Recevoir la newsletter

Travail de rue multidimensionnel

Article réservé aux abonnés

A Roubaix, la grande ville la plus pauvre de France, l’équipe de prévention Horizon 9 parie sur un accompagnement global du jeune, en prise avec le quartier et son environnement familial. Ce qui passe par un travail de proximité et de réseau, en plus du travail de rue.

Devant le local du club de prévention Horizon9, implanté dans une de ces petites maisons ouvrières typiques de Roubaix (1), un jeune homme attend. Il veut attraper au vol Panya Laksanamixay, éducateur spécialisé, pour le remercier. « C’était il y a un an, explique ce dernier. A la réunion de la commission technique locale où sont recensés tous les élèves décrocheurs, j’ai appris que le lycée Turgot ouvrait une filière bac professionnel en un an, pour ceux qui n’avaient pas eu leur bac. Je savais que ce jeune était prêt à reprendre ses études parce qu’il se rendait compte qu’il n’y avait pas de travail sans qualification. Je lui ai passé l’information et il a commencé sa formation il y a un mois. » Une vraie satisfaction pour cette équipe d’éducateurs de rue, et une illustration de la manière dont elle travaille, en associant le suivi individuel à une bonne utilisation des réseaux présents sur son territoire. « Nous avons trois modes d’intervention : la dynamique des quartiers, l’accompagnement collectif et l’accompagnement individuel », décrypte Panya Laksanamixay. Trois modes d’action qui, évidemment, interagissent entre eux. « Nous pouvons, par exemple, commencer un travail de groupe, qui glisse vers de l’individuel si c’est nécessaire. Ensuite, nous tentons de réinvestir le jeune dans le quartier. »

Horizon 9 est né en 2008 de la fusion de deux clubs de prévention : Génération Projets, qui œuvrait sur Wattrelos et Roubaix, et Promopop, à Hem, les trois villes étant voisines. La nouvelle association a été mandatée pour intervenir sur ces mêmes territoires par le conseil général du Nord, qui la finance à 100 % sur une mission de protection de l’enfance et de la famille. « La prévention spécialisée, ce n’est pas disperser des jeunes qui squattent devant un immeuble, au contraire de ce que peuvent croire certains maires », rappelle Albine Abdelkader, chef de service de l’équipe de Roubaix, venue du secteur de l’animation et titulaire d’un diplôme universitaire de hautes études en pratiques sociales.

UNE ÉQUIPE À L’IMAGE DE ROUBAIX

Albine Abdelkader dirige une équipe de neuf éducateurs spécialisés, diplômés ou faisant fonction. Parité hommes-femmes et mixage des origines sont autant de points auxquels elle veille. « C’est important, pour une question de représentativité, d’avoir une équipe à l’image de la ville, qui compte plus de 100 nationalités. Cela nous permet d’avoir des clés de compréhension. » Cela désarme aussi certains discours simplistes : « On ne peut pas dire que nous sommes racistes, puisque nous embauchons des personnes d’origines différentes, ni que nous sommes communautaires, puisqu’il y a aussi des gens de souche », dit la responsable en souriant. Les neuf éducateurs sont répartis entre les quatre quartiers dont s’occupe l’association : Moulin-Potennerie, le Pile, Sainte-Elisabeth, et les Trois-Ponts. Leurs principes de base : être identifiés et s’approprier le territoire dont ils s’occupent. « Nous gardons cependant un système d’équipe, parce que les jeunes bougent et se fichent des frontières », note Albine Abdelkader, qui réunit une fois par semaine les éducateurs pour faire le point. En complément, une séance de supervision est organisée chaque mois et une rencontre entre tous les salariés de l’association, qu’ils travaillent à Roubaix, à Wattrelos ou à Hem, est programmée tous les trimestres.

