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Reprendre souffle

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Dans l’Essonne, le dernier sanatorium de France prend soin des patients atteints de tuberculose sévère et en grande précarité. Un lieu thérapeutique où le médical et le social sont étroitement liés.

« Je suis en France depuis quatre mois, raconte Issa Gravé, penché sur son cahier d’exercices. Je suis tombé malade très rapidement après mon arrivée, mais la tuberculose, je ne savais pas vraiment ce que c’était. » Dans la petite salle de classe installée au rez-de-chaussée du pavillon Petit-Fontainebleau, le jeune Sénégalais profite de son hospitalisation pour apprendre à lire et à écrire. Quelques tables plus loin, Amina C., la cinquantaine, s’initie à l’usage de l’informatique en recopiant un conte africain sur le traitement de texte de l’ordinateur, ravie de ce nouvel apprentissage avec lequel elle pourra épater ses petits-enfants quand elle sera de retour chez elle. « Mais il ne faut pas me prendre en photo, ni citer mon nom, insiste-t-elle. Si on apprenait au pays que j’ai cette maladie, je pourrais tout perdre, moi qui suis commerçante. » Allant de l’un à l’autre, Régine Lavaud, animatrice et chargée d’alphabétisation au sanatorium de Bligny, à Briis-sous-Forges (1), encadre leurs progrès.

L’établissement a été créé en 1900 pour la prise en charge des malades tuberculeux de la région parisienne. Depuis, avec le développement des traitements antibiotiques, les sanatoriums ont progressivement disparu en France. Celui du centre médical de Bligny, un établissement privé participant au service public hospitalier, est le dernier qui subsiste. Des 500 lits initialement installés il ne reste plus que 62, répartis en deux services dédiés à la tuberculose. Ils accueillent des patients venus de toute la France et même d’ailleurs. « On soigne ici les malades les plus sévèrement atteints, ceux qui sont victimes d’une souche multirésistante, voire ultrarésistante, ainsi que les patients les plus précaires », explique le docteur Nathalie Métivier, chef du pôle médecine et maladies infectieuses. Le reste de l’établissement pavillonnaire, installé sur une colline joliment boisée de l’Essonne aux abords du petit village de Fontenay-lès-Briis, est consacré aux activités de cardiologie, d’hématologie-oncologie, de pneumologie, de dermatologie et de soins de suite.

UNE PRISE EN CHARGE COUPLÉE

« Contrairement aux autres services du centre médical de Bligny, le sanatorium, c’est pratiquement un patient-un dossier social », résume Catherine Reverdy, l’une des deux assistantes de service social du sanatorium. En 2009, en effet, 92 % des patients avaient eu recours à leurs services. Sa collègue Laurence Huon et elle sont chacune chargées de l’un des deux étages du bâtiment consacré au soin des patients tuberculeux. « Nous sommes à mi-temps, car prendre en charge à temps plein 62lits, ce serait le burnout assuré », affirme Catherine Reverdy.

Compte tenu de la proportion élevée de patients étrangers, les deux assistantes sociales doivent gérer de nombreuses situations irrégulières, des ouvertures de droits, des identités falsifiées, des demandes d’aide juridique ou d’autorisation de séjour pour soins et des situations souvent compliquées par les barrières linguistiques et culturelles. Pour les autres patients, français ou en situation régulière, il s’agira de suivre les dossiers RSA, de s’assurer du maintien de leur hébergement, éventuellement de monter des dossiers de surendettement ou de demande de logement social.

BEAUCOUP DE PATIENTS PRIMO-ARRIVANTS

« Mais beaucoup de nos patients sont des primo-arrivants qui viennent en France pour se faire soigner », précise Catherine Reverdy. Ils sont d’abord pris en charge dans un hôpital, où le diagnostic est effectué, puis orientés vers le sanatorium. Cette orientation médicale est généralement décidée lorsque la durée d’isolement imposée par la contagiosité de l’infection est supérieure à deux semaines et que le patient ne possède pas de domicile stable où il peut vivre seul. « Nous avons parfois des étudiants ou des personnes issues des classes moyennes et supérieures, mais souvent les personnes les mieux insérées sont aussi celles chez qui la maladie est détectée au plus tôt, remarque Nathalie Métivier. Leur état de santé étant moins dégradé, elles ne restent pas longtemps avec nous. » Ainsi, si la durée moyenne de séjour est de 70jours, certains patients peuvent rester hospitalisés jusqu’à un an, voire dix-huit mois.

