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A Paris, l’association Rejoué a créé un chantier d’insertion qui recycle des jouets usagés. Elle permet ainsi à des personnes en difficulté de reprendre pied dans le monde du travail tout en rendant accessibles des jouets pour les familles modestes.

« Cela faisait deux ans que je ne faisais plus rien, ni école, ni travail, explique Pierre C. (1), 21 ans, en assemblant les pièces d’un puzzle. Avant de trouver cette place chez Rejoué, j’étais en permanence sur Internet à faire des jeux vidéo. » Titulaire d’un CAP menui serie, le jeune homme n’a pas encore trouvé sa voie. Mais depuis avril 2012, il a intégré le chantier d’insertion Rejoué, dont l’objectif est d’accompagner vers l’emploi et la remobilisation sociale 12 personnes en insertion, via le recyclage de jouets. A son côté, Zohra Abbou trie des Playmobil, les complète avec la chevelure, le couvre-chef et l’accessoire adéquat… « Pierre, c’est vraiment pas le moment de faire des puzzles, rappelle Bruno Lorig, l’encadrant technique du chantier. Le nombre de pièces est marqué sur la boîte, alors tu les comptes, tu vérifies qu’il n’y a pas de pièce discordante et puis, hop, tu passes au suivant. » En cette période de Noël, il faut en effet alimenter la boutique du chantier mais aussi fournir des jouets pour les nombreux stands de vente, ins tallés ici et là dans des magasins ou des lieux d’animation.

Rejoué (2) est une association fondée en mars 2010 sur une idée de Claire Tournefier, codirectrice du chantier. Auparavant bénévole à la Croix-Rouge, elle avait constaté que de nombreux jouets étaient donnés à l’organisation humanitaire, mais non utilisés, faute de personnel pour les trier et les valoriser. La Croix-Rouge se trouvait même dans l’obligation d’acheter des jouets neufs pour les offrir aux enfants bénéficiaires de ses programmes. « D’où l’idée de créer une activité d’insertion pour que le réemploi des jouets mène à l’emploi et que, revendus à bas prix, ils fassent d’autres heureux parmi les familles qui n’ont pas les moyens d’acheter ces cadeaux au prix du marché », justifie Claire Tournefier.

LE CHOIX DU MODÈLE ASSOCIATIF…

Le projet a pris forme grâce à son association avec Antoinette Guhl, alors consultante en développement durable, qui a travaillé dans la microfinance et le commerce équitable et qui est aujour d’hui codirectrice de Rejoué. Deux ans de préparation ont été nécessaires à l’aboutissement du projet. « Le choix du modèle d’activité a été mûrement réfléchi, précise Claire Tournefier. Nous aurions pu constituer une entreprise d’insertion, mais pour cela il fallait pouvoir élaborer un budget généré à 80 % par le chiffre d’affaires. » Or, à ce jour, la revente des jouets ne rapporte que 5 à 10 % du budget de Rejoué. « En outre, notre activité est fondée sur le don, poursuit Antoinette Guhl. Les personnes qui donnent aiment savoir qu’elles participent à une bonne action plutôt qu’à une activité lucrative. Et celles qui achètent aussi. » Les deux femmes, n’étant pas spécialistes du secteur de l’insertion, se sont en partie inspirées d’un projet mis en place en Alsace par Caritas. « Mais c’est une grosse association qui peut, elle, financer une partie des postes, note Antoinette Guhl. Et elle dispose déjà d’un important réseau pour organiser la collecte des dons grâce aux paroisses. » Rejoué a donc dû partir de zéro, élaborer et signer une convention avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dirrecte), rencontrer les représentants du conseil départemental de l’insertion par l’activité économique, préparer ses dossiers pour obtenir les aides et financements publics, qui ont pu être complétés par des aides privées. Claire Tournefier est ainsi lauréate d’une fondation créée par un opérateur téléphonique, le matériel de bureau a été donné par une banque en ligne, et toute la communication a été conçue par une agence réputée à un prix minime.

