« La pauvreté progresse de nouveau depuis dixans : de 12,9 % de la population en 2002, nous sommes passés à 14,1 % en 2010, et sans doute plus en 2011 et 2012 » (voir encadré, page 6), a reconnu le Premier ministre en clôturant la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui s’est tenue les 10 et 11 décembre. Conférence où il a présenté les principales mesures du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté qui doit être adopté le 22 janvier prochain lors d’un comité interministériel de lutte contre l’exclusion, comité qui n’a pas été convoqué depuis 2006. Ce plan, qui comportera un volet distinct pour l’outre-mer, « abordera aussi de façon approfondie la question de l’évolution du travail social et celle des publics dont les difficultés sociales méritent une approche particulière » (détenus, personnes handicapées, migrants, gens du voyage…), a indiqué Jean-Marc Ayrault sans autres précisions.
Au final, ces mesures devraient représenter un effort global de près de 2,5 milliards d’euros d’ici à la fin du quinquennat. Rappelons que ces annonces – plutôt bien accueillies par les associations (voir ce numéro, page 17) – s’inspirent des rapports des sept groupes de travail installés en octobre dernier au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) afin de préparer les travaux de la conférence (1).
Pour s’assurer de la mise en œuvre de ces mesures, le chef du gouvernement confiera à une personnalité le soin non seulement de formuler une stratégie de suivi du plan pluriannuel et des feuilles de route qui seront adressées à chaque ministre, mais aussi d’élaborer une « méthodologie de déclinaison territoriale du plan afin qu’il devienne un objet de débat sur l’ensemble du territoire national et que chacun puisse se l’approprier ».
Dans le cadre de la réforme de la gouvernance de l’action sociale qu’il entend mener, le gouvernement veut faire davantage participer les personnes en situation de pauvreté et de précarité à l’élaboration et au suivi des politiques publiques les concernant. Ce, en prenant exemple sur le CNLE qui a récemment mis en place en son sein un collège des représentants de personnes en situation de pauvreté et de précarité (2). Une démarche dont devrait s’inspirer les administrations et les collectivités territoriales, selon Jean-Marc Ayrault, précisant toutefois que « cette participation citoyenne ne se substitue pas au travail des élus, des partenaires sociaux et des associations ».
En outre, le Premier ministre souhaite « mettre de l’ordre dans le millefeuille des politiques sociales et dans les relations entre pouvoirs publics et associations ». Il s’agira donc, « en partenariat étroit avec les conseils généraux, chefs d’orchestre de l’action sociale », d’identifier les chefs de file sectoriels, de développer des conventions pluriannuelles d’objectifs avec les associations ainsi que de généraliser la pratique des « conférences de financeurs ». Ces dernières permettront de rassembler l’ensemble des financeurs du milieu associatif afin de parvenir à des « plans concertés et de sécuriser son financement », a précisé Matignon. Autre objectif du gouvernement : « faire de l’évaluation des politiques sociales une pratique habituelle des autorités publiques ».
Tout d’abord, en ce qui concerne l’alimentation, le chef du gouvernement a réaffirmé « haut et fort » son intention de soutenir le programme européen d’aide aux plus démunis, dont l’avenir est incertain (3). S’agissant de l’accès à l’énergie, le gouvernement a décidé d’étendre par voie réglementaire les tarifs sociaux de gaz et d’électricité aux 830 000 titulaires de l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire santé. Ce, sans attendre le vote de la proposition de la loi « précarité énergétique » qui prévoit cette extension (4). Une mesure qui devrait bénéficier automatiquement aux intéressés « au cours du premier trimestre 2013 », a indiqué Delphine Batho, ministre de l’Ecologie et du Développement durable, dans un communiqué du 10 décembre.
Par ailleurs, des campagnes de promotion des droits sociaux seront lancées en 2013 afin de « combler le gouffre du non-recours », a souligné Jean-Marc Ayrault, déplorant que, par exemple, près de 70 % des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) « activité » n’y aient pas recours, soit plus de 800 000 personnes. Ces campagnes de communication seront en outre « accompagnées d’un sérieux effort en matière de domiciliation des personnes ». De façon générale, a précisé le Premier ministre, des « objectifs de baisse des taux de non-recours, prestation par prestation », seront définis et les démarches administratives simplifiées.
