Accident vasculaire cérébral, ou AVC… Trois lettres qu’Alfonse ne peut même plus prononcer, depuis qu’une veine de son cerveau s’est bouchée. Alors sa nouvelle vie a débuté. « Vie, c’est pas le mot », dit-il dans un monologue intérieur. Alfonse y décrit comme un mauvais spectacle le monde sur lequel il n’a plus prise. Le quadragénaire a beau être enfermé dans son corps, il sait être hargneux et raconte ses incapacités dans un souffle furieux : il n’est plus capable de divorcer de sa femme, qu’il avait bel et bien l’intention de quitter ; il n’est pas apte à prévenir sa maîtresse de ce qui lui est arrivé ; il ne peut pas dire à son épouse de ne pas jeter les photos auxquelles il tient quand elle se décide à faire un grand ménage ; il ne parvient pas à se retenir de faire sous lui au cours de la première soirée qu’il passe avec ses amis. Il est capable, en revanche, d’observer le plafond tant et si bien qu’il voit les fissures se former. Capable, aussi, de haïr tous les jours un peu plus sa Clarisse, à qui il reproche sa sollicitude permanente et sa tendresse gluante.
Quand celle-ci perd son emploi – et le moral –, la situation dégénère. Elle qui l’assistait à chaque instant le laisse désormais des heures à geler devant la fenêtre ou l’oublie des nuits entières sur son fauteuil. Il devient la chose dont on ne sait que faire. Alfonse part alors vivre chez son frère, et sa situation empire. Son cadet le frappe et le traite de débile. Les héros de Chloé Schmitt sont donc bien des Affreux, comme le suggère le titre du roman de cette toute jeune écrivaine. Pas de complaisance, pas de longues tirades explicatives sur le mal-être physique ou psychique consécutif à une déchéance brutale. Juste des grognements et des filets de bave, et des personnages lâches et cruels.
Les affreux
Chloé Schmitt – Ed.Albin Michel – 16 €