D’où la nécessité des deux animateurs de l’équipe. Outre Régine Lavaud, active tous les matins dans la salle de classe, le sanatorium bénéficie depuis peu de la présence de Rodolphe Barbier, animateur socio-éducatif. Il est présent cinq demi-journées par semaine dans la salle d’animation, à l’école ou dans la salle informatique. « Pour moi, il s’agit surtout de favoriser la socialisation autour de jeux de société, de sorties parfois, explique-t-il. Quand ils arrivent, les malades passent parfois plusieurs semaines et, pour certains, des mois en isolement strict, sans pouvoir sortir de leur chambre. » L’animateur convie également certains patients du service des soins de suite à ces après-midi ludiques. Sa présence permet aussi à Régine Lavaud de passer dans les chambres des patients en isolement strict pour évaluer leurs besoins en matière d’apprentissage du français ou d’alphabétisation et leur proposer quelques exercices ou l’acquisition d’un peu de vocabulaire. « Le premier objectif est qu’ils puissent communiquer avec les soignants », précise l’animatrice. Bien sûr, au besoin, l’équipe soignante peut également faire appel aux autres patients ou à une association d’interprètes qui interviennent parfois par téléphone. « Nous avons aussi nos propres ressources linguistiques, ajoute Gaspard Manesse, infirmier au sanatorium depuis cinq ans. Deux de nos agents des services hospitaliers parlent le portugais et le russe. Et moi je parle anglais et italien. »

Ce matin-là, Régine monte voir NataliaV., une patiente ukrainienne hospitalisée à Bligny depuis un mois. A l’entrée de la chambre, un petit panneau précise quel masque doit porter l’animatrice pour se prémunir contre le risque de contagion. La patiente elle-même s’équipe lorsque Régine se présente à sa porte. Ensemble, elles travaillent sur les jours de la semaine, les mois, les saisons… Le deuxième rendez-vous de l’animatrice est fixé dans la chambre de Madi Diaby. Parfaitement inséré et francophone, ce Malien, père de deux enfants, vit et travaille en France depuis douze ans. « Mais si je veux pouvoir aider mes enfants qui vont entrer à l’école, il me faut quand même retravailler certaines choses », reconnaît-il.

DES AFFICHETTES TRADUITES EN 20 LANGUES

Le contact est évidemment facilité avec les patients originaires de pays francophones. Mais ils arrivent désormais de toutes parts, comme en témoignent certaines affichettes dans le service, traduites en une vingtaine de langues (tamoul, thaï, créole, mongol, russe, etc.). Récemment, la proportion de patients originaires des pays de l’Est, notamment de Géorgie, a augmenté et, avec eux, le nombre de cas de tuberculose multirésistante, plus longue et difficile à soigner. « C’est très clair, il y a une forme de filière qui s’est créée, note Nathalie Métivier. Car si des traitements sont disponibles théoriquement dans les pays de l’Est, le système de santé est tellement dépassé qu’il est impossible d’apporter l’éducation thérapeutique nécessaire. »

Concrètement, le traitement d’une tuberculose pulmonaire simple consiste à prendre un ou plusieurs antibiotiques à heure fixe, et souvent des compléments ou des thérapeutiques à même de modérer les effets secondaires du traitement (2). A Bligny, la médication est administrée selon la méthode DOT (Directly Observed Therapy, c’est-à-dire « sous le regard d’un soignant »). Les malades apprennent à repérer les effets secondaires, à distinguer les différentes pilules, à connaître la posologie de leur traitement, à prendre soin de leur alimentation globale… La difficulté résulte souvent de la durée du traitement, qui doit être pris pendant au moins six mois, et parfois jusqu’à dix-huit, voire vingt-quatre mois. « Six mois, c’est déjà extrêmement long, souligne Nathalie Métivier. Et cela rappelle sans cesse la maladie, alors même que la santé perçue par le patient peut s’améliorer au bout de un à deux mois. »

