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RSA : grande ambition, grande déception

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Mauvais arbitrages, lourdeur bureaucratique, manque de moyens pour l’accompagnement… Le revenu de solidarité active (RSA) est loin du bel outil de lutte contre la pauvreté promis il y a cinq ans. La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale des 10 et 11 décembre devrait étudier sa remise à plat.

En période de disette budgétaire, le gouvernement Ayrault ac­cordera-t-il au RSA davantage qu’une retouche ? Cette mesure phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy devrait être remise sur le métier lors de la conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale des 10 et 11 dé­cembre, en vue du grand plan quinquennal attendu dans la foulée.

Au cœur de la réflexion sur l’accès aux droits et les minima sociaux – objet de l’un des sept rapports préparatoires (voir ce numéro, page 15) –, le dispositif n’a, de fait, pas rempli ses promesses de réduction de la pauvreté. Créé par la loi du 1er décembre 2008 d’après une idée de la commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté » présidée par Martin Hirsch en 2005, il visait pourtant un triple objectif : lever les freins monétaires au retour à l’emploi des allocataires de l’ex-RMI liés aux « effets de seuil », résorber la pauvreté laborieuse et renforcer l’aide à l’insertion. Principale innovation, le RSA « activité » permet de cumuler jusqu’à un certain seuil une allocation avec ses revenus du travail (1).

Mais la déception est à la hauteur des ambitions. Selon le rapport final du comité d’évaluation du RSA remis au gouvernement fin décembre 2011, le dispositif n’a pas eu d’impact significatif sur le retour à l’emploi. En 2010, environ 150 000 personnes avaient franchi le seuil de pauvreté grâce au RSA. Un résultat loin des 700 000 annoncées. Seuls 480 000 foyers percevaient le RSA « activité » en juin 2012, quand 1,5 million avait été prévu.

Pourquoi le dispositif est-il si loin du compte ? En période de crise, le pouvoir « incitatif » attribué au RSA « activité » a d’abord buté sur le marché de l’emploi. Pour Patrick Boulte, vice-président de ­Solidarités nouvelles face au chômage, ce faux espoir constitue même le péché originel de la réforme. « Le gouvernement de l’époque a vendu ce complément de revenu comme une incitation au retour à l’emploi, selon un concept nord-européen de l’activation. Or ce dispositif a surtout tenté d’améliorer les revenus des salariés qui enchaînent les contrats précaires, en raison de la segmentation structurelle du marché de l’emploi ! » Selon le comité d’évaluation, le revenu annuel médian des ménages ayant perçu au moins une fois dans l’année le RSA « activité » s’est effectivement accru de 7 % en moyenne. Mais cette volonté de redistribution envers les travailleurs pauvres s’est heurtée à un carcan idéologique, analyse quant à lui Nicolas Duvoux, maître de conférence en sociologie à l’université Paris-Descartes et ancien membre du comité d’évaluation. D’une part, le RSA reste « attaché au pilier assistanciel de la protection sociale qui n’agit pas réellement sur les causes ». D’autre part, « avec l’idée que l’incitation financière allait mathématiquement permettre de retrouver du travail, le RSA a, par des considérations très techniques, isolé le dispositif de son contexte plus large. Il a ainsi participé à la dépolitisation de la lutte contre la pauvreté. »

« BÊTE BUREAUCRATIQUE »

Le revenu de solidarité active s’est, de surcroît, trouvé prisonnier de sa technicité et n’a pas atteint sa cible : près de 70 % des personnes qui pourraient prétendre au RSA « activité » ne le demandent pas ! Parce qu’ils sont mal informés, redoutent d’être stigmatisés ou sont rebutés par les complexités administratives, la plupart des allocataires potentiels renoncent à un droit dont le montant moyen s’établit à 170 €. « Ce qui est ressorti du Parlement est une bête bureaucratique considérable ! », lance Julien Damon, professeur associé à Sciences-Po, ancien chef du service « Questions sociales » au Centre d’analyse stratégique. « Il n’y aura pas d’amélioration sans simplification radicale des minima sociaux pour arriver à une stabilisation et à une lisibilité des droits. » Ce qui doit en priorité passer, souligne-t-il, par la fusion du RSA avec l’allocation de solidarité spécifique et la prime pour l’emploi.