… ALLIÉ À L’EXPÉRIENCE DU SECTEUR PRIVÉ

Les deux codirectrices ont également mis leur expérience du secteur privé au service de ce chantier. « L’organisation du travail, la définition des postes, les plannings, les procédures à appliquer, l’évaluation des salariés ont été pensés comme dans une entreprise », indique Antoinette Guhl. Pour autant, l’activité reste du domaine de l’insertion et se limite à 26 heures hebdomadaires. Le mercredi n’est pas travaillé, ce qui permet aux mères de famille d’intégrer l’activité. Chaque travailleur tourne et est évalué sur l’ensemble des postes du chantier : tri, nettoyage, vérification de l’état de fonctionnement et réparation, reconstitution des ensembles, emballage et vente en boutique. « C’est très important, la vente en boutique, souligne Antoinette Guhl. C’est là que les salariés se rendent compte qu’on ne peut pas proposer n’importe quoi n’importe comment. S’il manque des pièces, si c’est sale, ça ne fait pas sérieux. » Le seul poste qui ne tourne pas, c’est celui du collecteur. « Nous n’avons qu’un seul salarié disposant du permis de conduire, note Antoinette, même s’il peut parfois être relayé par un des bénévoles de l’association. Dans les périodes où la collecte est un peu moins intensive, il accède également aux autres postes. »

Pour le recrutement initial, Rejoué a reçu 70 candidatures de Pôle emploi. Toutes correspondaient aux critères administratifs du chantier d’insertion : demandeurs d’emploi de longue durée, bénéficiaires des minima sociaux (RSA, ASS, etc.), jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté, travailleurs handicapés sans emploi… « Nous avons recherché les personnes qui avaient le plus de motivation pour cette activité autour du jouet, explique Antoinette Guhl. Celles chez qui, malgré la fragilité, nous sentions des bases pour reconstruire. Et nous avons également veillé à composer une équipe mixte aux niveaux âge, sexe, compétences, problématiques… » Car privilégier la diversité permet d’éviter l’effet miroir et de voir soulignées ses propres carences dans le comportement de l’autre. Cela favorise également l’entraide. Comme lorsque Zohra Abbou n’est pas tout à fait sûre du type d’accessoire à associer à son chevalier en Playmobil : « Dis-moi, Pierre, il lui faut une lance ou une épée à celui-là ? », demande-t-elle à son jeune voisin.

Dans les premières semaines, trois salariés ont quitté l’atelier et ont été remplacés. « L’un d’eux combinait son activité chez nous avec un travail clandestin, un autre a vécu un événement familial qui l’a amené à quitter sa place et un troisième présentait des troubles psychiques qui perturbaient le fonctionnement de l’équipe », résume Antoinette Guhl. Cette dernière situation, en particulier, a été vécue comme un échec par l’équipe. « Cette personne avait du potentiel, alors on s’est beaucoup interrogés : aurions-nous pu le déceler avant ? Qu’aurions-nous pu faire pour éviter cette situation ? » se demande encore Claire Tournefier, qui réfléchit à mettre en place une forme de supervision extérieure pour l’équipe encadrante. « Quoi qu’il en soit, il était clair qu’on ne pouvait pas se mobiliser tous autour de lui comme cela aurait été nécessaire, estime Bruno Lorig, encadrant technique. Cela aurait mis en danger l’ensemble de l’équipe. »

LE JOUET, OUTIL D’INSERTION POSITIF

En matière d’insertion, le jouet apparaît comme un support particulièrement intéressant. « Il possède d’abord une dimension affective et très positive », affirme Antoinette Guhl. En tournée de collecte, les salariés sont félicités pour leur action ; en boutique, ils constatent directement le plaisir des acheteurs… « On fait quelque chose qui a vraiment de l’importance, remarque Fatiha H. (1), on est utile. Des gens qui n’ont pas les moyens peuvent acheter ces jouets. » Le jouet révèle aussi certaines limites. Les jeux devant être testés, il faut savoir lire la notice. « Cela nous a permis de définir rapidement qui pouvait avoir besoin d’une remise à niveau scolaire ou de cours de français », note Bruno Lorig. C’est aussi un objet pédagogique et ludique qui aide même les adultes à développer des compétences qu’ils n’ont pas pu acquérir quand ils étaient enfants. Parmi les salariés en insertion du chantier, certains en effet n’ont pas eu accès au jouet dans leur enfance, soit parce que leurs parents n’avaient pas les moyens de leur en offrir, soit parce qu’ils sont originaires d’une autre culture. « Ici, ils les testent, donc ils ont besoin d’apprendre comment ils fonctionnent, et même d’en comprendre l’utilité », poursuit la codirectrice. Une formation a d’ailleurs été mise en place au début de chaque session, animée par une ludothécaire, qui vient présenter toute la gamme de jouets existante, les fonctions qu’elle tend à développer chez l’enfant, etc. « Moi, cela me sert en tant que grand-mère, remarque Zohra Abbou. Maintenant, lorsque j’offre un cadeau à mes petits-enfants, je vérifie toujours qu’il y a la norme CE et comment il est fait. »

