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Mesures d’éloignement des clandestins en outre-mer : la France condamnée par la CEDH

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La grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a, dans un arrêt du 13 décembre, jugé que le régime dérogatoire mis en œuvre par la France en outre-mer et qui permet d’exécuter des mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière sans recours suspensif était contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme. Une décision saluée par le collectif Migrants outre-mer.

Les faits et la procédure

Les faits sont les suivants : un ressortissant brésilien né en 1988, qui a vécu sans interruption en Guyane avec sa famille depuis l’âge de 7 ans, a fait l’objet, en janvier 2007, d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) et d’un placement en rétention administrative pour avoir été dans l’impossibilité de prouver la régularité de son séjour lors d’un contrôle routier. Il a déposé immédiatement devant le tribunal administratif un recours pour excès de pouvoir contre l’APRF accompagné d’une demande en référé suspension car, contrairement au droit applicable en métropole, le recours devant le tribunal administratif en outre-mer ne suspend pas de plein droit l’exécution de la mesure d’éloignement (1). Mais rien n’y a fait : une heure à peine après l’introduction de son recours, il a été reconduit au Brésil et, le soir même, sa demande a été déclarée sans objet par le juge des référés du fait que l’exécution de la mesure d’éloignement avait déjà eu lieu. L’intéressé est revenu clandestinement en Guyane en août 2007. En octobre, le tribunal administratif a examiné son recours pour excès de pouvoir – qui n’avait toujours pas été jugé sur le fond – et constaté l’illégalité de l’APRF qu’il annula, mettant en avant notamment les preuves de scolarisation du requérant en Guyane et le statut de résident de sa mère. Le tribunal a également établi que le requérant remplissait les conditions prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) faisant obstacle à une mesure de reconduite à la frontière. Après encore de nombreuses péripéties procédurales, l’intéressé a fini par obtenir une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Mais, entre-temps, il a saisi la CEDH en alléguant, d’une part, que son éloignement vers le Brésil avait constitué une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée et familial protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et, d’autre part, que l’impossibilité de contester la validité de la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre avant que celle-ci ne soit exécutée était contraire à l’article 13 de la Convention sur le droit à un recours effectif.

Un examen « superficiel »

Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’Homme note que le requérant a été éloigné de Guyane moins de 36 heures après son interpellation. Elle relève plus particulièrement le caractère « superficiel » de l’examen de sa situation par l’autorité préfectorale (arrêté à la motivation stéréotypée et succincte notifié au requérant immédiatement après son interpellation). Elle pointe également que, au moment de son interpellation, l’intéressé était protégé de tout éloignement du territoire français par le droit national : l’article L. 511-4 du Ceseda en vigueur a moment des faits stipulait en effet qu’un étranger qui justifie résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (2). Enfin, la Cour constate qu’il a été renvoyé vers le Brésil seulement 50 minutes après avoir saisi le tribunal administratif, ce qui exclut toute possibilité d’un examen sérieux de son argumentation juridique.

Un régime dérogatoire injustifié

La CEDH refuse en outre de souscrire à la position du gouvernement français selon laquelle la situation géographique de la Guyane et la forte pression migratoire que subit l’île justifient le régime d’exception prévu par l’article L. 514-1 du Ceseda, à savoir l’absence de caractère suspensif du recours exercé contre une mesure d’éloignement devant le tribunal administratif. La Cour reconnaît que les Etats européens jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer à l’obligation de garantir en droit interne un recours effectif posée par l’article 13 de la Convention et que, s’agissant de l’éloignement d’étrangers contesté sur la base d’une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, le critère d’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (contrairement aux cas d’éloignements contestés sur la base d’un risque de traitements inhumains ou dégradants). Mais elle estime que ladite marge d’appréciation « ne saurait nier les garanties procédurales minimales contre l’éloignement arbitraire ». Or, en l’espèce, la reconduite à la frontière du requérant a été effectuée selon une « procédure mise en œuvre de façon extrêmement rapide, voire expéditive, ne lui ayant pas permis d’obtenir, avant son éloignement, un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates de la légalité de la mesure d’éloignement par une instance interne ». La Cour conclut que l’absence d’un recours effectif alors que l’éloignement du requérant était en cours est contraire à l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8, « ce que n’a pas réparé la délivrance ultérieure d’un titre de séjour ». Et elle enjoint aux autorités françaises d’organiser les voies de recours nationales de manière à répondre aux exigences de cette disposition.

[CEDH, 13 décembre 2012, requête n° 22689/07, disponible sur http://goo.gl/CZ8a6]
Notes

(1) Prévu par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, ce régime d’exception est également appliqué dans six autres départements-régions et collectivités d’outre-mer – Guadeloupe, Mayotte, les îles Wallis et Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Polynésie française – ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie.

(2) Depuis, l’article L. 511-4 du Ceseda a été légèrement modifié par la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Mais cette règle est toujours en vigueur.

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