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« La coopérative d’habitants est une réponse à la question du logement abordable »

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Embryonnaires en France, les coopératives d’habitants se développent depuis plusieurs années en Italie, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Pour le politologue Yann Maury, qui pilote la création d’une chaire universitaire sur le sujet, ces organisations constituent une alternative pour permettre aux plus démunis de produire eux-mêmes leurs logements.
Qu’est-ce qu’une coopérative d’habitants ?

Cette sorte d’organisation ne relève pas d’une simple démarche du type problème-solution. Elle implique une redistribution du pouvoir, avec des habitants qui ne sont plus considérés seulement comme des clients ou des administrés. La personne devient acteur de son propre changement. Les coopératives d’habitants s’inscrivent dans un mouvement de pensée qui a émergé en Europe à la fin du XIXesiècle autour de la coopération sociale. Situé quelque part entre l’idéologie du libre-échange et la régulation par l’Etat, le coopératisme vise à permettre à la société civile de s’auto-organiser, de trouver des réponses équilibrées et équitables à des questions ayant trait au logement mais aussi à la création d’activités économiques. A la fin du XIXesiècle, un certain nombre d’initiatives avaient déjà émergé avec le chartisme en Angleterre. Aujourd’hui, les expériences essaiment dans différents pays.

Comment fonctionnent ces coopératives ?

Leurs membres sont des gens poussés par une nécessité absolue de se loger. Ce sont souvent des familles victimes d’expulsion ou encore de jeunes adultes en errance sociale. Lorsque vous vous retrouvez sur le trottoir, il faut bien trouver une solution. A Rome, des habitants, appuyés notamment par des organisations de défense du droit au logement, se sont mobilisés en occupant des bâtiments publics laissés vacants (1). Ils étaient dans l’illégalité, puis un travail de lobbying a été mené avec l’aide de différentes organisations auprès des collectivités locales. Cela a pris des années, mais on est passé de la situation d’illégalité initiale à un statut de coopérative. En Italie, les régions ont la compétence en matière de logement. Et dans le Lazio, en 1998, un texte a été voté à l’unanimité aux termes duquel une communauté humaine est en droit de s’installer dans un bâtiment public laissé vacant, à condition qu’elle se transforme en coopérative. Cette communauté devient alors une instance juridiquement reconnue, ayant capacité à signer des contrats, à souscrire des assurances… Toutefois, il ne s’agit pas d’une remise en cause du droit de propriété. Le propriétaire reste l’organisme public. La coopérative ne dispose que de l’usage des locaux. Ses membres prennent en charge la remise en état et la redistribution des lieux, si nécessaire. La coopérative signe une convention avec le propriétaire précisant les modalités d’occupation du lieu. Elle doit aussi présenter un avant-projet ainsi qu’un planning de travaux.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de ces coopératives ?

C’est d’abord ce passage, sous l’effet d’un rapport de forces, d’une occupation illégale à une situation légale. L’autre aspect positif du système est que les habitants sont perçus comme une ressource, et non comme un handicap ou un problème. Pour bien comprendre le fonctionnement de ces coopératives, il faut en effet passer de la notion de financement à celle de ressources. Cela permet de prendre en compte le capital financier, mais aussi le capital social, à savoir l’apport en temps de travail, en relations sociales, en confiance… qui sont déterminants pour mener à bien une telle aventure.

Où ces communautés trouvent-elles l’apport financier nécessaire ?

L’intérêt du conventionnement, par exemple avec la ville de Rome, est d’obtenir plus facilement des prêts bancaires grâce à la caution d’un organisme public. Ces prêts sont négociés directement par la coopérative, et non individuellement par chacun des occupants. On se trouve bien là dans un rééquilibrage des forces. Bien entendu, chacun doit ensuite participer au remboursement de l’emprunt et au paiement des charges. Pour les bailleurs publics, l’avantage est que des bâtiments laissés à l’abandon, voire en situation d’insalubrité, mais souvent bien placés dans le tissu urbain, sont remis à neuf. De plus, les familles qui y vivent utilisent les commerces et les services de proximité. On est donc aussi dans un processus de redynamisation de la ville.

Les expériences anglaises sont-elles très différentes ?

