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Régularisation des étrangers sans papiers : le point sur les critères

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La circulaire visant à clarifier les critères de régularisation au cas par cas des étrangers sans papiers est parue. Les parents d’enfants scolarisés, les conjoints d’étrangers en situation régulière, les jeunes majeurs et les salariés sont au premier rang des personnes concernées.

La circulaire – très attendue – de Manuel Valls censée répondre à la promesse de campagne de François Hollande de définir des critères « objectifs » et « clairs » de régularisation des personnes sans papiers est enfin parue. Entrée en vigueur le 3 décembre 2012, elle est destinée à éclairer les préfets dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qui leur est reconnu en matière d’admission exceptionnelle au séjour. Elle abroge partiellement ou entièrement pas moins de six circulaires diffusées entre 2005 et 2009.

L’exposé des motifs du texte éclaire sur sa philosophie. Ainsi, il « n’a pas vocation à augmenter le nombre de personnes régularisées chaque année – sauf peut-être un léger accroissement temporaire, pour tenir compte des situations les plus difficiles laissées par la majorité précédente », écrit le ministre de l’Intérieur. « L’admission au séjour d’étrangers en situation irrégulière est une mesure dérogatoire, qui doit demeurer l’exception. » Toutefois, « certains étrangers ont, du fait de l’intensité des liens familiaux, professionnels et personnels qu’ils ont tissés en France, vocation à pouvoir y vivre légalement ». Et c’est à ces situations, « souvent inextricables », que la circulaire entend apporter une réponse la plus claire possible afin que les personnes concernées puissent, selon les cas, se voir délivrer un titre de séjour portant, dans la plupart des cas, soit la mention « vie privée et familiale », soit la mention « salarié » ou « travailleur temporaire ». Cette circulaire, insiste Manuel Valls dans l’exposé des motifs, reste « exigeante ». Elle s’adresse en effet, « sauf rares exceptions », à des étrangers installés depuis « au moins 5 ans » en France. Elle vise, en outre, exclusivement des personnes qui « n’ont pas commis de troubles à l’ordre public, ne sont pas en situation de polygamie et respectent les valeurs de la République ». Enfin, la « maîtrise orale élémentaire de la langue française » est également une condition indispensable à remplir. A ce socle commun de critères s’en ajoutent d’autres, différents selon la situation des personnes.

A. Régularisation au titre des liens personnels et familiaux en France

Différentes catégories d’étrangers en situation irrégulière sont susceptibles de se voir délivrer, en raison de leurs liens personnels et familiaux en France, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » : parents d’enfants scolarisés, conjoints d’étrangers en situation régulière, jeunes majeurs… La circulaire précise, pour chacun, les critères particuliers que les préfets doivent prendre en compte dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation et en se fondant sur l’article L. 313-11 7° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).

La circulaire revient également sur la possibilité, pour les préfets, de délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale » à un clandestin au titre de motifs exceptionnels et de considérations humanitaires.

1. LES PARENTS D’ENFANTS SCOLARISÉS

Les parents sans papiers d’un ou de plusieurs enfants scolarisés peuvent prétendre à une régularisation. La circulaire précise à cet égard, dans une formule un peu alambiquée, que la circonstance que les deux parents se trouvent en situation irrégulière « peut ne pas faire obstacle à leur admission au séjour ». Manuel Valls est plus direct dans l’exposé des motifs : « le fait que les deux parents soient en situation irrégulière ne constituera pas un obstacle ».

Pour apprécier la demande d’un parent et décider, ainsi, de lui délivrer ou non une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », les préfets sont invités à prendre en compte les critères cumulatifs suivants :

→ une vie familiale caractérisée par une installation durable du demandeur sur le territoire français, « qui ne pourra être qu’exceptionnellement inférieure à 5 ans » ;

→ une scolarisation en cours à la date du dépôt de la demande d’admission au séjour d’au moins un des enfants depuis au moins 3 ans, « y compris en école maternelle ».

Si le demandeur est séparé de l’autre parent, l’intéressé doit établir, en plus, contribuer effectivement à l’entretien et l’éducation de l’enfant, ces éléments étant présumés en cas de vie commune.

