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Conférence contre l’exclusion : les associations réclament un « choc anti-pauvreté »

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Mobilisés depuis près de deux mois par la préparation de la conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, les acteurs de la lutte contre l’exclusion attendent des mesures ambitieuses et des moyens à la hauteur des enjeux.

Que ressortira-t-il des travaux de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale des 10 et 11 décembre et des sept rapports remis aux ministres pour l’alimenter (1) ? Pendant moins de deux mois, des groupes de travail réunissant des représentants des associations, des personnes en situation de pauvreté, des collectivités locales et des institutions ont planché sur la préparation des sept ateliers, dont 11 ministres au total doivent assurer la présidence ou la coprésidence. Au terme d’un débat éclair (réduit à un après-midi sur les deux demi-journées de la conférence), le Premier ministre devrait annoncer les grandes lignes de son plan quinquennal avant la présentation de ce dernier en conseil des ministres, fin décembre ou début janvier.

L’idée, qui ne figurait pas dans le programme de campagne du président, avait été décrochée par le collectif Alerte lors d’un rendez-vous avec le candidat ­Hollande. Cinq mois après l’installation du gouvernement, mais seulement après le grand « sommet social » de juillet, le Premier ministre réunissait le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale pour confirmer la tenue de l’événement. Un signe politique fort, alors que le dernier comité interministériel de lutte contre l’exclusion remonte à 2006, même si les associations espèrent, dans le contexte budgétaire actuel, que la montagne n’accouchera pas d’une souris.

Elles se félicitent d’ores et déjà du portage interministériel des travaux, à plusieurs exceptions près. « Les représentants des personnes handicapées sont très mécontents de ne pas avoir été associés, les migrants ont été oubliés ainsi que les sortants de prison. Un signe que ces trois catégories de population sont mal traitées par les politiques sociales », souligne Bruno Grouès, conseiller spécial auprès du directeur général de l’Uniopss et coordonnateur du collectif Alerte. Tandis que la participation des personnes en situation de pauvreté est en revanche saluée, les partenaires sociaux, seulement conviés aux travaux sur l’emploi, « nous ont manqué », ajoute-t-il, rejoignant, sur ce point, le mécontentement de la CGT.

Revaloriser le RSA

Pour les acteurs de l’action sociale, les attentes sont fortes. « On assiste depuis plusieurs années à une dégradation des dispositifs et à une transformation de la population en situation de pauvreté. L’effet ciseaux est en train de s’aggraver », explique Michel Legros, vice-président du conseil des formations de l’Ecole des hautes études en santé publique, membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et chargé du groupe de travail « santé et accès aux soins ». Après la priorité à l’accès aux droits de la loi de 1998 et l’accent mis sur l’accès au logement et le retour au travail durant le précédent quinquennat, « il faut remettre en route les dispositifs qui existent, en tenant compte des effets de la crise et des inégalités ». Les sept rapports, dont les propositions ne sont pas toutes nouvelles, convergent sur la nécessité de mieux évaluer les besoins, de sortir des enchevêtrements de dispositifs et de mieux accompagner les publics. Fait plutôt rare, l’intervention sociale figurait d’ailleurs en bonne place des sujets de réflexion prescrits par le Premier ministre dans sa lettre de mission générale.

Sachant que ramener les ménages pauvres (14 % de la population) au-dessus du seuil de pauvreté mobiliserait 15 milliards d’euros, les propositions des groupes de travail sont loin d’être indolores pour les finances publiques. L’une des plus ambitieuses, et des plus consensuelles, formulée par le groupe de travail sur l’accès aux droits et les minima sociaux : la remise à niveau du RSA (revenu de solidarité active) à la valeur du RMI à sa création, en 1988, soit la moitié du SMIC. Ce qui équivaudrait à une revalorisation de 25 %, d’un coût de plus de 3 milliards d’euros. « Le RSA “socle” a perdu son objectif, qui n’est pas de permettre de se concentrer sur sa survie, mais sur sa reconstruction », défend Bruno Tardieu, délégué national d’ATD quart monde. Prudent, le groupe retient l’hypothèse, pour y parvenir, d’une augmentation de 15 % sur le quinquennat, à laquelle s’ajouterait un mode d’indexation plus favorable. Et propose des solutions de financement : renoncer à la prime de Noël pour les allocataires et exclure de la revalorisation le RSA majoré. Pour résoudre le taux de non-recours au RSA activité (70 %), deux pistes sont suggérées : soit l’aménager, notamment par sa mensualisation, soit le remplacer par une « prime pour l’emploi rénovée ». Si cette option est privilégiée par ceux, comme la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), qui l’estiment non « réformable », le rapport demande au gouvernement de se prononcer au premier semestre 2013. Pour favoriser l’accès des jeunes au RSA (seulement 9 000 allocataires), il propose de déverrouiller les conditions d’activité. Il demande, par ailleurs, d’étudier la mise enœuvre d’un « parcours contractuel animé par les missions locales », sur le modèle de l’ancien dispositif TRACE.