En cette période de Noël, neuf mois après le lancement du chantier d’insertion, la collecte tourne à plein régime. C’est Jean-Pierre Adam qui s’en charge, accompagné par un autre salarié. L’homme a longtemps possédé sa propre entreprise de négoce de fournitures industrielles. « J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans, sans aucun diplôme, raconte-t-il au retour d’une tournée de collecte dans les écoles. J’ai eu beaucoup d’expériences diverses avant de fonder ma propre société. Mais quand j’ai déposé le bilan, je suis entré dans une longue période de chômage… » Agé aujourd’hui de 56 ans, Jean-Pierre Adam découvre avec plaisir le secteur associatif. « J’ai accroché tout de suite avec cette idée de recycler des jouets, et j’ai très envie de construire mon projet autour de cette thématique du réemploi, confie-t-il. D’ailleurs, notre chargée d’insertion est en train de contacter pour moi une entreprise de récupération de matériel électronique. » « Etre en poste ici, cela procure de la stabilité, commente Antoinette Guhl. Améliorer son comportement au travail contribue à améliorer son comportement dans la vie en général, voire à prendre des initiatives. »

Si les deux directrices se sont lancées sans expérience du secteur de l’insertion, elles ont su s’entourer de spécialistes – en particulier de Laurence Mahieux, conseillère en insertion, qui intervient dans la structure deux jours par semaine en tant que consultante. « Nous l’avons rencontrée peu après la création de l’association, raconte Antoinette Guhl. C’était vraiment elle que nous voulions pour notre chantier, mais elle ne souhaitait pas être salariée, alors nous l’avons recrutée comme intervenante extérieure. » « Cette position m’offre un certain recul et m’aide à mieux développer le réseau que je peux mettre au service des différentes structures auprès desquelles j’interviens », commente Laurence Mahieux, diplômée en sociologie du travail.

La conseillère en insertion rencontre chaque semaine les 11 salariés de l’atelier. Même si elle se concentre sur l’élaboration de leur projet professionnel, il lui arrive de déborder sur des problématiques d’accès au soin, au droit ou sur des demandes de soutien financier. « Pour ces personnes, la question de l’emploi est souvent la partie émergée de l’iceberg, rappelle-t-elle. Comment trouver un emploi durable lorsqu’on n’a pas de garde d’enfants, qu’on habite à l’hôtel ? Les situations de nos salariés restent fragiles parce que la précarité dont ils souffrent risque à tout moment de tout remettre en cause. » D’où la nécessité d’un suivi social régulier. « Malheureusement, en fonction des parcours, tous nos salariés n’ont pas toujours de travailleur social référent, ou alors ils en changent souvent, regrette Laurence Mahieux. Alors s’il faut faire un courrier à un bailleur, je le fais. » Une salariée de Rejoué a ainsi pu retrouver un logement, tandis qu’une autre a obtenu une place en crèche pour son enfant. Mais parfois la conseillère reconnaît qu’elle devrait passer la main. Elle vient, par exemple, de monter des dossiers SIAO (3) pour deux des salariées du chantier. « Or c’est du temps en moins pour l’accompagnement socioprofes sionnel », regrette-t-elle.

