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Interventions en totale transparence…

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A Nancy, les aides à domicile de l’ADAPA ont intégré un nouvel outil de travail : un téléphone portable comportant des applications métiers, relié aux plateformes de leurs responsables de secteur. Un système qui modifie les modes de communication, non sans risques…

Angélique Hémard pousse la porte de l’appartement et lance un « bonjour ! » enjoué au vieux monsieur qui attend dans le salon, allongé sur son lit médicalisé. A 82 ans, et malgré les difficultés grandissantes engendrées par la maladie de Parkinson, André Weber se départ rarement de sa bonne humeur et de son air malicieux pour accueillir la jeune femme lors de ses visites. A peine arrivée, l’aide à domicile sort son smartphone et prend en photo le petit tag collé sur le frigo. Un geste devenu quasi automatique et qu’elle accomplit désormais plusieurs fois par jour. Dans la fiche d’intervention qui s’affiche sur l’écran de son mobile, le bandeau du bas passe du rouge au jaune, signifiant que la mission prévue sur le planning vient de commencer. Un rapide coup d’œil sur la fiche lui rappelle l’ensemble des renseignements et modalités pratiques de cette visite à domicile qu’elle effectue chaque jour, du lundi au samedi. « Si j’ai un doute, je peux voir où le tag a été placé, où se trouve la clé d’entrée de la résidence, ou encore avoir des informations sur la famille. Et si je reprends le résumé de ma mission chez ce monsieur, je vois qu’il s’agit d’une aide au repas à midi, avec un petit ménage courant, la vaisselle, et qu’il faut prévoir éventuellement une petite machine », explique Angélique Hémard. Après avoir rangé dans sa poche l’ingénieux assistant électronique, la jeune professionnelle se débarrasse de son manteau pour aider l’octogénaire à se mettre dans son fauteuil roulant et l’amener devant la table de la cuisine.

DÉGRIPPER LE SYSTÈME

Comme les quelque 600 aides à domiciles salariées de l’Association départementale d’aide aux personnes âgées (ADAPA) de Nancy (1), Angélique Hémard ne se sépare plus de son téléphone portable professionnel. Depuis mai dernier, l’association est passée de l’ère de la fiche papier à celle de la télégestion et des smartphones intégrant une série d’applications dédiées. Intervenant traditionnellement sur le maintien à domicile de personnes âgées en grande dépendance, l’association nancéenne a développé depuis quelques années son activité auprès des personnes handicapées. A ces prises en charge particulièrement lourdes, nécessitant une transmission de consignes et d’informations de plus en plus précises, s’est ajoutée une conjoncture difficile. « Lorsque je suis arrivée, en 2003, nous avions des durées moyennes de prestation d’une heure trente à deux heures, alors qu’aujourd’hui les interventions d’une demi-heure se généralisent. Au cours des trois dernières années, nos salariées ont vu leurs conditions de travail sur le terrain se dégrader, avec des situations où elles doivent faire autant de choses en moins de temps », constate Laetitia Pilloy, directrice de l’ADAPA. Pour les onze responsables de secteur et leurs quatre assistantes, la supervision et la gestion du travail des aides à domicile, sous forme d’envois de fiches de mission papier et de coups de téléphone répétés, viraient au cauchemar. Le système s’ankylosait, particulièrement en début de mois, lorsqu’il s’agissait de comptabiliser et de vérifier l’ensemble des heures pour préparer les paies des salariées et les factures pour les personnes aidées.