Sur la question de la « pauvreté monétaire », le chef du gouvernement a annoncé en premier lieu qu’il allait revaloriser le RSA « socle » de 10 % d’ici à 2017 – à raison de 2 % par an dès septembre 2013 –, en plus de l’indexation annuelle sur le taux d’inflation (5). En dix ans, son niveau, évalué à 43 % du SMIC aujourd’hui, sera ramené à 50 % de celui-ci tel qu’au moment de la création du revenu minimum d’insertion en 1988. Coût de la mesure, selon Matignon : un milliard d’euros d’ici à la fin du quinquennat. Afin que les départements puissent la mettre en œuvre, ils bénéficieront d’une compensation financière, a assuré Jean-Marc Ayrault. S’agissant du RSA « activité », a-t-il relevé, « force est de constater qu’il n’a pas atteint ses objectifs ». Aussi est-il, selon lui, « impératif de le réformer, avec la prime pour l’emploi, puisqu’ils ont le même objectif ». Le contenu de cette réforme devrait être défini d’ici à la fin du premier semestre 2013 et inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014.
Enfin, le gouvernement entend développer une politique d’accompagnement pour prévenir le surendettement. Il compte ainsi créer un observatoire de l’inclusion bancaire, un réseau de « Points conseils budget » et, dans le cadre de la prochaine loi sur la consommation, un registre national des crédits aux particuliers, qui ne fait pas l’unanimité (6). En outre, une prochaine « loi bancaire » devrait être proposée afin d’y intégrer un « plafonnement des frais bancaires pour les publics fragiles ».
Afin de garantir l’accès au logement pour les familles modestes, le Premier ministre a rappelé que l’Etat allait construire 150 000 logements sociaux par an (7). En outre, au-delà des moyens supplémentaires accordés pour l’hébergement d’urgence en 2012 (8), il a annoncé que 4 000 nouvelles places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile et 4 000 places d’hébergement seront créées en 2013.
Parallèlement, le gouvernement prévoit de faire un « effort complémentaire, à la même hauteur que les fonds destinés à créer de nouvelles places d’hébergement et d’asile, pour favoriser le logement durable et le retour au droit commun » au moyen de la prévention des expulsions, de l’intermédiation locative, du logement adapté et de l’accompagnement vers et dans le logement. Les modalités d’attribution des logements sociaux seront par ailleurs réformées.
Pour lutter contre les discriminations à l’entrée dans le logement, notamment pour les travailleurs modestes et les jeunes, le gouvernement devrait instaurer une garantie universelle des risques locatifs, dont les modalités sont en cours d’expertise, et qui devrait figurer dans la future loi-cadre sur le logement (voir ce numéro, page 13).
Faciliter l’accès des personnes durablement éloignées du travail à un « emploi de qualité ». C’est un objectif que le gouvernement compte atteindre au travers notamment des emplois d’avenir (9) ou des négociations en cours sur la sécurisation de l’emploi.
Pour le Premier ministre, « la réussite d’un parcours d’insertion professionnelle repose sur un accompagnement adapté, plaçant la personne au cœur du dispositif et traitant à la fois des obstacles sociaux et professionnels à l’accès à l’emploi ». C’est pourquoi il souhaite renforcer l’insertion par l’activité économique, développer « massivement » les stratégies de médiation active et d’accompagnement dans l’emploi ou encore la progressivité du temps de travail dans les contrats aidés. Au-delà, Jean-Marc Ayrault demande que les publics les moins qualifiés soient orientés « plus massivement » vers la formation professionnelle.
Parce que, pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans, « il n’existe quasiment rien », le chef du gouvernement veut mettre en œuvre une « garantie jeunes », dispositif qui s’appuiera techniquement sur le contrat d’insertion dans la vie sociale. Il s’agira de proposer au « jeune en grande difficulté d’insertion » de signer un contrat de un an renouvelable avec le service public de l’emploi par lequel ce dernier s’engagera à lui offrir un « accompagnement soutenu ». Concrètement, explique Jean-Marc Ayrault, « un travailleur social identifié devra établir avec [le jeune] un projet d’insertion et lui faire régulièrement des propositions adaptées de formation ou d’emploi (dont, bien entendu les emplois d’avenir et les contrats de génération) ». De son côté, le jeune devra « respecter les étapes programmées du parcours et accepter les propositions adaptées qui lui sont faites ». De plus, pendant ses périodes d’inactivité, l’Etat s’engagera à verser à l’intéressé une « garantie de ressources d’un niveau équivalent au RSA ». Dès septembre 2013, dix territoires pilotes testeront ce dispositif, qui sera ensuite progressivement généralisé, a précisé le chef du gouvernement. L’objectif est de toucher 100 000 jeunes par an. Coût estimé de la mesure : 500 millions d’euros en année pleine.
Dans leur rapport préparatoire à la conférence nationale intitulé « Familles vulnérables, enfance et réussite éducative », Dominique Versini et Pierre-Yves Madignier plaident pour le décloisonnement des dispositifs et l’amélioration de l’accompagnement des familles pauvres ou précaires afin de prévenir les ruptures familiales et de faciliter l’accès aux services collectifs. Adhérant à cette philosophie, le gouvernement veut donc donner une base légale aux centres parentaux, actuellement expérimentés (10), pour permettre d’accueillir des mères seules avec enfant et des couples avec enfant. L’accès aux crèches et aux cantines scolaires devrait en outre être facilité pour les enfants des familles modestes. Rappelons aussi que le gouvernement a, lors du comité interministériel aux droits des femmes du 30 novembre dernier, indiqué vouloir « fortement » développer la scolarisation des enfants de moins de 3 ans d’ici à 2015, notamment dans les zones d’éducation prioritaire, où elle devra concerner au moins 30 % d’une classe d’âge (11).