Le travail en réseau et en proximité, omniprésent, oblige à une forte planification hebdomadaire. Car les partenaires sont nombreux : maisons des jeunes, mission locale, centres sociaux, protection judiciaire de la jeunesse, service pénitentiaire d’insertion et de probation, associations sportives ou caritatives, comités de quartier… Bref, tout le tissu local existant, auquel s’ajoutent les collectivités territoriales et les administrations. Les travailleurs sociaux sont très mobilisés sur cette facette moins connue du travail de prévention : « Nous sommes présents dans toutes les commissions qui touchent notre public, les 12-25 ans », précise Albine Abdelkader. En plus de la commission technique locale mise en place par l’Education nationale dans le cadre du plan d’accompagnement régional et territorial pour l’avenir des jeunes (Partaj), l’association participe au groupement socio-éducatif qui rassemble les travailleurs sociaux intervenant sur Roubaix, au groupe de mobilisation vers l’emploi où sont présents mairie, mission locale et Pôle emploi – cela aide à avoir « une vision des métiers porteurs », souligne Albine Abdelkader – et au groupe de travail « animations territoriales jeunesses », qui coordonne toutes les actions en direction des jeunes. Sans oublier la commission collège-quartier, en collaboration avec le collège Van-der-Meersch, l’un des deux établissements du secteur. « Nous avons l’objectif de créer une continuité éducative, détaille Panya Laksanamixay. C’est important, car les professeurs voient le décor et nous, l’envers du décor. Ils ne perçoivent trop souvent chez les parents que leur aspect démissionnaire, mais quand on connaît les enjeux au sein des familles, on comprend que ceux-ci doivent hiérarchiser leurs priorités. » En effet, face au risque d’une expulsion du logement, que pèse une réunion parents-professeurs ?

UNE VILLE À 90 % EN ZONE URBAINE SENSIBLE

Pour les travailleurs sociaux d’Horizon9, c’est une certitude : même si elles grignotent le temps de travail de rue, ces réunions sont nécessaires. Selon Alain Malice, le directeur d’Horizon 9, l’insertion professionnelle des jeunes est un enjeu prioritaire : « L’emploi leur paraît tellement loin. Au collège, ils jugent inutile d’investir dans la scolarité puisqu’il y a peu de travail. Ils sont dans la méconnaissance des dispositifs. » Il faut donc se tenir informé pour eux. « Leur rêve n’est pourtant pas délirant : être dans la norme, travailler, se marier, avoir un enfant », poursuit le dirigeant. Les jeunes issus des quartiers populaires roubaisiens souffrent malheureusement d’un chômage d’exclusion lié à leur domiciliation et au parcours d’immigration de leur famille. Avec ses 95 000 habitants, Roubaix est la grande ville la plus pauvre de France : 46 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté (2) et le chômage des jeunes frôle les 50 %. « 90 % du territoire roubaisien est classé en zone urbaine sensible, rappelle Alain Malice. Ce qui n’existe dans aucune autre ville de cette taille. D’ouvrière, Roubaix s’est pourtant progressivement transformée en ville d’emploi tertiaire, voire tertiaire supérieur. Mais plus de la moitié des emplois sont occupés par des gens de l’extérieur. »

A Horizon 9, on fuit les clichés misérabilistes. « J’ai découvert ici un niveau de pauvreté que je n’avais jamais rencontré », reconnaît néanmoins Pierre Lauffer, éducateur de rue, en attente de décrocher son diplôme d’éducateur spécialisé. Originaire d’Alsace, il a pris son poste en mai. « En même temps, je n’avais jamais vu des activités sociales et associatives aussi florissantes. Il existe une dynamique assez incroyable, avec un foisonnement associatif spectaculaire à observer. » Panya Laksanamixay renchérit : « Roubaix est l’une des villes les plus cosmopolites de France. Cette diversité culturelle est une richesse qui crée de l’énergie. De plus, l’environnement précaire fait naître une réelle solidarité. »

A Moulin-Potennerie. Pierre Lauffer et Lucie Carette, éducatrice spécialisée, sont justement en travail de rue. Discussions sur les pas de porte, salutations cordiales… La présidente du comité de quartier, Frédérique Fournie, distribue dans les boîtes aux lettres le journal de son association. Elle rappelle au passage que le club de prévention a réussi à mobiliser un groupe de jeunes « qui font des difficultés dans le quartier ». Ils ont confectionné des gâteaux pour l’assemblée générale du comité de quartier. « J’ai bien pris soin de remercier chacun d’entre eux par respect et parce qu’ils ont besoin de reconnaissance. »