Certains effets secondaires peuvent également se révéler particulièrement désagréables. En conséquence, le risque est élevé, pour ceux qui n’auraient pas été correctement informés, de cesser la thérapeutique lorsqu’ils se sentent mieux. Un risque encore majoré pour une personne dont les conditions de vie sont précaires ou en proie à une addiction. Environ 20 % des patients du sanatorium souffrent également d’alcoolisme ou de toxicomanie. « Ici, on remet sur pied des personnes qui arrivent dans un état déplorable, témoigne Gaspard Manesse. C’est impressionnant. Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, si la personne replonge dans l’alcool dès sa sortie, ce qui n’est pas rare, la poursuite du traitement passe au second plan. »

C’est un peu ce qui est arrivé à Yannick René, 55ans, originaire de Tours, qui pédale ce vendredi matin dans la salle de gym du service sur un vélo d’appartement, sous les yeux de son kiné, histoire de se « refaire du muscle ». Il y a un an, il a été hospitalisé une première fois au sanatorium. « Quand je suis sorti, au bout de six mois, j’ai été confronté au décès de ma sœur et je suis retombé dans l’alcoolisme, résume-t-il. J’ai cessé de prendre mon traitement. » Résultat, à la fin de l’été 2012, il est de nouveau admis au sanatorium avec un poids de 36kilos et incapable de marcher… Yannick dispose d’un logement, ce qui explique que sa sortie ait été autorisée, une fois son état de santé stabilisé. « Les patients peuvent quitter le sanatorium lorsqu’ils ont bien compris leur traitement et intégré le fait qu’ils resteront malades parfois jusqu’à deux ans au total, explique Franck Robert, cadre de soins. Il faut aussi que tous leurs droits sociaux soient ouverts, afin qu’ils puissent se procurer leur traitement. » Mais pour beaucoup de patients, la sortie est également conditionnée par une orientation vers une solution d’hébergement plus ou moins stable. « C’est pourquoi l’équipe soignante et médicale est constamment en lien avec les assistantes de service social », précise Nathalie Métivier.

Chaque matinée débute d’ailleurs par une réunion informelle autour d’un café où se rencontrent le cadre de soins du service, les médecins, les assistantes sociales, les animateurs. « C’est conçu comme un moment de convivialité, note Franck Robert. Mais on finit toujours par échanger au sujet de nos patients, surtout les nouveaux arrivés. » Les assistantes de service social sont également présentes aux réunions de staff du mardi après-midi, où sont revus les projets thérapeutiques globaux des patients. « Ces moments sont très importants car, pour les patients que nous accueillons, le médical est intimement lié au social, affirme Catherine Reverdy. Tous, nous voyons d’eux une facette différente et, souvent, ils se comportent différemment en fonction de ce qu’ils attendent de chacun de nous. Certains abordent avec moi leurs symptômes somatiques et vont formuler des demandes d’ordre social auprès de l’infirmière… »

Les solutions de sortie, pour des patients sans domicile fixe, sont toujours envisagées en lien avec l’équipe mobile de lutte contre la tuberculose du SAMU social. Celle-ci assiste d’ailleurs tous les quinze jours à une réunion avec le staff du sanatorium afin de faire le point sur les situations individuelles. « Nous pouvons ainsi préserver les places en CHRS dont certains patients bénéficiaient avant leur hospitalisation, proposer un accueil en lits halte soins santé, en attendant un mode d’hébergement plus stable, développe Nadia Dos Reis, conseillère en économie sociale et familiale au sein de l’équipe mobile. Et ce suivi nous permet également de connaître les patients qui ont des difficultés avec l’hébergement collectif et auprès de qui nous aurons probablement à prendre le relais après la sortie. » Les autres solutions de sortie que le service social tente de mobiliser sont les appartements de coordination thérapeutique pour les personnes présentant une coïnfection VIH, les hôtels au mois pour ceux qui ont un emploi ou des ressources régulières, voire le transfert en maison de retraite pour les patients les plus âgés. « Mais, en premier lieu, nous tentons toujours le retour au domicile ou chez un tiers, assure Catherine Reverdy. C’est pourquoi nous incitons nos patients à préserver le lien avec leurs proches, via les appels téléphoniques et les permissions. » De même, la salle informatique est très utile. On y retrouve souvent les patients étrangers en train de consulter leurs courriels, de chatter ou de visionner en ligne des photos de leur famille restée au pays.