Enfin, parce qu’on dénombrait 2,7 millions d’enfants pauvres en 2010 (12), le Premier ministre va demander à Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille, de plancher sur une « amélioration conséquente des aides aux familles monoparentales et nombreuses confrontées à la pauvreté », en particulier de l’allocation de soutien familial (13) et du complément familial.
Le futur plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté comportera aussi un large volet consacré à l’accès aux soins. Le plafond de ressources à ne pas dépasser pour bénéficier de la couverture complémentaire universelle complémentaire (CMU-C) sera relevé de 7 % en 2013 afin de couvrir 500 000 personnes de plus. Coût de la mesure : 250 millions d’euros. En outre, dans le cadre de la lutte contre les déserts médicaux – pour laquelle un plan dédié devait être dévoilé le 13 décembre –, devraient être déployés des services publics locaux d’accès à la santé et des structures pluridisciplinaires, comme les centres et maisons de santé. Le gouvernement entend également impulser une nouvelle dynamique aux dispositifs d’accès aux droits, ou situés à la charnière des politiques sociales et médico-sociales, tels que les permanences d’accès aux soins de santé, les lits haltes soins santé ou les lits d’accueil médicalisés. A cette occasion, Jean-Marc Ayrault a souligné que, pour les personnes en situation de précarité, les enjeux de santé publique, comme la santé mentale ou la lutte contre les addictions, seront mieux pris en compte.
Cinq jours avant la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le gouvernement a remis au Parlement son traditionnel rapport sur la pauvreté en France (14).
En 2010, 8,6 millions de personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté (soit 14,1 % de la population, contre 13,5 % en 2009), c’est-à-dire avec moins de 964 € par mois (au lieu de 954 €). « L’augmentation de la pauvreté est due à la fois à la crise économique et financière qui perdure, mais aussi aux politiques stigmatisantes et inadéquates du gouvernement précédent », soulignent la ministre des Affaires sociales et sa ministre déléguée à la lutte contre l’exclusion dans un communiqué du même jour. Sont les plus touchés les moins de 18 ans (19,6 % en 2010), les familles monoparentales (32,2 %), les personnes immigrées (40,3 %), les chômeurs (36,4 %) ou encore les personnes résidant en zone urbaine sensible (36,1 %), relève le rapport. Ajoutant que, même si l’emploi à temps plein demeure un rempart contre la pauvreté, « le phénomène de travailleurs pauvres s’installe » : ceux-ci représenteraient 6,2 % de la population. Pour le gouvernement, ce phénomène s’explique « principalement par le caractère précaire de certains emplois, par la faiblesse du temps de travail et de certaines rémunérations, et par l’évolution de la composition des ménages ».
Alors que la pauvreté augmente, le taux de non-recours aux prestations sociales reste, lui, important fin 2010 : 68 % pour le revenu de solidarité active (RSA) « activité » (15), entre 10 et 24 % pour la couverture maladie universelle complémentaire et entre 53 et 67 % pour l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire santé (16).
(3) Certains partenaires européens, comme l’Allemagne, plaident en effet pour la suppression de ce programme – Voir en dernier lieu ASH n° 2748 du 24-02-12, p. 16.
(4) En effet, le vote du texte devrait prendre du temps. Pour mémoire, lors de son passage au Sénat, il a été rejeté par l’opposition et les communistes, ce qui nécessite de nouveaux débats. Sur la proposition de loi, voir ASH n° 2778 du 12-10-12, p. 12.
(5) Selon Matignon, le taux d’inflation devrait être de 1,75 % au 1er janvier 2013.
(6) La création de ce registre fait débat parmi les associations de consommateurs et de lutte contre le surendettement (voir ASH n° 2733 du 18-11-11, p. 9). Une mesure à laquelle Benoît Hamon, ministre délégué à la consommation, n’est d’ailleurs pas non plus très favorable.
(13) Dans un entretien accordé le 12 décembre au journal La Croix, la ministre des Droits des femmes propose de déplafonner l’allocation et de supprimer la condition préalable du non-versement de la pension alimentaire pendant deux mois.
(14) Rapport disponible sur
(15) Sur l’échec relatif du RSA, voir ASH n° 2786 du 7-12-12, p. 26.
(16) Sur les causes du non-recours, voir ASH n° 2763 du 8-06-12, p. 8.