Celles que j’ai étudiées, épaulées par la Community Self Build Agency, consistent en projets d’autoconstructions intégrales (2). On part de terrains nus, sur lesquels on construit de petits programmes d’une douzaine de logements neufs. Ce qui est passionnant, c’est que ces coopératives regroupent un public a priori très difficile : des jeunes de 18 à 25ans, sans emploi, souvent toxicomanes, en rupture de liens familiaux. Il s’agit de bien plus que de créer son logement. Ces personnes déstructurées, manquant de confiance en elles, deviennent véritablement acteurs des projets en prenant en main les pelles, les pioches, les marteaux. Les délais de construction sont extrêmement courts – en moyenne, deux ans – et chaque projet s’adosse à des professionnels du logement. Au final, ces jeunes qui étaient en errance ont un toit au-dessus de la tête et sont souvent embauchés par les entreprises de gros-œuvre avec lesquelles ils ont travaillé. La réussite est donc aussi en termes d’emplois, y compris à Londres, la ville par excellence de la spéculation immobilière.

Les Community Land Trusts fonctionnent-ils de la même manière ?

Avec les millions de saisies immobilières qui ont suivi la crise des subprimes, on assiste aux Etats-Unis à une renaissance de cette forme ancienne de coopérative d’habitants. Son apparition remonte aux chartistes anglais, pour lesquels la solution au problème du logement des ouvriers était l’accès à la terre. A l’époque, 150compagnies avaient été créées pour acquérir des terrains sur lesquels des villages coopératifs étaient bâtis. Chaque occupant devenait actionnaire de la compagnie. Les Community Land Trusts actuels sont issus de cette expérience. Ils reposent sur trois grands principes. Le premier est le découplage entre la propriété de la terre et celle des bâtiments. La terre est perçue comme un bien commun inaliénable. La coopérative est donc propriétaire du sol, jamais l’habitant. Le deuxième principe est que, pour éviter toute spéculation immobilière, les occupants peuvent revendre leurs biens mais jamais au prix du marché. La plus-value maximale autorisée est de 25 % par rapport au prix d’achat initial. C’est équitable car cela tient compte des travaux qui ont pu être effectués, mais aussi de l’usure du logement. Et cela permet de maintenir le logement dans un statut de logement abordable. Enfin, le troisième principe concerne le fonctionnement même de la communauté, afin d’éviter que des membres du trust en prennent le contrôle. Les Américains, très sensibles à l’équilibre des pouvoirs, répartissent le pouvoir en trois tiers entre les membres de la coopérative, des riverains ou des représentants de la collectivité locale et des personnes ressources pouvant aider le trust à se développer. L’une des communautés pionnières, située dans l’Etat du Vermont, au nord de New York, a ainsi créé plusieurs centaines de logements et plusieurs centaines d’emplois liés en partie à la production de l’habitat.

Et de tels projets existent-ils en France ?

Pas pour le moment, mais des initiatives commencent à voir le jour ici et là. Le modèle de la coopérative d’habitat est tout à fait transposable chez nous, sauf qu’il ne peut pas être décrété. Il doit partir des gens eux-mêmes. En Italie et dans les pays anglo-saxons, on a davantage l’habitude de laisser la société civile s’auto-organiser. En France, je crains que l’on soit incapable de laisser se réaliser de tels projets libérant les énergies créatrices des populations. Nous sommes sans doute trop jacobins pour cela. D’autant que la situation est verrouillée dans le domaine du logement. Les seuls véritables interlocuteurs de l’Etat sont les bailleurs privés et surtout les représentants des HLM, en situation de monopole. L’Etat n’est plus en mesure de dicter la règle du jeu. Et puis la France s’épuise à développer son système d’hébergement pour les personnes sans logement. Mais c’est une fausse solution à la question du logement abordable. La coopérative d’habitants constitue de mon point de vue une bonne réponse, car il s’agit d’un modèle cohérent assis sur une véritable pensée politique.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Politologue, Yann Maury est professeur à l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat-Université de Lyon. Chercheur au laboratoire Craterre, il a publié Les coopératives d’habitants. Méthodes, pratiques et formes d’un autre habitat populaire (Ed. Bruylant, 2e édition, 2011). Il pilote le projet de chaire « Habitat coopératif et coopération sociale », retenu par la région Rhône-Alpes.

Notes

(1) Voir sur Youtube la vidéo « La_bocca_della_verita_maury _yann_2011 ».

(2) Voir sur Youtube la vidéo « L’art de refaire son intérieur ».

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