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Des styles d’encadrement qui dépassent le genre

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En dépit de son extrême féminisation, le secteur social ne déroge pas à la « loi commune » de la domination masculine : ce sont majoritairement des hommes qui sont aux commandes.

L’enquête Emploi réalisée en 2007 par Unifaf dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif établit qu’il y a seulement 37 % de femmes parmi les directeurs d’établissements sociaux et médico-sociaux. A cet égard, les dernières promotions du Cafdes (certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale) ne sont pas encourageantes : alors qu’entre 2005 et 2008, la proportion de femmes parmi les diplômés s’était accrue de 11 points – passant de 42,9 à 54,1 % –, elle s’est continûment érodée depuis (1). Le Cafdes est redevenu un parchemin majoritairement masculin : sur les 282 diplômes délivrés en 2010, les hommes en ont décroché 146, soit 51,8 %.

STÉRÉOTYPES ET CLICHÉS

Au niveau du Caferuis (certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale), il y a en revanche plus de femmes que d’hommes parmi les titulaires : les premières ont constitué 62,1 % des diplômés en 2010. Les retrouve-t-on dans une proportion équivalente parmi les chefs de service ? Impossible de le savoir faute de données sexuées sur les cadres intermédiaires dans l’enquête d’Unifaf. Mais Hakima Mounir, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Est Créteil, qui a réalisé en 2011-2012 une étude qualitative sur le parcours de 14 chefs de service en protection de l’enfance – sept femmes et sept hommes –, révèle que les premières mettent en moyenne 12 ans pour accéder à ce poste, contre 6 ans pour leurs homologues masculins (2). « Les unes comme les autres ont souligné l’importance des réseaux dans cette accession : la cooptation semble en la matière rester le modèle dominant », commente Hakima Mounir. « Or cet “entre-soi” est genré : dès qu’il s’agit d’autorité et de hiérarchie, on découvre des “valeurs” qui n’ont rien à envier à celles de l’entreprise. » De fait, les justifications avancées par les personnes interrogées pour expliquer les différences de trajectoires entre femmes et hommes se révèlent empreintes des mêmes stéréotypes que ceux qui sont en vigueur ailleurs. Ainsi, l’ambition, l’esprit de compétition, le charisme et la combativité, soit autant de caractéristiques valorisées dans les parcours ascensionnels, sont des attributs prétendument masculins. De leur côté, « les femmes restent malgré tout marquées par leur rôle de mère, ce qui expliquerait qu’il serait plus “normal” pour elles de sacrifier leur carrière au nom du supposé bien-être censé en résulter pour leurs enfants », explique la chercheuse. « Aux femmes, le care et aux hommes, le pouvoir », résume-t-elle, pointant les effets de tels préjugés sur les interventions auprès des publics effectuées par les équipes qu’encadrent ces chefs de service.

Ce qui est significatif, aussi, pour « la construction des “mythes” distinguant le masculin et le féminin dans l’accès aux responsabilités est le fait que les femmes insistent beaucoup plus que les hommes sur l’importance de la formation suivie pour y parvenir », note la sociologue. Les hommes, quant à eux, mettent davantage en avant l’expérience, l’apprentissage « sur le tas », les échanges avec des pairs, la rudesse des coups reçus « sur le terrain ». Aux femmes, donc, le sage esprit scolaire, aux hommes l’entregent du self made man – alors qu’aujourd’hui, tous ont suivi les mêmes filières de formation.

En dépit de leurs différences d’approche, les chefs de service des deux sexes se retrouvent sur l’essentiel : les pra­tiques réelles d’encadrement. Femmes et hommes décrivent de façon similaire leur activité comme une suite de tâches singulières sans autre lien apparent entre elles que le « relationnel ». Ils insistent sur l’importance des orientations données par le di­recteur de leur établissement. Ils braquent également le projecteur sur la nécessité de « s’adapter aux circonstances » souvent changeantes et sur le fait qu’on ne peut diriger une équipe d’éducateurs(trices) comme une équipe d’assistant(e)s de service social : l’histoire, les traditions et les caractéristiques prédominantes des professionnel(le)s encadré(e)s entrent en ligne de compte. Enfin, femmes et hommes s’accordent aussi, surtout après quelques années d’expérience, pour minimiser l’importances des « techniques » – qu’il s’agisse des techniques de management apprises en formation, des référentiels de compétences ou des méthodes d’évaluation. Le principal est la compréhension, la communication, l’analyse de la complexité des situations.

AVOIR OU PAS DE L’AUTORITÉ

Cette communauté de vues conduit la sociologue à conclure à l’absence de modes d’encadrement qui seraient typiquement féminins ou masculins. Bien plus, Hakima Mounir met en relief des styles de management supposés féminins… chez des hommes, et inversement. Ainsi, cette femme affirmant avoir connu deux collègues hommes qui dirigeaient leurs équipes « à la séduction individuelle et en les maternant », là où elle-même se revendiquait dans un « face-à-face avec l’équipe, en exerçant un rapport de pouvoir ». D’autres enquêté(e)s ont fait état d’« hommes lâches » et de « femmes courageuses », ainsi que de femmes portées à un exercice charismatique « qui maintenant échoue » ou ayant un management fondé sur « le rapport de force des idées » et les arguments rationnels.

Autrement dit l’opinion la plus répandue, particulièrement chez les professionnel(le)s ayant de la bouteille, souligne Hakima Mounir, est que « l’exercice de l’autorité transcende le genre ».

Notes

(1) Cf. « La formation aux professions sociales en 2010 » – DREES – Série statistiques n° 164 – Janvier 2012 – Voir ASH n° 2741-2742 du 13-01-12, p. 16.

(2) Hakima Mounir rendra compte de cette recherche dans un ouvrage collectif sur les chefs de service à paraître chez Dunod en juin 2013.

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