Le ministre rappelle, au passage, qu’au titre de l’article L. 313-11 7° du Ceseda, la vie privée et familiale s’apprécie au regard de la réalité des liens personnels et familiaux établis en France par les intéressés, de leur ancienneté, de leur intensité et de leur stabilité. Elle implique aussi une bonne capacité d’insertion dans la société française, « ce qui suppose, sauf cas exceptionnel, une maîtrise orale au moins élémentaire de la langue française ». Maîtrise qui pourra être appréciée au regard de la capacité de l’étranger à s’exprimer soit lors du dépôt de son dossier, soit au moment de la remise du récépissé, précise la circulaire.

2. LES CONJOINTS D’ÉTRANGERS EN SITUATION RÉGULIÈRE

Les conjoints d’étrangers en situation régulière qui ne répondent pas entièrement aux critères ouvrant droit au regroupement familial peuvent également faire l’objet d’une admission exceptionnelle au séjour. En effet, explique Manuel Valls aux préfets, « le droit au respect de la vie privée et familiale de ces personnes doit vous conduire à apprécier si elles peuvent se prévaloir d’une vie privée et familiale sur le territoire français suffisamment stable, ancienne et intense au point qu’une décision de refus serait de nature à porter à ce droit une atteinte disproportionnée ».

Le ministre précise à cet égard, « de manière indicative », qu’une durée de 5 ans de présence en France et une durée de 18 mois de vie commune du couple « peuvent constituer des critères d’appréciation pertinents ».

Les conditions d’existence et l’insertion des intéressés dans la société française – notamment par la maîtrise élémentaire de la langue française – doivent également être prises en compte.

3. LES MINEURS DEVENUS MAJEURS

Les préfets sont invités à procéder à un « examen particulièrement attentif » des demandes d’admission exceptionnelle au séjour déposées par des étrangers entrés mineurs en France pour rejoindre leur famille procheet qui, une fois parvenus à leur majorité, se retrouvent exclus de tout droit au séjour.

Public visé : les étrangers pouvant justifier, d’une part, d’au moins 2 ans de présence en France à la date de leur 18e anniversaire – il s’agit autrement dit de jeunes entrés en France avant l’âge de 16 ans – et, d’autre part, d’un parcours scolaire assidu et sérieux.

Le ministre demande aux représentants de l’Etat d’apprécier la stabilité et l’intensité des liens développés par le jeune majeur sur le sol français en tenant compte, « selon les circonstances propres à chaque cas », non seulement du fait que l’essentiel de ses liens privés ou familiaux se trouvent en France et non dans son pays d’origine mais aussi qu’il est à la charge effective de la cellule familiale en France. « La régularité du séjour d’un des parents du mineur devenu majeur constituera un élément d’appréciation favorable », précise la circulaire.

En outre, si l’intéressé dispose de l’ensemble de sa famille proche en France, en situation régulière, qu’il demeure effectivement à la charge de celle-ci et est engagé dans un parcours scolaire avec assiduité et sérieux, les préfets pourront lui délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale » même s’il est entré sur le territoire après avoir atteint l’âge de 16 ans.

Au passage, le ministre rappelle aux préfets qu’il leur est possible, dans une appréciation au cas par cas, de délivrer une carte de séjour portant la mention « étudiant » à l’étranger en situation irrégulière qui poursuit des études supérieures. Une option que Manuel Valls les invite à retenir à l’égard d’un mineur devenu majeur qui ne peut pas attester que ses attaches privées et familiales se trouvent principalement en France mais qui, scolarisé depuis au moins l’âge de 16 ans sur le territoire, y poursuit des études supérieures de manière assidue et sérieuse.

4. MOTIFS EXCEPTIONNELS ET CIRCONSTANCES HUMANITAIRES

La circulaire rappelle que, en vertu de l’article L. 313-14 du Ceseda, sauf menace à l’ordre public, une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » peut être délivrée à un clandestin au titre :

→ soit d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité, par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique ;

→ soit de circonstances humanitaires particulières justifiant la délivrance d’un titre de séjour. Dans l’exposé des motifs de la circulaire, le ministère donne l’exemple de l’enfant d’un étranger en situation de handicap ou de maladie.