UN ÉTABLISSEMENT ISOLÉ

Même pour ceux qui ont de la famille en France, recevoir des visites n’est pas facile, car le sanatorium est très isolé. « Pour aller à Paris, par exemple, il faut prendre un bus (dont la fréquence est limitée) ou un taxi, puis le RER, détaille Catherine Reverdy. C’est au moins une heure. Mais si la famille vient d’une autre banlieue, voire d’une autre ville de France, c’est d’autant plus long. » Lorsque les patients ne sont plus contagieux et ont recouvré une certaine forme physique, des permissions de vingt-quatre heures peuvent être accordées à ceux qui savent où dormir. « Nous les préparons ensemble, je ­m’assure qu’il y a bien quelqu’un pour les accueillir et je peux parfois prendre en charge le transport en commun », poursuit l’assistante sociale. Le service social dispose d’un petit budget pour cela. « Mais avec 200 € mensuels, nous sommes très limités, alors nous réservons ce budget pour les personnes qui ont à mener des démarches sociales. » Par ailleurs, pour les patients qui possèdent des ressources, un vaguemestre assermenté est disponible dans l’hôpital pour aller leur retirer de l’argent. Enfin, il arrive que les assistantes sociales formulent des demandes de secours exception­nel auprès de la direction. Lorsque celles-ci sont accordées, elles permettent de solder une dette de loyer et d’éviter une expulsion, ou bien de financer les demandes de titres de séjour.

« Mais je pense que nous sommes là avant tout pour pousser les patients vers l’autonomie, ajoute l’assistante sociale. L’hôpital est très cadrant, voire infantilisant. Nous, nous devons les préparer à la sortie. » C’est pourquoi elle reçoit exclusivement dans son bureau : « Qu’ils trouvent l’énergie, la volonté de descendre jusqu’à mon bureau, pour moi, c’est primordial et cela représente la première façon de les responsabiliser. » Evidemment, elle se déplace aussi dans les chambres pour les malades alités ou en isolement strict. Mais le plus délicat est souvent de faire admettre au malade que, même lorsqu’il sera guéri, sa situation sociale ne s’améliorera pas pour autant. « La plupart de nos patients en situation irrégulière ne sont pas prêts à repartir dans leur pays, explique-t-elle. Mais compte tenu des politiques actuelles, nous devons progressivement leur faire comprendre, sans toutefois les désespérer, qu’il sera très difficile d’obtenir une régularisation. Il faut trouver le bon dosage, appréhender les personnes au fur et à mesure de leur séjour chez nous pour leur faire passer l’information. »

En attendant, en cet après-midi de fin de semaine, alors que Rodolphe, l’animateur, joue aux cartes avec quelques patients, souvent les plus jeunes, LeslieC., 21ans, engoncée dans un corset en raison d’une tuberculose osseuse qui a atteint sa colonne vertébrale, réfléchit à l’ouvrage de perles qu’elle pourrait confectionner. Ceux qui n’ont pas envie de jouer restent dans les couloirs des étages à regarder le temps passer, assis sur un fauteuil. Devant la porte d’entrée du sanatorium, les fumeurs se regroupent, malgré la fraîcheur de l’automne. Dans sa chambre, YacineZ., 18ans, est en pleine conversation via Skype avec sa famille en Algérie, qu’il espère pouvoir bientôt retrouver.

Notes

(1) Centre médical de Bligny : 91640 Briis-sous-Forges – Tél. 01 69 26 30 00.

(2) L’équipe du sanatorium a développé un site Internet sur la tuberculose : www.tuberculose-bligny.com.

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