Pour sortir de cette situation, l’association se tourne en 2005 vers un service de télégestion simplifié, Domiphone, qui permet d’enregistrer les débuts et les fins d’intervention par le biais de la téléphonie fixe. Une sorte de « super badgeuse », en somme, qui supprime les formulaires papier et le travail de saisie qu’ils requièrent. Mais Domiphone s’est heurté rapidement à des freins tant matériels (téléphones fixes inadaptés ou inexistants…) que psychologiques, certaines personnes âgées étant parfois dérangées dans une conversation téléphonique ou craignant de devoir assumer le coût des communications, malgré la mise en place d’un numéro vert. « En 2012, nous avons donc opté pour un dispositif de télégestion reliant les smartphones des aides à domicile aux écrans des responsables de secteur. Il nous permet non seulement de continuer à enregistrer automatiquement les temps d’interventions, mais aussi d’avoir un véritable système communicant, par le biais duquel nous pouvons transmettre des informations de toutes sortes aux salariées sur le terrain, et celles-ci peuvent nous faire remonter des messages sur l’état de santé d’une personne âgée, des besoins qui évoluent, un en­vironnement qui change… », détaille Laetitia Pilloy. Conçu à l’origine pour le secteur de la surveillance à domicile, le système développé sur les smartphones a été adapté aux spécificités de l’aide à domicile (voir encadré). Il a fallu en particulier choisir un outil simple d’utilisation et intuitif, pour ne pas décourager certaines salariées qui découvraient les téléphones portables tactiles.

PLUS FIABLE, PLUS CLAIR

Du haut de ses 30ans, Angélique Hémard a grandi avec les systèmes de communication mobiles, et n’a donc eu aucune difficulté à s’approprier ce nouvel outil de travail. Pour la jeune femme, l’un de ses atouts est d’avoir mis un terme aux incertitudes, voire aux soupçons qui pouvaient subsister dans l’esprit de certains usagers. « Quand je flashe le tag en arrivant et en partant, les personnes paraissent beaucoup plus rassurées qu’avant. D’abord, parce qu’on n’utilise plus leur téléphone personnel et, ensuite, parce que cette capture photographique leur semble plus fiable. Lorsqu’on téléphonait, on voyait bien que certains usagers se demandaient si le temps d’intervention était correctement pris en compte et bien facturé », observe Angélique Hémard. Elle montre les ­icônes affichées sur son écran qui servent à entrer dans les autres fonctions principales de ce système : l’agenda, la messagerie et le répertoire. L’agenda offre une vision claire du planning quotidien ou mensuel ainsi qu’un petit descriptif de chaque mission, avec la situation de la personne et les informations pratiques nécessaires. Heures réalisées dans le mois, heures restant à faire, interventions annulées, remplacements programmés…, le planning de chaque aide à domicile est actualisé en temps réel par les respon­sables de secteur, ce qui évite désormais de décrocher systématiquement le téléphone pour avertir les salariées à chaque changement. Plus clair et plus pratique, le système a surtout apporté un gain de temps appréciable aux responsables de secteur en diminuant la part purement administrative de leur travail et en simplifiant les modes de communication avec les aides à domicile.

« Il faut s’assurer qu’il prend bien son petit déjeuner… Pour les clés, je vous enverrai un message écrit pour vous dire où elles sont cachées. Et pour MmeSchmidt, je vais peut-être changer les horaires. Voilà, et j’espère qu’il n’y aura pas trop de neige pour aller chez MmeBarbier. » A deux pas de la gare de Nancy, dans les bureaux de l’ADAPA aménagés en open space, Isabelle Nivoix termine une conversation devant son écran d’ordinateur. Pour cette responsable de secteur depuis huit ans, l’arrivée d’un tel système de télégestion a considérablement amélioré sa façon de travailler. Aujourd’hui, pour établir les bulletins de paie de la cinquantaine de salariées dont elle s’occupe, il n’est plus besoin de passer des journées entières à éplucher leurs fiches de travail. Fini également les problèmes de courriers qui n’arrivent pas ou de messages laissés sur des boîtes vocales pour prévenir d’un changement de dernière minute. Les messages envoyés aux aides à domicile pour les prévenir des changements de planning apparaissent aussitôt, sous forme de pop-up, sur les écrans de leurs mobiles. « Avec cette possibilité d’intégrer tout de suite les changements de planning, le téléphone sonne moins et j’appelle également beaucoup moins souvent les salariées. Par exemple, si une personne aidée est placée dans un établissement, je vais envoyer un SMS collectif pour dire aux quatre ou cinq intervenantes concernées que cette mission prend fin à telle date. Le fait d’être moins dérangée par le téléphone me permet de me poser davantage sur certains dossiers, de prendre plus de temps avec certaines professionnelles », note Isabelle Nivoix.