Changer le regard

Plus globalement, le groupe de travail s’est penché sur l’amélioration de l’indexation des prestations, la continuité des droits et la gestion des indus. Concernant les prestations familiales, il renvoie au Haut Conseil de la famille le soin d’« intégrer, dans l’étude qu’il réalisera au premier semestre 2013 sur l’avenir de la branche famille, l’objectif d’intensifier la lutte contre la pauvreté des familles ». Il suggère encore la réalisation d’un référentiel de prestations et de coûts pour la domiciliation, ainsi qu’un groupe de travail ou une mission pour « renforcer le travail social collectif et la formation à l’intervention sociale d’intérêt collectif ».

La lutte contre la stigmatisation passe­rait, selon le rapport, par des campagnes d’information. Un regret, pour ATD quart monde : « Nous avons demandé la ratification du protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui interdit la discrimination sociale. Mais cette référence est devenue une note de bas de page ! », déplore Bruno Tardieu. Dans une lettre ouverte au Premier ministre, le MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires) fait part de ses déceptions et relève qu’aucune de ses propositions n’a été retenue, notamment la revalorisation immédiate de 250 € de l’ensemble des minima sociaux et l’extension de ces derniers aux jeunes qui sortent du système scolaire.

Moins d’enfants pauvres

Autre proposition phare du groupe de travail « Familles vulnérables, enfance et réussite éducative » : créer un « choc anti-pauvreté » en remplaçant le quotient familial par un crédit d’impôt universel, afin que chaque famille se voie attribuer, quels que soient ses revenus, un montant de 715 € par an et par enfant dès le premier enfant. Une mesure qui, selon le groupe, pourrait faire baisser de 3,6 % le taux de pauvreté des enfants (un sur cinq est concerné). La proposition est d’autant plus courageuse qu’elle ne fait pas l’unanimité. L’Union nationale des associations familiales s’y oppose. La mise en place de « projets de territoire pour l’enfance », ainsi que le rapprochement entre le monde éducatif et les familles, figurent également parmi les propositions.

Beaucoup est évidemment attendu sur le front de l’hébergement et de l’accès au logement. « Il est néanmoins curieux d’avoir traité cette question sans la lier à la politique de l’asile, aucune association spécialisée sur les migrants n’ayant été conviée », déplore Florent Guéguen, directeur général de la FNARS. Au-delà, le rapport se veut offensif en appelant à un « choc de solidarité ». Alors que la mise en œuvre d’un plan pluriannuel a déjà été promise, le groupe de travail a fait le choix de concentrer ses propositions nouvelles sur l’année 2013.

Estimant à 40 000 le nombre de ménages qui, pour une moitié, sont privés d’hébergement et, pour l’autre, sont reconnus prioritaires « DALO » et sans réponse, il propose de dégager les besoins nécessaires : 10 000 solutions en logement ordinaire ou accompagné, 10 000 en hébergement (dont 5 000 en centre d’accueil pour demandeurs d’asile) et 20 000 solutions de logement par la mobilisation des préfets et du parc privé. « Dès 2013, une capacité supplémentaire d’accompagnement pour 5 000 ménages devra être financée par l’Etat », ajoute le rapport, rappelant qu’il faut clarifier la répartition des compétences entre l’Etat et les départements.

