « Est-ce qu’un travail financé par une partie des pouvoirs publics allait avoir une influence sur une autre partie, qui relève du ministère de l’Intérieur ? La réponse est non, déplore Laurent El Ghozi. Alors qu’un certain nombre d’ARS [agences régionales de santé], dont celle d’Ile-de-France, considèrent que les évacuations de campement ne doivent pas mettre les populations dans un plus grand danger sanitaire que si elles demeuraient sur les terrains ».

L’AME pour 93 % des femmes

Heureusement, les résultats concernant l’accès effectif aux soins et à la prévention sont nettement plus positifs. Grâce à la médiation effectuée auprès des caisses primaires d’assurance maladie (aide des familles à la constitution des dossiers, amélioration des procédures administratives, accélération des délais d’obtention…), 93 % des femmes ayant participé à l’étude ont obtenu l’aide médicale de l’Etat (AME) ou son renouvellement, contre 42 % à son démarrage. Les soutiens financiers d’associations sollicitées par les médiatrices, ainsi que le choix des foyers de faire de la santé une priorité, ont permis de pallier les effets dissuasifs du droit de timbre de 30 € instauré entre mars 2011 et juillet 2012 pour accéder au dispositif.

Globalement, les ménages ont plus que doublé leur fréquentation des services de santé (de 22 à 57 %). Par ailleurs, la quasi-totalité des consultations a eu lieu dans les services de droit commun. Malgré un recours insuffisant à l’interprétariat professionnel, faute de financement, les femmes ont gagné en autonomie : au terme du programme, seules huit sur 44 avaient encore besoin d’être accompagnées par les médiatrices.

Mieux informées et orientées, la majorité des femmes (89 %) connaissent désormais un lieu où s’adresser pour bénéficier d’une contraception (contre 17 % initialement) et 43 % y ont eu recours au cours de l’étude. Elles sont mieux suivies, notamment durant leur grossesse, tout comme les enfants de moins de six ans : 98 % ont un carnet de santé, alors qu’ils n’étaient que 36 % auparavant. Le nombre de mineurs vaccinés est quatre fois plus important.

La coopération avec les acteurs de santé « a eu des effets manifestes mais inégaux selon les institutions et les sites, en fonction de leur propre expérience et de leur volontarisme, relève le président de l’ASAV. L’intérêt pour les professionnels est largement aussi important que pour les publics, mais cela suppose de leur part un engagement personnel et de comprendre que la médiation ne se limite pas à de la traduction, souvent leur première demande. »

Outre des séances d’information en vue de faciliter la compréhension entre les acteurs de santé et les publics rom, certaines structures ont tenté d’adapter leurs services, notamment en mettant en place des plages de consultation à des horaires spécifiques ou sans rendez-vous. « Le rôle du médiateur est à la fois celui d’une interface relationnelle et technique, pour la co-élaboration de documents et d’interventions avec des acteurs comme le Planning familial, les permanences d’accès aux soins de santé ou les centres de lutte contre la tuberculose. Au-delà de l’aspect médico-social, il lutte contre les stéréotypes et les culturalismes qui sont facteurs de discrimination », précise Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde, dont l’action nantaise fait partie des sept programmes menés par l’association auprès des Roms en France.

Un nouveau métier

La continuité de ces initiatives implique cependant, selon les associations et les acteurs de santé, d’inscrire les actions de médiation dans la durée. Le rapport d’évaluation du programme préconise donc de les pérenniser et de les développer, en particulier au bénéfice des Roumains et des Bulgares vivant dans les squats et bidonvilles, mais plus largement des publics en situation de grande précarité. Il recommande d’inscrire le programme « dans la révision de la stratégie nationale d’inclusion pour les Roms », dans le cadre de la mission confiée à Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, ainsi que dans les programmes régionaux pour l’accès à la prévention et aux soins des plus démunis (PRAPS). Il invite aussi à « contribuer à la reconnaissance du métier de médiateur », et en particulier de la spécialisation sanitaire (4), alors que différents niveaux de qualification existent (certaines universités délivrent notamment des diplômes de niveau bac + 4 en accompagnement sanitaire).

L’enjeu est également de sortir du bricolage et d’aboutir à la création de postes pérennes. « La médiation, qui existe notamment dans le cadre de notre projet à Saint-Denis, ou à Bordeaux, où la mairie finance deux postes, est une réalité opérationnelle qui n’est pas encore reconnue dans le tissu médico-social, explique Jean-François Corty. Il faut que le droit commun se saisisse de cette démarche pour compléter les carences d’un système qui engendre trop d’exclusions et de retards dans l’accès aux soins. »

ANTICIPATION DES ÉVACUATIONS : LES LIGNES BOUGENT… LENTEMENT

Lors de la deuxième réunion, le 18 décembre, du groupe national de suivi (5) de la mission pour l’anticipation et l’accompagnement des évacuations de campements illicites pilotée par Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, « les associations ont redit qu’un maintien dans les lieux était préférable aux expulsions sans solution, souligne Laurent El Ghozi, président de l’ASAV et de la Fnasatgens du voyage. Or on est à mi-chemin dans l’application de la circulaire du 26 août. Des préfets sursoient aux évacuations, d’autres continuent à évacuer après un vague bilan social. » Trois mois après le lancement de la mission de la DIHAL, le sujet reste en effet sensible. « Nous avons rédigé au mois de novembre un vademecum à destination des correspondants locaux désignés par les préfets et la concertation est engagée dans la majorité des départements les plus concernés, explique Alain Régnier. S’il y a des pratiques exemplaires dans certains territoires, dans d’autres elles ne sont pas satisfaisantes et il faut continuer à travailler pour que la circulaire soit pleinement appliquée. Il y a encore des évacuations non préparées, mais il y en a de moins en moins et j’espère arriver à ce qu’il n’y en ait plus. » Sur le volet « hébergement et logement » notamment, un réseau d’une quarantaine d’élus volontaires constitué par la DIHAL planche sur la construction de nouvelles réponses. Dans le cadre du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui devrait être présenté le 21 janvier, « plusieurs millions d’euros » devraient être débloqués pour les diagnostics pluridisciplinaires et les opérations d’accompagnement, indique le délégué interministériel. Un cahier des charges sur ces deux volets est en cours d’élaboration. Quelle place pour les actions de médiation sanitaire, et notamment du programme coordonné par l’ASAV, au sein de cette nouvelle politique ? Il s’agit, pour Alain Régnier, de voir « comment reprendre ses acquis dans une perspective plus globale et interministérielle ».

Notes

(1) Lors d’un colloque au ministère de la Santé, le 14 décembre dernier. Informations disponibles sur www.mediation-sanitaire.org.

(2) Médecin hospitalier à Nanterre, où il est élu conseiller municipal, il est également président de la Fnasat-gens du voyage et de l’association Elus, santé publique et territoires.

(3) La direction générale de la cohésion sociale, le secrétariat général du comité interministériel des villes et des représentants des agences régionales de santé concernées figurent également parmi les membres du comité de pilotage.

(4) Sur la médiation sociale, voir le décryptage des ASH, n° 2780 du 26-10-12, p. 24.

(5) A la différence du comité de pilotage interministériel, il comprend des représentants des associations et des administrations centrales.

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