UN OUTIL TECHNIQUEMENT AU POINT ET MIS À JOUR

Le basculement d’une partie des échanges téléphoniques vers les modes de communication écrits est perceptible dans la place centrale que tient la fonction messagerie au sein du système de télégestion. Utilisés par les salariées sur le terrain comme par les responsables de secteur, la chef de service ou la directrice de l’association, les messages écrits servent tout autant à délivrer des informations collectives et d’ordre général – concernant, par exemple, la vaccination contre la grippe ou un rappel des mesures à prendre en période de canicule – qu’à envoyer des messages individuels ou plus ciblés. Les aides à domicile ont ainsi recours aux SMS pour informer leurs responsables d’un changement de situation préoccupant chez une personne âgée sujette à des chutes répétées ou à une brusque perte d’autonomie. En dehors des données strictement liées aux changements de leur planning, elles peuvent également consulter toute une série d’informations concernant la tenue d’une réunion, la mise en place d’une session de formation ou encore l’annonce d’un recrutement pour une mission en interne. Pour éviter une utilisation inappropriée de cet outil de travail, les responsables de l’ADAPA ont choisi de mettre en place un répertoire limité aux seuls profes­sionnels de l’association en relation avec les aides à domicile, ainsi qu’ à certains partenaires.

L’outil est aujourd’hui techniquement au point et a déjà bénéficié de mises à jour à la demande des salariées. L’intégration de codes couleurs, notamment, a facilité la lecture des informations et les aides à domicile bénéficient désormais d’une vision élargie de leur planning (jusqu’à six semaines à l’avance et un mois et demi en arrière), ou encore de la possibilité de saisir les temps complémentaires réalisés lors de leurs interventions, qu’il s’agisse de courses effectuées pour les personnes âgées ou handicapées ou d’un accompagnement à un repas dans une salle commune. « En supprimant les supports papier et l’ensemble des manipulations qui allaient avec, ce système de télégestion a vraiment simplifié le travail des responsables de secteur et des salariées sur le terrain. Il y a moins de corrections et de saisies à faire. Il leur donne en particulier une meilleure visibilité et améliore l’organisation de leur travail », assure Alice Merlo, chef du service d’aide à domicile.

L’arrivée de ce système de télégestion mobile au sein de l’association a pourtant été accueillie avec une certaine appréhension de la part des utilisateurs. Il a d’abord fallu faire face à quelques réactions de rejet et convaincre certaines professionnelles plus âgées, qui refusaient de se servir de ces mobiles et parlaient même de démissionner. L’enregistrement à distance des heures d’arrivée et de départ a en outre créé la peur d’un contrôle généralisé et extrêmement pesant pour l’ensemble des salariées. Il a fallu, pour la direction, revenir longuement sur les objectifs réels du nouvel outil et insister sur le fait que l’utilisation de la géolocalisation était limitée à certaines situations, comme la perte du téléphone ou l’activation de l’alerte lors d’une situation dangereuse pour la salariée. « C’est vrai qu’il y avait cette peur que se mette en place une sorte de “flicage” de leur travail, avec le stress de ne pas respecter le planning à la minute. On a donc dit et répété que l’essentiel était que la durée de l’intervention soit bien effectuée, et non pas de savoir si elles arrivaient à 8 h10 plutôt qu’à 8 heures à cause d’un problème sur la route », souligne Laetitia Pilloy. Mais aujourd’hui encore, les craintes d’une surveillance généralisée s’appuyant sur le déploiement de ces nouvelles technologies n’ont pas disparu. Aide à domicile et représentante syndicale au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), Nathalie Michèle reconnaît volontiers les améliorations apportées par ce système dans la communication et l’organisation du travail des salariées. Mais elle dit rester vigilante quant aux évolutions et aux risques de dérives futures : « Actuellement, on explique aux intervenantes sur le terrain qu’il n’y a pas de volonté de les pister avec ces téléphones. Mais nous craignons tout de même que l’on étende un jour le système de géolocalisation, pour contrôler, par exemple, le nombre exact de kilomètres parcourus par les salariées. »