Des plateformes territoriales d’accompagnement sont préconisées. La revalorisation des aides au logement, l’adaptation des loyers aux ressources des ménages et la nécessité d’établir, sans plus attendre, des diagnostics territoriaux sont également abordées. Le rapport émet l’idée d’évaluer les préfets sur des indicateurs de lutte contre l’exclusion et le mal-logement. « Il faut réinvestir la puissance publique et il faut des moyens politiques, martèle Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre, qui a copiloté avec Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, le groupe de travail. Le Premier ministre nous a réaffirmé ses engagements lors de notre rencontre du 29 novembre, sans nous dire comment il allait s’y prendre. Nous sommes un peu inquiets ! » Tandis que la FNARS publiait de nouveaux chiffres alarmants de son « baromètre 115 hivernal » (le taux de réponses négatives aux demandes d’hébergement a atteint 78 % en novembre), le Collectif des associations unies et la Coordination nationale des professionnels de l’urgence sociale appelaient à une nouvelle mobilisation le 5 décembre. « Il y a depuis juillet un décalage entre les annonces ministérielles et la sortie effective d’une gestion saisonnière de l’urgence », ajoute Florent Guéguen.

Etendre la CMU

Le groupe de travail « Santé et accès aux soins » a, lui, insisté sur la réduction des inégalités sociales de santé, en préconisant des indicateurs sur le sujet. Il recommande la mise en place d’un « service public local de l’accès à la santé », en renforçant notamment les structures de première ligne que sont les permanences d’accès aux soins de santé. Le groupe de travail préconise, par ailleurs, une meilleure indexation de la couverture maladie universelle (CMU) et de la CMU complémentaire, un relèvement du plafond de cette dernière et une revalorisation du panier de soins de la CMU. Sans insister sur la demande récurrente des associations – la fusion de la CMU avec l’aide médicale de l’Etat (à laquelle le Fonds CMU n’est pas favorable) –, le rapport plaide pour un aménagement de l’AME, en améliorant notamment les procédures de domiciliation.

Sur l’inclusion bancaire et la lutte contre le surendettement, le groupe de travail reprend les principales mesures du manifeste porté par le Secours catholique, la Croix-Rouge et l’Union nationale des centres communaux d’action sociale. Il préconise la mise en place d’un « Institut pour l’inclusion bancaire », indépendant, chargé d’observer les pratiques des établissements et la définition de critères d’identification des personnes en situation de fragilité financière. Il promeut la création de « points conseils budget » chargés de l’accompagnement des ménages, l’adaptation des produits et services bancaires aux populations en difficulté, un mécanisme de « détection précoce » des difficultés financières (dans les établissements bancaires et chez les créanciers) et la modification des règles relatives aux frais d’incident. Quant au registre national des crédits aux particuliers, « qui a fait l’objet d’une longue discussion au sein du groupe de travail », François Soulage, président du Secours catholique et du groupe de travail, a proposé qu’il puisse être créé dans une version simplifiée.

La pénalisation du recours aux emplois précaires, l’amélioration des moyens de Pôle emploi et des outils de l’insertion par l’activité économique font partie des préconisations du groupe de travail « Emploi, travail, formation professionnelle ». Il demande que, d’ici à la fin de la législature, environ 6 milliards d’euros supplémentaires soient consacrés à l’accès à l’emploi et à la formation professionnelle des personnes en situation de pauvreté. Et, sans progrès d’ici à deux ans, d’organiser un débat sur le principe d’un volume déterminé de recrutement de chômeurs de longue durée par les entreprises et les administrations, sous peine d’une taxe reversée au profit de l’insertion.

Décloisonner l’action publique

La promotion du « développement social territorialisé », avec le département pour chef de file, figure au cœur des propositions du groupe de travail « Gouvernance des politiques de solidarité ». Il souhaite également le décloisonnement de l’action publique, la reconnaissance de l’innovation sociale et la participation systématique des personnes en situation de pauvreté aux instances de décision. Sur le travail social, il plaide pour la mise en place, au sein du service départemental d’action sociale, de « cellules de référents spécialisés sur toutes les problématiques de l’exclusion », voire de plateformes de ressources mobilisables par les acteurs locaux. Tout en soutenant la reconnaissance des diplômes de travail social et la création de Hautes Ecoles professionnelles d’action sociale et de santé, il propose de remplacer les « super-mémoires individuels » par la validation de projets collectifs dans les épreuves de synthèse des diplômes. Enfin, le rapport rappelle la demande associative d’un débat annuel au Parlement sur la mise en œuvre du futur plan quinquennal. Le 11 décembre, le processus ne fera que commencer, précise François Soulage. « Après les premières annonces du Premier ministre, il y aura des arbitrages, et nous sentirons bien ce sur quoi nous devrons nous mobiliser. »

Notes

(1) Disponibles sur www.social-sante.gouv.fr.

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