On notera qu’une « attention particulière » est demandée s’agissant de l’admission au séjour de victimes de violences conjugales ou victimes de la traite des êtres humains. S’agissant plus précisément de ces dernières, Manuel Valls souligne qu’il tient au « respect scrupuleux » de l’article R. 316-2 du Ceseda relatif à l’admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains qui coopèrent avec les autorités judiciaires. Et rappelle en particulier, l’existence d’un délai de réflexion de 30 jours pendant lequel aucune mesure d’éloignement ne peut être prise ni exécutée, afin de permettre à un étranger susceptible d’être reconnu victime des faits de traite d’êtres humains de décider s’il se place ou non sous la protection des autorités judiciaires et dépose plainte à cet effet.

B. Régularisation au titre des liens professionnels en France

La circulaire précise, pour les unifier, les critères que le préfet doit prendre en compte pour permettre l’admission au séjour d’étrangers en situation irrégulière au titre du travail.

Peuvent ainsi voir leur demande d’admission exceptionnelle appréciée favorablement les étrangers qui :

→ justifient d’une ancienneté de séjour « significative », qui ne pourra qu’exceptionnellement être inférieure à 5 années de présence effective en France ;

→ démontrent avoir travaillé au moins 8 mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou 30 mois, consécutifs ou non, sur les 5 dernières années ;

→ sont en mesure de présenter une promesse d’embauche ou un contrat de travail ainsi que le formulaire par lequel l’employeur s’engage à verser la taxe due pour l’emploi d’un étranger en France (taxe au profit de l’Office français de l’immigration et de l’intégration).

On notera toutefois que le ministre de l’Intérieur autorise les préfets à prendre en compte une ancienneté de séjour de 3 ans en France dès lors que l’intéressé peut attester d’une activité professionnelle de 24 mois dont 8, consécutifs ou non, dans les 12 derniers mois.

La circulaire délivre par ailleurs des consignes détaillées concernant l’instruction des dossiers, demandant notamment aux préfets de privilégier les situations où l’étranger bénéficie d’un contrat à durée indéterminée ou, à tout le moins, en cas de contrat à durée déterminée, de s’assurer d’un engagement sérieux de l’employeur en ne retenant que les contrats d’une durée égale ou supérieure à 6 mois.

Le texte envisage également un certain nombre de cas particuliers. Par exemple, le ministre autorise les préfets à délivrer un récépissé de carte de séjour temporaire « salarié » – renouvelable une seule fois – à un étranger qui justifie d’une durée de présence particulièrement significative et du versement effectif de salaires attestant une activité professionnelle égale ou supérieure à 12 mois, consécutifs ou non, au cours des 3 dernières années, mais qui ne présente ni contrat de travail, ni promesse d’embauche. L’idée étant de lui permettre de rechercher un emploi et de l’autoriser à travailler.

Ce qu’il faut retenir

Durée de présence en France. 5 ans de présence en France sont exigés dans la plupart des cas.

Parents d’enfant scolarisé. Un enfant scolarisé depuis au moins 3 ans peut permettre la régularisation d’un parent sans papiers.

Conjoints d’étrangers. 18 mois de vie commune peuvent constituer un critère d’appréciation pertinent pour les conjoints d’étrangers en situation régulière.

Jeunes majeurs. Les jeunes majeurs doivent prouver 2 ans de scolarisation assidue et sérieuse en France.

Etrangers salariés. Une ancienneté dans le travail de 8 mois sur les 2 dernières années ou de 30 mois sur les 5 dernières années est, entre autres, exigée des salariés sans papiers.