CHANGER LA REPRÉSENTATION DES JEUNES

Monter des projets collectifs pour changer la représentation des jeunes est l’un des trois axes de l’accompagnement effectué par Horizon 9. Il s’agit aussi que les adolescents acquièrent des compétences (savoir s’adresser à un adulte, par exemple) qui soient transposables dans leur vie personnelle et professionnelle. « Nous utilisons la pédagogie du projet en l’adossant sur la prévention spécialisée », résume Alain Malice. Mais le projet collectif peut être aussi utilisé dans un projet de reconquête d’espace. C’est ce qui s’est passé cet été, sur un terrain de jeux. « Il avait été détourné de sa fonction, raconte Pierre Lauffer. Les familles n’y allaient plus car il était occupé par des jeunes. Ce qui créait des tensions avec des habitants nouvellement arrivés dans le quartier et pas encore intégrés. » En juillet et en août, le club de prévention et d’autres partenaires du réseau ont organisé dans l’enclave des animations régulières. Cette démarche a été bien accueillie par les jeunes des familles anciennement installées, qui ont même participé à certaines activités. Le moment fort a été l’organisation d’une fête de quartier. « Les nouveaux habitants se sont mis en position d’accueil, avec la fabrication de cocktails qu’ils ont servis devant chez eux », raconte Pierre Lauffer. Ce qui a permis d’accélérer l’intégration des familles nouvelles et de calmer le jeu.

Désormais, l’endroit a retrouvé sa dimension ludique. « Les jeunes ont pris conscience que le terrain n’était pas un lieu qu’ils pouvaient s’approprier et les familles ont compris que les jeunes qui étaient là n’étaient pas forcément un danger », se félicite l’éducateur. L’équipe continue à y passer régulièrement. Le lieu est paisible, même si, à l’entrée du petit parc, quelques jeunes surveillent les allées et venues. Lucie entame la discussion avec les adolescentes présentes – qui surveillent leurs frères et sœurs – demande où en sont les uns et les autres, qui est avec qui, parle de respect entre hommes et femmes… Une manière de maintenir les acquis du projet collectif en tissant des liens, et de repérer les jeunes en difficulté, pour une future intervention plus ciblée.

Horizon 9 parie aussi sur la dynamique des quartiers, que l’association encourage – « elle permet aux familles de se remettre en mouvement », explique Marie-Odile Feuilloley, éducatrice spécialisée. L’un des projets emblématiques de cette autre forme d’accompagnement, c’est l’action « fruits et légumes » montée avec le comité de quartier de Sainte-Elisabeth. Un comité qui, moribond, a pu rebondir grâce à un projet proposé par Horizon 9. Une fois par mois, des habitants se retrouvent pour aller acheter en gros des fruits et des légumes, à prix plancher. « Il fallait remobiliser des bénévoles autour de ce comité de quartier. Grâce à ce projet, cinq personnes ont intégré le conseil d’administration », rajoute Marie-Odile Feuilloley. Dans le local, l’ambiance est joyeuse : bananes, choux-fleurs, laitues, avocats sont répartis pour être ensuite distribués aux 14 personnes inscrites. On en profite pour interroger Marie-Odile Feuilloley sur le remboursement des appareils auditifs par la caisse d’assurance maladie.

La dernière facette du travail de prévention est l’accompagnement individuel. Ce jour, Pierre Lauffer reçoit Farid, un collégien en situation irrégulière. L’adolescent a paniqué en recevant une lettre estampillée « République française ». Il s’agit d’une simple information envoyée par l’Education nationale pour la vérification des vaccins. Pierre Lauffer rassure le jeune garçon et lui demande où en sont ses démarches en vue d’obtenir une carte de séjour. Tout à l’heure, il l’aidera à s’inscrire à un club de football. Le visage du jeune homme s’éclaire. L’accompagnement est ici un contrat accepté de part et d’autre, avec une grande liberté d’action pour le travailleur social dans la prise en charge et la possibilité pour le jeune de refuser le suivi. Une souplesse de travail que les travailleurs sociaux d’Horizon 9 apprécient et revendiquent, pour rester au plus près du terrain dans les quartiers où ils interviennent.