LA QUALITÉ DE L’ÉCHANGE EN DANGER ?

Comme d’autres, elle pointe également du doigt les problèmes de communi­cation liés à un mauvais usage du système. « Nous avons déjà expliqué à plusieurs reprises à la direction qu’il n’était pas normal que l’on ajoute des remplacements de dernière minute sans avoir auparavant consulté les aides à domicile concernées. C’est une façon d’imposer ces interventions parce que l’on sait très bien que les salariées vont avoir des scrupules à refuser, même si ça ne les arrange pas et si ça empiète sur leur vie privée », martèle la représentante du CHSCT. Un effet pervers que reconnaît volontiers la direction, tout en soulignant qu’il s’agit de sensibiliser davantage les responsables de secteur ainsi que les intervenantes à domicile à une utilisation plus ciblée et pertinente des différents modes de communication que permet le nouveau système. Il faut ainsi être très attentif, expliquent les responsables, à ne pas laisser se développer des stratégies de contournement consistant à remplacer systématiquement les échanges de vive voix par des mes­sages écrits ne laissant que peu de place à la discussion et ne permettant pas d’aborder dans le détail des situations complexes. « C’est plus une question de génération, les plus jeunes ayant tendance à n’utiliser que les messages écrits et les SMS parce que cela leur fait gagner du temps. Le problème, c’est qu’à vouloir trop gagner de temps, on finit par perdre en qualité d’échange », reconnaît Laetitia Pilloy. Avec le risque, comme le soulignent certains responsables de secteur, de renforcer à terme le sentiment d’isolement des aides à domicile.

« Les pratiques évoluent », constate la responsable de secteur Isabelle Nivoix, expliquant que lorsqu’un nouvel usager est pris en charge par l’association, elle décroche son téléphone pour rapporter dans le détail la situation de la personne et les modalités de l’intervention. Occupée à faire des crêpes pour le dessert d’André Weber, Angélique Hémard assure, elle aussi, réserver l’utilisation des SMS aux informations précises, courtes, et continue de privilégier les échanges téléphoniques en cas de difficulté – « lorsqu’un conflit apparaît ou qu’une personne devient agressive, par exemple ».

Elle s’interrompt. Son smartphone vient de sonner, signifiant la fin de son intervention. Le temps de réinstaller confortablement le vieux monsieur dans son lit et de capturer une nouvelle fois le petit tag sur la porte du frigo, et la jeune femme peut repartir pour une nouvelle mission.

INTERFACE Une transmission en temps réel

La solution de télégestion déployée à l’ADAPA de Nancy fonctionne à partir de deux systèmes communiquant grâce à une interface : d’un côté, des applications dédiées et développées par la société AlyaCom pour les smartphones des aides à domicile et, de l’autre, un logiciel de télégestion (Domatel) pour le suivi réalisé sur écran par les responsables de secteur. L’interface offre une totale transparence des opérations effectuées, les informations transmises s’affichant en temps réel sur les téléphones portables comme sur les écrans d’ordinateurs.

Notes

(1) ADAPA : 13-15, boulevard Joffre – 54052Nancy – Tél. 03 83 37 16 21 – adapa.nancy@wanadoo.fr.

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