A la complexité du système s’ajoutent sa lourdeur et son manque de réactivité. Puisque les droits sont calculés selon une déclaration de ressources trimestrielles, une personne qui a retravaillé peut voir son allocation revue à la baisse à un moment où elle ne perçoit plus de salaire. Or les contrats à temps partiel et d’une courte durée sont justement le lot d’une grande partie des allocataires. « L’imprévisibilité des conséquences des chan­ge­ments de situation professionnelle a souvent des effets graves pour les ménages du RSA “activité” sur le plan financier », analyse la Mission régionale Rhône-Alpes d’information sur l’exclusion (MRIE) (2). Elle pointe également le paradoxe que représente la prise en compte de certains revenus du foyer, comme les ressources d’un jeune en apprentissage.

Autre point noir : la perte des « droits connexes », notamment la couverture maladie universelle complémentaire, à laquelle les allocataires sont désormais éligibles selon des critères de ressources et non plus de statut. « Le seuil à partir duquel les droits connexes sont perdus est très rapidement atteint », expliquent dans une étude du Centre d’études pour l’emploi les chercheurs Dominique Méda et Bernard Gomel (3). Selon eux, les effets de seuil n’ont pas été supprimés, mais seulement déplacés, ce qui amène certains « à reprendre de l’activité mais en petite quantité ou d’une durée très courte » de manière à ne pas perdre leurs droits. « Quand les aides au logement versées au bailleur diminuent, les allocataires découvrent que leur quittance de loyer a augmenté à un moment où ils peuvent ne plus avoir de travail. Ces situations entraînent des découragements et des problèmes d’impayés », témoigne également Véronique Radier, assistante de service social de secteur.

MOYENS SOUS-DIMENSIONNÉS

Pour Jean-Claude Mancipoz, ancien président de l’Association des directeurs de caisses d’allocations familiales (CAF), une déclaration des ressources mensuelle serait néanmoins difficile à effectuer sans moyens supplémentaires : « On a voulu créer un dispositif extrêmement personnalisé, sans en payer le prix en termes de gestion. » Pour pallier le problème, ATD quart monde préconise des recalculs moins fréquents. « Comme le marché du travail est très précaire, les prestations le deviennent aussi, ce qui est contraire à l’esprit d’un revenu de dignité », déplore Bruno Tardieu, délégué national d’ATD quart monde. Justifiés par la politique de lutte contre la fraude, les croisements de fichiers multiplient en outre les procédures pour indus, déclenchées par de simples erreurs ou incohérences dans les déclarations.

Reste la question de l’accompagnement vers l’insertion, que la réforme était également censée améliorer. Si le co-pilotage à trois têtes a amené les principaux acteurs – conseils généraux, CAF, Pôle emploi – à penser de nouveaux partenariats, ce volet a été pénalisé par les rigidités de la loi et des moyens en berne. Dans son enquête menée auprès des travailleurs sociaux de son réseau, la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) relève que l’instauration du référent unique provoque paradoxalement des difficultés d’accompagnement, « surtout lorsqu’il s’agit de Pôle emploi », qui n’a pas eu les moyens d’absorber cette charge supplémentaire en pleine montée du chômage. « Auparavant, nous instruisions le RSA dans les centres médico-sociaux et nous informions les usagers de leurs droits. Ils s’inscrivaient alors dans un parcours continu. Aujourd’hui, ils sont ballottés entre la CAF, les services sociaux et Pôle emploi, ajoute Natacha Renaud, assistante sociale de secteur. Ils ont du mal à y voir clair dans la notion de référent, de correspondant… Au final, ils sont souvent perdus dans la nature ! »

Par ailleurs, les départements ont ­compris plus ou moins tardivement que le système d’orientation binaire défini par le législateur – l’une prioritaire, vers l’accompagnement professionnel, l’autre subsidiaire, vers l’accompagnement social –, ne pouvait pas fonctionner. « Alors que la réforme devait rompre la séparation entre allocation et insertion, c’est le contraire qui s’est produit avec la segmentation des publics, analyse Olivier Noblecourt, administrateur de l’Unccas (Union nationale des centres communaux d’action sociale) et vice-président du CCAS de Grenoble. Il aura fallu quatre ans pour que la prise de conscience progresse sur la logique de parcours, mais les situations sont hétérogènes dans les départements. L’Etat devrait désormais dire clairement quelles sont les bonnes organisations à prendre ! » Dans les conseils généraux, les choses sont en train de se reconfigurer, notamment en faveur de l’accompagnement socio-professionnel, constate Augustin Rossi, chargé de mission à l’Assemblée des départements de France. Une orientation qui implique néanmoins « que le volume des contrats aidés soient pérennisé en fonction des besoins, et non de la conjoncture… »

Le CCAS de Tourcoing (Nord) tente ainsi, avec le conseil général, de réintroduire du sens dans les parcours, notamment à travers les contrats aidés. « Mais il reste des progrès à faire sur l’accès à la formation. C’est plus compliqué aujourd’hui car les circuits de prescription passent davantage par Pôle emploi », nuance Christelle François, responsable du service « insertion sociale RSA » au CCAS.

