Au terme d’un parcours parlementaire au cours duquel le texte aura notamment essuyé les critiques de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), le Parlement a adopté définitivement, le 20 décembre, le projet de loi « relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées ».
La nouvelle loi tire notamment les conséquences de plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation remettant en cause – pour non-conformité du droit français au droit européen – les placements en garde à vue d’étrangers seulement soupçonnés d’être en situation irrégulière, instaurant ainsi une nouvelle procédure : une retenue de 16 heures au maximum ininterrompues, destinée à permettre aux services de police et de gendarmerie de procéder aux vérifications des situations des intéressés au regard du droit au séjour. C’est principalement ce nouveau régime spécifique qui a subi les foudres de la CNCDH. Tel qu’il était présenté dans la version initiale du texte, il marquait en effet, pour l’instance, un « recul des droits » (1). Plusieurs amendements ont été adoptés en cours de lecture pour tenter de répondre aux critiques.
Comme son nom l’indique, la nouvelle loi élargit également le champ des immunités pénales en matière d’aide à l’entrée ou au séjour irréguliers afin, en particulier, de mieux protéger les militants des associations d’aide aux immigrés ou même les simples particuliers contre le fameux « délit de solidarité ».
Le nouveau régime de retenue spécifique est censé combler le vide juridique provoqué par la Cour de cassation qui, le 5 juillet dernier, a déclaré non conforme au droit européen le placement en garde à vue (pour 24 heures renouvelables une fois) d’une personne sans papiers pour le seul motif qu’elle est en situation irrégulière (2). Un vide juridique qui fait que, jusqu’à présent, une personne qui, à l’occasion d’un contrôle, refusait ou se trouvait dans l’impossibilité de justifier de son identité pouvait simplement, si elle était soupçonnée du seul délit de séjour irrégulier, être retenue sur place ou conduite à un local de police pour une procédure de vérification d’identité d’un maximum légal de quatre heures. Un délai jugé par le ministre de l’Intérieur insuffisant pour engager une éventuelle procédure d’expulsion. D’où l’idée d’une « retenue » d’une durée correspondant au « temps strictement exigé par l’examen du droit de circulation ou de séjour [de l’intéressé] et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives applicables ». Une retenue pouvant aller jusqu’à 16 heures à compter du début du contrôle d’identité ou de titre ayant conduit à l’interpellation de l’étranger.
Mise en œuvre par un officier de police judiciaire (OPJ), cette retenue est placée sous le contrôle du procureur de la République, lequel peut y mettre fin à tout moment. C’est principalement sur le terrain des droits reconnus à la personne retenue que le texte a évolué entre sa version initiale et celle adoptée définitivement par les parlementaires. L’OPJ doit ainsi informer l’étranger, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, des motifs de son placement en retenue et de la durée maximale de la mesure. L’étranger doit également, plus largement, être informé de ses droits :
→ droit d’être assisté par un interprète ;
→ droit d’être assisté par un avocat désigné par lui ou commis d’office. Lequel peut, dès son arrivée, communiquer pendant 30 minutes avec l’intéressé dans les conditions garantissant la confidentialité de l’entretien ;
→ droit d’être examiné par un médecin désigné par l’OPJ, droit de prévenir à tout moment sa famille et toute personne de son choix ;
→ mais aussi – et c’est une nouveauté par rapport au projet de loi d’origine – droit d’avertir ou de faire avertir les autorités consulaires de son pays.
Plusieurs précisions ont été apportées en cours de lecture parlementaire. Sur le rôle du médecin, par exemple : ce dernier « se prononce sur l’aptitude au maintien de la personne en retenue et procède à toutes constatations utiles ». Sur le droit de prévenir à tout moment un tiers, également : l’intéressé peut « prendre tout contact utile afin d’assurer l’information et, le cas échéant, la prise en charge des enfants dont il assure normalement la garde, qu’ils l’aient ou non accompagné lors de son placement en retenue ».
Mais c’est surtout sur le rôle de l’avocat que le texte s’est particulièrement enrichi. L’étranger peut ainsi demander que ce dernier assiste à ses auditions. Dans ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d’identité, ne peut débuter sans la présence de l’avocat avant l’expiration d’un délai de une heure suivant l’information adressée à celui-ci. Toutefois, les opérations de vérification ne nécessitant pas la présence de l’étranger peuvent être effectuées dès le début de la retenue. Le législateur indique par ailleurs, explicitement que l’avocat peut prendre des notes au cours des auditions. Autre précision : à la fin de la retenue, l’avocat peut, à sa demande, consulter le procès-verbal établi à l’issue de la procédure de vérification – ainsi que le certificat médical y étant, le cas échéant, annexé – et formuler des observations écrites également annexées.
Un nouveau paragraphe consacré aux conditions de la retenue a également fait son apparition en cours de lecture parlementaire. La version finale de la loi prévoit ainsi que les mesures de contraintes exercées sur l’étranger doivent être « strictement proportionnées à la nécessité des opérations de vérification et de son maintien à la disposition de l’officier de police judiciaire ». De plus, « l’étranger ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ».
Dernière nouveauté à signaler par rapport au texte d’origine : l’étranger doit être informé qu’il peut ne pas signer le procès-verbal établi à la fin de la procédure de vérification.
A noter : l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui constituait le fondement légal de nombreux placements en garde à vue décidés sur le seul motif du séjour irrégulier, est abrogé.
L’autre mesure emblématique de la nouvelle loi étend le champ de l’immunité pénale prévue en droit français en matière d’aide à l’entrée ou au séjour irréguliers. Immunité contre le « délit de solidarité », expression inventée par les défenseurs des étrangers se rapportant à l’article L. 622-1 du Ceseda qui permet de poursuivre « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ».
De longue date, cette immunité – prévue à l’article L. 622-4 du même code – suscite de larges débats. De nombreuses associations souhaitent qu’elle protège plus explicitement les personnes qui fournissent une aide humanitaire aux clandestins. En 2011, le législateur a fait un geste mais n’a répondu que partiellement à ces demandes en accordant l’immunité à toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la « sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger », notion se substituant à celle de « sauvegarde de la personne » (3). Cette réécriture a en effet été « insuffisante à garantir l’action des associations et de leurs membres qui, dans le cadre de leurs actions, sont régulièrement conduits à assurer des prestations diverses auprès de toutes personnes en demande et sans considération de leur nationalité et de leur situation administrative en France », explique l’exposé des motifs du projet de loi en évoquant « une aide alimentaire, des hébergements, des soins médicaux ou des conseils juridiques ».
Dans une formulation qui a évolué entre sa version d’origine et sa version finale, la nouvelle loi étend ainsi l’immunité à « toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
Au passage, le texte élargit le champ de l’immunité dont les membres de la famille proche de l’étranger peuvent bénéficier (également prévue à l’article L. 622-4 du Ceseda), en y incluant les membres de la famille de son conjoint ou – et c’est une nouveauté par rapport au projet de loi initial – de la « personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui » : ascendants, descendants ou frères et sœurs.
(1) Voir ASH n° 2785 du 30-11-12, p. 14.
(2) Voir ASH n° 2768 du 13-07-12, p. 18.
(3) Voir ASH n° 2719-2720 du 22-07-11, p. 55.