Sur le plan de l’insertion dans l’emploi, Rejoué a su se constituer un réseau solide. Tous ses salariés sont suivis par la cellule Insertion par l’économique du Pôle emploi Ile-de-France et par un référent insertion. Trois d’entre eux sont ainsi accompagnés par Juliette Pelletier, référent parcours emploi au Plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE) Paris Nord-Est. « Le fait d’avoir plusieurs bénéficiaires sur ce chantier me permet d’être plus efficace, indique-t-elle. Je peux faire le point sur leur progression de façon quasi hebdomadaire avec Laurence Mahieux. Nous voyons ensemble comment les freins à l’emploi peuvent être résolus, nous nous réunissons avec le salarié pour faire avancer son projet professionnel et, ensuite, nous nous répartissons les pistes de recherche pour des stages, des formations, en fonction de nos propres réseaux. »

UN RECADRAGE PROGRESSIF DES PROJETS

Claire Tournefier et Antoinette Guhl ont également complété l’équipe en recrutant Bruno Lorig, qui était auparavant encadrant technique auprès de Bati’re, une entreprise d’insertion parisienne, et qui dispose d’une expérience professionnelle en décoration intérieure. C’est lui qui gère le travail au quotidien, la mobilisation des salariés, qui donne les consignes et vérifie qu’elles sont respectées. « Ici, c’est différent des ateliers d’insertion habituels, qui sont centrés sur le nettoyage, le jardinage et où les gens sont seuls sur leur lieu de travail, précise-t-il. On travaille réellement en équipe. On est en contact permanent. » Bruno souligne également l’intérêt de l’activité choisie : « Les tâches sont variées dans l’atelier et la boutique. Il y a une partie de travail manuel (tri, réparation, reconstitution des boîtes, vérification de l’intégrité du jouet…). Mais aussi un travail de recherche sur Internet pour la fixation du tarif auquel l’objet sera revendu. Le contact clientèle en boutique ou sur les stands. Cela représente de nombreuses opportunités de découverte. Or l’insertion doit ouvrir un maximum de possibilités. »

L’un des axes de travail du chantier est évidemment de préparer la suite. Rêvant de projets peu réalistes, certains salariés sont progressivement recadrés par l’équipe. « On est là pour élaguer un peu les choses, résume Bruno Lorig. Ecarter ce qui est hors de portée. » Ou rendre un peu plus accessible ce qui ne l’est pas encore. Comme pour Fatiha H., qui rêve de devenir gardienne d’immeuble, mais qui a malheureusement échoué aux tests de présélection. « Elle a pu ainsi reconnaître qu’elle avait besoin d’une remise à niveau, positive Claire Tournefier. Car pour certains de nos salariés, il est parfois difficile d’accepter de retourner en formation. » Le stage, en revanche, reste un outil de choix pour confirmer un projet professionnel. « Il amène à découvrir tous les aspects d’un métier, à se faire connaître et reconnaître, détaille Laurence Mahieux. C’est une prise de contact avec la réalité. » Grâce à l’atelier, des vocations ont déjà pu se révéler. Ainsi, une salariée du chantier envisage de s’orienter vers une activité dans l’animation. « Elle s’en est rendu compte car nous recevons régulièrement des scolaires, et c’était elle qui prenait le plus de plaisir à leur expliquer le fonctionnement de l’atelier », rapporte Bruno Lorig. Elle a donc passé pendant les vacances d’été le premier volet de son BAFA. Une autre salariée s’inscrira prochainement en CAP petite enfance. Et un troisième a même quitté Rejoué en septembre pour accéder à un emploi dans la réparation et l’entretien de parcmètres. « Son passage chez nous l’avait aidé à reprendre confiance en lui, raconte la créatrice de Rejoué. Il avait des problèmes d’élocution, mais il s’était apaisé. Nous l’avons préparé pour son entretien d’embauche, aidé à refaire son CV… »

Pour la prochaine session – chacune se déroulant sur douze mois –, Laurence Mahieux envisage de développer les actions collectives : définition des compétences, discussions autour des choix professionnels, apprentissage de techniques de recherche d’emploi. « Cela permettra de créer une réelle dynamique de groupe, que je n’ai pas suffisamment pu mettre en place cette année, car je suis arrivée en juin, espère-t-elle. La dimension collective, à la différence de l’entretien individuel, met davantage les personnes en capacité d’agir. » Quant à Bruno Lorig, il se demande s’il ne pourrait pas développer une activité orientée sur le jouet de collection…

Notes

(1) Ces personnes ont souhaité rester anonymes.

(2) Rejoué : rue Prévost-Paradol – 75014 Paris – Tél. 01 40 52 54 15 – http://rejoue.asso.fr.

(3) Le service intégré de l’accueil et de l’orientation a pour vocation de simplifier les démarches d’accès à l’hébergement et au logement et de coordonner les différents acteurs de la veille sociale et de l’accès au logement.

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