ENKYSTEMENT

Ces réajustements auraient pu être anticipés si l’expérimentation du dispositif lancée en 2007 n’avait pas été prématurément interrompue. Le conseil général de l’Eure, le premier à avoir testé le dispositif, a dès le départ mis en place des plateformes communes d’orientation (avec la CAF et Pôle emploi) et, en plus des référents professionnels ou sociaux, une trentaine de référents socio-professionnels (équivalents temps plein) dans le secteur de l’insertion par l’activité économique. La fonction de correspondant, prévue par la loi, devrait en théorie permettre de continuer à suivre les 60 % d’allocataires dirigés vers Pôle emploi. « Mais elle demande beaucoup de coordination et est difficile à mettre en œuvre », relève Janick Léger, présidente de la commission « solidarité » au conseil général. L’illusion d’un accès rapide au travail de tous a aussi fait long feu. « J’ai le sentiment qu’il y a moins de réorientations vers Pôle emploi au sein des équipes pluridisciplinaires », ajoute-t-elle. Le département du Rhône travaille quant à lui avec une centaine de structures d’insertion, en majorité associatives, finance une cinquantaine de postes de conseillers à Pôle emploi et mène des expérimentations avec le monde de l’entreprise. Selon Albéric de Lavernée, vice-président du conseil général chargé de l’intégration sociale, la solution est d’adapter les réponses « dans le cadre du pacte territorial d’insertion, en s’autorisant tous les leviers d’action ». Y compris le très controversé contrat unique d’insertion de sept heures…

Il n’empêche, les bilans sur le parcours des allocataires manquent. Si 63 % des personnes que la MRIE a interrogées et qui ont bénéficié d’un accompagnement estiment que ce dernier les a aidées, la mission relève surtout une tendance à « l’enkystement » des situations, surtout pour les personnes depuis longtemps au RSA « socle ». « Il apparaît que la sortie du dispositif n’est positive que pour une poignée de personnes et que la majorité des allocataires du RSA en mars 2010 vit toujours une situation de pauvreté » 18 mois plus tard. Selon la MRIE, « le RSA peut être un coup de pouce à un moment donné pour certains, pour d’autres il est une situation durable, y compris le RSA “activité” qui accompagne la précarisation de l’emploi ».

PAS PLUS DE RÉPONSES

C’est aussi l’avis de la CGT des organismes sociaux, qui déplore en outre une pression accrue sur les allocataires, sans que les politiques publiques répondent aux besoins. Pour ceux sans emploi ou dont les revenus du travail sont inférieurs à 500 e, le non-respect du projet personnalisé d’accès à l’emploi ou du contrat d’engagement réciproque peut entraîner la suspension de tout ou partie du RSA. Et les départements qui recourent largement à ces sanctions les présentent comme un « facteur de mobilisation » des personnes en difficulté. Ce cadre coercitif a dénaturé la relation d’aide, regrette Chantal Mazzieri, assistante sociale à la CAF du XVe arrondissement de Marseille, qui accompagne les allocataires touchant le RSA « majoré », soit les familles mono­parentales. Avant la réforme, ces dernières n’étaient pas soumises à la contractualisation. « Elles sollicitaient les dispositifs parce qu’elles avaient un projet inscrit dans la réalité et la durée. On travaillait à la fois sur l’insertion et l’aide à la fonction parentale. Aujourd’hui, on a monté une usine à gaz et il n’y a toujours pas plus de réponses pour lever les freins au retour à l’emploi (garde d’enfants, logement, santé…). En revanche, il y a de plus en plus de sanctions si les allocataires ne remplissent pas leurs obligations, souvent sans mauvaise volonté. Les personnes hébergées chez des tiers, par exemple, peuvent changer d’adresse et ne pas recevoir les convocations ! Le dispositif n’est pas adapté à la précarité des situations. » Face à leurs contraintes financières, aux transferts de charges non financés et à l’explosion du nombre d’allocataires du RSA « socle », « beaucoup de départements ont mis l’accent sur le contrôle, en faisant des économies sur l’insertion, sur un fond de présomption de culpabilité des ménages », ajoute Anne-Marie Meynard, animatrice du Collectif national des travailleurs sociaux de la CGT des organismes sociaux et secrétaire départementale de la CGT des Bouches-du-Rhône.