La justification de l’ancienneté de la résidence

L’appréciation de l’ancienneté de la résidence habituelle en France de l’étranger demandeur d’une régularisation est une question sensible. Les pièces produites par le demandeur doivent en effet « constituer un faisceau d’indices suffisamment fiable et probant » de nature à emporter l’« intime conviction » des services compétents. Dans un souci d’homogénéité des pratiques, la circulaire demande aux préfets de s’appuyer, afin de construire ce faisceau d’indices, sur une classification distinguant les preuves de présence en fonction de leur degré de fiabilité. Constituent ainsi des preuves certaines les documents émanant d’une administration publique (service social et sanitaire, établissement scolaire, juridiction, attestation d’inscription à l’aide médicale de l’Etat, avis d’imposition sauf s’il n’indique aucun revenu perçu en France…). Présentent une « valeur probante réelle » les documents remis par une institution privée (bulletins de salaire, relevé bancaire présentant des mouvements, certificat médical de médecine de ville…). Enfin, ont une « valeur probante limitée » les documents personnels comme l’attestation d’un proche ou une enveloppe avec adresse libellée au nom du demandeur du titre de séjour. Le ministre de l’Intérieur recommande aux représentants de l’Etat de considérer que 2 preuves certaines par an attestent d’une présence en France. Ajoutant toutefois que des preuves « de valeur moindre mais en grand nombre et de nature différente » peuvent aussi « attester d’une présence réelle quand bien même l’intéressé ne pourrait présenter de preuve certaine sur l’année ».

Les mineurs étrangers isolés

La circulaire s’arrête également sur la situation des mineurs étrangers isolés. Elle rappelle notamment aux préfets que l’article L. 313-15 du Ceseda leur permet de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » à ceux qui, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de 16 et de 18 ans, sont engagés dans une formation professionnelle qualifiante. Le ministre autorise aussi les représentants de l’Etat à délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant », en application de leur pouvoir discrétionnaire, aux mineurs étrangers isolés qui poursuivent des études secondaires ou universitaires avec assiduité et sérieux. Enfin, Manuel Valls évoque la nature des liens du mineur isolé avec sa famille restée dans le pays d’origine, réserve possible à sa régularisation. Le pensionnaire de la Place Beauvau demande ainsi expressément aux préfets de ne pas opposer systématiquement ce critère « si ces liens sont inexistants, ténus ou profondément dégradés ».

Un goût d’inachevé pour les associations

« Satisfaction, regret et vigilance », trois mots qui reflètent les sentiments de France terre d’asile. « Satisfaction », d’une part, parce qu’« il y avait un grand arbitraire dans les préfectures concernant les conditions de régularisation des sans-papiers. Cette circulaire va clarifier la situation dans les territoires. » « Regret », en revanche, pour les familles – 5 ans de résidence en France et 3 ans de scolarisation des enfants pour obtenir des papiers –, car « les nouvelles mesures sont plus restrictives que ce qu’avait décidé Nicolas Sarkozy en 2006 ». Enfin « vigilance » puisqu’il faudra veiller à « l’effectivité de cette circulaire en préfecture, aux délais de traitement et à la méthode d’accompagnement des familles, des travailleurs et des jeunes concernés par la mesure ». La Cimade est plus sévère. « C’est la loi qu’il faut refonder, estime l’association. Une circulaire ne peut suffire car elle n’est pas opposable devant une juridiction. » Un étranger à qui l’on refuserait d’appliquer un des critères ne pourra pas contester la décision du préfet devant un juge, fait-elle valoir. L’association craint donc un traitement hétérogène des dossiers selon les guichets. « Il s’agit d’une régularisation de Gribouille », commente de son côté RESF (Réseau éducation sans frontières). L’association reconnaît toutefois quelques avancées, notamment pour les jeunes majeurs, puisque la circulaire permet de régulariser les jeunes entrés en France avant 16 ans, contre 13 auparavant. « Mais cette possibilité est assortie de conditions qui en limitent la portée », pointe-t-elle. Tous ceux qui ne répondront pas aux exigences se verront « au mieux » délivrer un titre « étudiant », « dont chacun sait qu’il ne règle rien à terme ». Mais quid du devenir des jeunes venus rejoindre un frère, une sœur, et dont les parents sont encore dans le pays d’origine ou de ceux qui ont terminé leurs études et qui ne peuvent donc trouver un emploi ?, s’interroge RESF. Les Amoureux au ban public regrettent quant à eux l’absence de disposition relative à la régularisation des étrangers mariés à un(e) Française(e).

Pour les travailleurs sans papiers, il faut encore aller plus loin, estime enfin la CGT. « Maintenir une durée de présence de 5 ans voire de 7 ans pour permettre aux salariés d’être régularisés, laisse aux employeurs une main-d’œuvre dans une situation de subordination exorbitante pendant de longues années », regrette le syndicat.

Eléonore Varini

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