UNE PRISE EN CHARGE PARFOIS QUESTIONNÉE

Cette prise en charge élargie qui englobe tout le contexte familial et social est la marque du projet éducatif d’Horizon 9. Elle est cependant parfois questionnée par des partenaires de l’association. « Les éducateurs sont présents au quotidien et peuvent être interpellés sur le trottoir, reconnaît Samir Hadjdoudou, animateur d’insertion et de lutte contre les exclusions au centre social de la Potennerie, mais il faudrait sans doute se reconcentrer sur les jeunes. » Pour lui, s’intéresser aux familles ou à la dynamique de quartier est une forme de glissement, et il regrette les partenariats qui pouvaient se mettre en place autour d’un groupe de jeunes dans une logique de prévention, entre autres pour organiser un séjour de rupture. « Aujourd’hui, dans huit cas sur dix, notre action devrait viser l’insertion professionnelle. Mais il est difficile de maintenir longtemps un jeune dans une dynamique qui débouche rarement sur un emploi. Aussi, je me demande si, en l’absence de réponses à donner à ces jeunes, on ne préfère pas finalement privilégier une autre approche », argumente-t-il. Le travail de l’association passe toujours par un maraudage important dans les rues et les espaces publics, réfute Albine Abdelkader, rappelant que le cœur du métier d’Horizon 9 reste la prévention spécialisée et son public, les 12-25ans. « La rue est un outil, insiste-t-elle. Nous allons chercher les gens là où ils sont, l’objectif étant d’être identifiés par tous ceux qui ne viennent pas dans les structures d’accueil. Le bouche à oreille fonctionne aussi très bien. » En 2011, son équipe a accompagné 300jeunes, dont la moitié de nouveaux entrants, 75 étant venus grâce au ouï-dire. « Dès qu’on a un problème, ils sont là », observe Valérie Paris, l’une des bénévoles de la distribution de fruits et légumes. Sa fille suivait les cours de boxe que le club de prévention anime au collège Van-der-Meersch. C’est ainsi qu’elle a rencontré Horizon 9. « Ils accompagnent mieux qu’une assistante sociale. Tu as un problème de véhicule, hop, ils t’emmènent. Va demander cela à un service social ! »

Il est 16 heures et les jeunes arrivent par vagues dans le local de l’équipe : ils viennent boire le café, imprimer un CV et, surtout, parler. Horizon 9 tient cet accueil deux jours par semaine, le mercredi de 15 heures à 18 heures et le jeudi de 16 heures à 18 heures. « Ils s’occupent de nous, mais nous ne sommes pas des gens en difficulté, tient à préciser Nassira (3). On vient leur parler quand on n’est pas bien. » Agée de 19ans, elle a arrêté l’école il y a trois ans et vit chez ses parents. Difficile de lui faire préciser ses souhaits professionnels. « C’est Roubaix, c’est complexe, ici, surtout quand on est de culture arabe, quand on est une fille, on n’a pas vraiment sa liberté. » Les éducateurs l’aiguillonnent mais ne la pressent pas. Arrive une autre jeune fille, du même âge, éclatante d’énergie. Elle accomplit son service civique et y trouve son bonheur. Là aussi, c’est Horizon 9 qui a ouvert la porte. « Sans eux, je n’aurais jamais su que cela existait. » Yasmine a décidé de se lancer dans le travail social. « Comme j’ai été aidée, j’ai envie d’aider à mon tour. »

Notes

(1) Horizon 9 (équipe de Roubaix) : 30, rue Rocroi – 59100 Roubaix – Tél. 03 20 98 75 24.

(2) Selon une étude du bureau Compas réalisée sur les 100 plus grandes villes de France, le seuil de pauvreté étant inférieur à 954 € de revenus mensuels pour un ménage, après prestations sociales mais avant impôts.

(3) Les prénoms ont été modifiés.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur