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« L’intercommunalité est une révolution plutôt conservatrice »

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Les intercommunalités, complexes et mal connues, tendent pourtant à redessiner le paysage institutionnel français. Combien sont-elles ? A quoi servent-elles ? Sont-elles même utiles ? Les explications du sociologue Rémy Le Saout, qui observe depuis longtemps l’évolution du paysage de l’intercommunalité.
Qu’est-ce qu’une intercommunalité ?

C’est un regroupement de communes au sein d’un organisme assumant certaines de leurs compétences. Juridiquement, c’est un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Celui-ci repose sur quelques grands principes. Tout d’abord, jusqu’à présent, ses représentants n’étaient pas élus directement par la population mais au second degré, puisque ce sont les conseillers municipaux qui élisent les représentants de la commune à l’intercommunalité. Le second principe est que l’établissement intercommunal est forcément spécialisé. Ses compétences lui sont transférées par les communes. Il n’a pas de compétences générales, même si, dans la réalité, les choses sont poreuses. Enfin, les EPCI se définissent par leur capacité à lever l’impôt ou non. Les syndicats de communes et les syndicats mixtes ne le peuvent pas. Leur budget est abondé directement par les communes. En revanche, les EPCI à fiscalité propre peuvent lever l’impôt, via les taxes locales. Les compé tences des intercommunalités diffèrent selon les types d’EPCI mais le principe général est qu’il existe des compétences obligatoires, inscrites dans la loi. Pour l’essentiel, le développement économique et l’aménagement du territoire. La loi définit aussi des compétences optionnelles, à choisir dans une liste qui comprend notamment l’action sociale, le logement et l’environnement. Enfin, les élus peuvent transférer toute compétence facultative qu’ils jugent utile.

A quand remonte l’intercommunalité ?

Elle a toujours été vue comme une réponse au problème du manque de moyens des petites communes et du partage des charges de centralité des grandes communes. En 1789, les constituants décident, en effet, de conserver un maillage communal fin, avec 44 000 communes. Mais, dès 1790, une réforme permet aux communes de fusionner ou de s’engager dans une coopération intercommunale. Sans beaucoup de succès. A l’époque moderne, la première réforme importante a lieu en 1890, avec la création des syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU). Plus tard, en 1959, les syndicats intercommunaux à vocation multiple (SIVOM) et les districts urbains sont créés. En 1966, c’est le tour des communautés urbaines, qui permettent aux villes de disposer de plus de moyens, notamment en matière d’urbanisme. En 1977, les socialistes conquièrent plusieurs villes importantes et engagent une réflexion sur le fonctionnement intercommunal, qui se traduira en 1982 dans la loi de décentralisation, sans toutefois déboucher sur des mesures concrètes. Il faudra attendre la loi du 18 février 1992 pour que naissent les communautés de communes à fiscalité propre. En 1999, la loi « Chevènement » crée les communautés d’agglomérations et toilette les communautés urbaines. En 2004, le deuxième acte de la décentralisation peaufine le dispositif. Enfin, la dernière loi en date, celle du 16 décembre 2010, finalise la carte de l’intercommunalité, crée les métropoles et les communes nouvelles et, surtout, instaure l’élection des conseillers intercommunaux au suffrage universel direct.

Combien existe-t-il d’intercommunalités ?

Les SIVU et les SIVOM sont environ 15 000, mais depuis une vingtaine d’années, à mesure que les EPCI à fiscalité propre prennent de l’importance, on essaie de les supprimer. Du côté des EPCI à fiscalité propre, il en existe environ 2 500 recouvrant à peu près 90 % des communes françaises. Les plus nombreux sont les communautés de communes, environ 2 300, plutôt sur les petits espaces. Les communautés d’agglomérations, qui visent plutôt les villes moyennes avec un bassin de plus de 50 000 habitants, sont au nombre de 200. Quant aux communautés urbaines, elles ne sont que 15. Enfin, on trouve une seule métropole, celle de Nice.

Comment expliquer le développement des intercommunalités depuis les années 1990 ?

Les dispositifs mis en place à cette époque sont mieux ajustés. En outre, l’Etat a mis en œuvre des incitations fortes. Par exemple, la loi « Chevènement » attribue une dotation lorsque les communes se regroupent sous certaines formes d’intercommunalité. Les départements et les régions incitent aussi au regroupement communal par des redistributions finan cières. L’intercommunalité correspond en outre à une nécessité pour les élus, car les services demandés par le public et les normes en vigueur se complexifient. Il faut donc du personnel, des compétences… Le résultat est que tout le monde s’engage dans cette voie. D’autant que, avec l’expérience, les maires se sont rendu compte qu’ils ne perdaient pas tant de pouvoir puisque, au final, ce sont souvent eux qui siègent au sein des intercommunalités.

Peut-on qualifier l’intercommunalité de « révolution silencieuse » ?

C’est ce que l’on entend souvent dire. De fait, les intercommunalités sont des institutions plutôt dis crètes. En revanche, je pense qu’elles sont révolutionnaires sans l’être. Certes, elles modifient la donne du paysage institutionnel, mais les maires y conservent le pouvoir et cherchent avant tout à capter des ressources pour leur commune. C’est donc une révolution plutôt conservatrice. Certains chercheurs estiment cependant que, une fois engagés dans l’intercommunalité, les élus locaux sont de toute façon amenés à travailler ensemble sur des politiques communautaires novatrices, et plus seulement communales. Ce qui est certain, c’est que l’intercommunalité se traduit par le développement d’une nouvelle bureaucratie tendant à prendre le pas sur le politique. Ces structures permettent en effet d’embaucher du personnel de catégorie A, compétent et capable de mener des projets. C’est même l’un de leurs intérêts. Mais le résultat est que les élus se sentent un peu dépossédés, d’autant qu’ils sont contraints par des réglementations de plus en plus complexes. Sans compter que lorsqu’un dispositif est mis en œuvre dans ce cadre, il est difficile ensuite de revenir en arrière. Cela tend à figer les marges de manœuvre politique.

On reproche aux EPCI un certain déficit démocratique dans leur gouvernance…

C’est en effet une critique fréquente. D’où le changement impulsé par la loi du 16 décembre 2010. A partir des élections municipales de 2014, le conseil municipal n’élira plus ses représentants à l’intercommunalité. Les candidats au mandat de conseiller municipal et aux fonctions de délégué communautaire figureront sur une seule liste, les premiers de la liste ayant vocation à siéger dans les deux instances, les suivants seulement au conseil municipal. Ce système ne concernera toutefois que les communes dont le conseil municipal est élu au scrutin de liste. Cela ne devrait pas changer grand-chose, mais les élus devraient tout de même être obligés de faire un peu de pédagogie.

Les intercommunalités rendent-elles l’action publique plus efficace ?

C’est une question pour laquelle on n’a pas de véritable réponse. Les économistes observent que la pression fiscale tend à augmenter lorsque l’on cumule la commune et l’intercommunalité. Avec l’augmentation du personnel des intercommunalités, celui des communes devrait pourtant avoir diminué. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Toutefois, si les communes ont recruté, ce sont surtout des animateurs, des personnels à caractères sociaux, des policiers municipaux… Autant de fonctionnaires relevant de compé tences rarement transférées. Il y a donc peu de doublons. Par ailleurs, les acteurs des intercommunalités, en particulier leurs cadres, estiment que celles-ci ont permis de faire des choses qui n’auraient pas été possibles autrement. Même si l’on constate depuis deux ou trois ans que, en raison des problèmes budgétaires des communes, les intercommunalités parviennent juste à maintenir les services créés, mais pas à les développer.

Quel est l’avenir de l’intercommunalité ?

La prochaine loi de décentralisation devrait essayer d’améliorer encore un peu les dispositifs, de les rendre plus clairs. Il existe en outre un projet de création de trois eurométropoles, à Lille, à Lyon et à Marseille, qui pourraient remplacer les départements sur leur territoire. C’est actuellement en débat. Pour améliorer la lisibilité démocratique, on pourrait envisager d’élire le président de l’intercommunalité au suffrage universel direct lors des élections munici pales. Une autre piste consisterait à élire des candidats uniquement pour l’intercommunalité. Mais cela risque de poser des problèmes de gouvernance entre les communes et les intercommunalités. Ce n’est donc pas pour demain. Enfin, se profile au-delà le vaste débat sur ce qu’est la démocratie. Est-on mieux servi par des représentants élus directement ou par une administration technicienne ?

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Maître de conférences en sociologie à l’université de Nantes, Rémy Le Saout est également membre du Centre nantais de sociologie et directeur de l’UEFR de sociologie. Il publie Réformer l’intercommunalité (Ed. PUR, 2012) et est aussi l’auteur de L’intercom munalité en campagne (Ed. PUR, 2010).

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