Les situations sont toutefois inégales. La Seine-Saint-Denis s’apprête à voir ses dépenses d’allocation grimper de 6 % pour 2013 (84 000 allocataires), après une hausse durant ces trois dernières années. Le conseil général continue de se montrer volontariste, notamment en finançant des structures municipales dans le cadre de « projets ville RSA », mais en appelle à une réforme urgente du mécanisme de compensation de l’Etat pour sauver ses capacités d’action.

Reste le plus gros à faire pour les plus éloignés de l’emploi. A Nanterre, l’ASSOL (Association de solidarité pour l’emploi, la formation et la créativité) assure, par convention avec le conseil général, l’accompagnement social des allocataires sans domicile fixe, pour qui le plus urgent est l’accès à l’hébergement ou au logement d’insertion. L’assistante sociale est à la fois instructeur et référent unique, ce qui permet de gagner les deux, trois ou quatre mois, généralement nécessaires entre l’ouverture des droits et le démarrage du suivi. « Mais les moyens et les outils d’accompagnement manquent », souligne Lydie Boulau, chargée d’épauler une centaine d’allocataires. Solliciter une formation qui n’est pas déjà pré-financée est une gageure et l’utilisation de l’aide personnalisée de retour à l’emploi est souvent subordonnée à un recrutement.

Autre sujet majeur : le montant du RSA « socle » – 474,93 € (avant prise en compte de l’aide au logement) pour une personne seule. Les associations, comme le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, réclament sa revalorisation pour rattraper le décrochage du minima social en 25 ans : à sa création, le RMI représentait 50 % du SMIC, contre 42 % aujourd’hui. L’ONPES (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale) s’est quant à lui emparé des travaux européens sur la définition, par typologies de ménages et à partir de groupes socio-économiques de parole, d’un panier de biens et de services jugés essentiels pour vivre décemment. Une recherche vient de démarrer avec le Crédoc et l’Institut de recherches éco­nomiques et sociales. « Il s’agit de se réinterroger sur la philosophie d’un minimum social, sur l’enjeu d’une vie digne dont le principe est inscrit dans les textes européens, et de son articulation avec les politiques publiques », explique Jean-Pierre Bultez, membre de l’ONPES, qui devrait se pencher sur le sujet jusqu’à la fin 2013. Mais la question des minima sociaux n’épuise pas celle de la pauvreté en France et laisse entiers les problèmes de fond comme l’accès à l’emploi et les inégalités de répartition des richesses.

A Grenoble, une maison pour les allocataires

Améliorer l’accès à l’information, aux droits, les relations entre les institutions et les usagers, et tenter de corriger le système. Tels sont les projets, certes ambitieux, de la maison des allocataires du RSA, installée en juin 2012 à Grenoble. « Dans l’Isère, les allocataires se sont emparés des dispositions sur la participation des usagers avec l’aide du conseil général qui a créé des forums territoriaux, explique Alain Guézou, l’un de ceux qui ont porté l’initiative et une liste RSA (Réussir son avenir) aux dernières élections législatives. A Grenoble, qui couvre cinq territoires, nous avons demandé un local qui puisse servir de lieu de ressources et de rencontres. » Le conseil général a mis à disposition des cinq forums un local, animé par un noyau dur d’allocataires. Pendant l’été, la maison du RSA avait déjà reçu une cinquantaine de personnes venues chercher des informations ou des contacts pour sortir de leur isolement. A son actif, la participation à un groupe de travail qui a permis de co-rédiger les nouveaux documents du conseil général et de la CAF sur le RSA. Au-delà de la résolution de cas individuels – rattrapage de droits, suspensions, erreurs administratives –, la maison revendique des modifications du dispositif. Elle s’est battue pour le rétablissement par la CAF de l’avance sur droits supposés, obtenu sous certaines conditions. Elle a aussi fait remplacer, pour les allocataires sans chéquier, le système de caution qui bloquait leur accès aux vélos en libre service de la ville.

Notes

(1) Les allocataires conservent un revenu forfaitaire (ex-RMI ou allocation pour parent isolé), augmenté de 62 % des revenus d’activité jusqu’à un certain seuil de ressources, équivalant à un peu plus du SMIC pour un célibataire.

(2) Dans son rapport « RSA et pauvreté » – Septembre 2012 – Disp. www.mrie.org/mission-regionale-information-exclusion.

(3) « Le RSA : innovation ou réforme technocratique ? » – Disp. sur www.cee-recherche.fr.

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