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Secteur AHI : de quelques enjeux déontologiques

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De nombreuses questions déontologiques se posent, dans le secteur de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion (AHI), autour de la mise en œuvre des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). Stéphane Rullac, éducateur spécialisé, responsable du « pôle recherche » et coordonnateur du Centre d’études et de recherches appliquées (CERA) de Buc Ressources (1), les évoque.

« Le 25 septembre dernier, le SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation)-Insertion de Paris organisait son premier séminaire devant plus de 450 participants et diverses autorités, dont le préfet Alain Régnier, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement ou encore Jean-Martin Delorme, directeur de la nouvelle direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement. Cette mobilisation correspondait à la nécessité de forger collectivement un outil dont seuls les contours ont été prévus par l’Etat (2). J’ai participé en tant qu’expert à l’atelier consacré à la déontologie, dont j’aimerais extraire quelques pistes de réflexions, pour le secteur “accueil, hébergement, insertion” (AHI), mais aussi pour le travail social de manière plus générale. Précisons d’abord que la déontologie constitue une morale professionnelle, qui délimite le chemin du bien et du mal à suivre collectivement, alors que l’éthique est un idéal individuel. En matière d’action sociale, le défi déontologique consiste à subordonner la technique au sens qu’elle poursuit, selon l’adage bien connu de Rabelais : “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.”

Tout débat déontologique relatif au travail social apparaît comme un véritable défi, tant cette dimension normative est absente de cette culture professionnelle. Si les assistants de service social disposent d’une déontologie dans le cadre de l’ANAS (Association nationale des assistants de service social), celle-ci n’est pas reconnue officiellement. Quant aux autres métiers, nulle velléité déontologique ne semble s’affirmer. De manière plus générale, cette famille professionnelle est dépourvue d’autorités déontologiques, que ce soit officiellement ou même de fait, même si la commission “éthique et déontologie” du Conseil supérieur de travail social (CSTS) rend des avis consultatifs depuis 2006. Le travail social ne dispose pas d’ordre déontologique, comme c’est le cas pour les médecins par exemple. Ainsi, tout débat sur le sujet, dans le contexte spécifique de l’action sociale, souffre d’un manque ­d’anté­cédents et de cadres préalables. En proposant ­d’accompagner une telle réflexion, le SIAO-Insertion de Paris exerce sa fonction de coordination, mais bien plus encore. En encadrant un débat normatif, il s’affirme comme un acteur politique qui mène une médiation entre l’Etat (dont il a reçu une délégation de service public) et les institutions médico-sociales qui mettent en œuvre l’hébergement et le logement dans le cadre de l’AHI. Cette position “méta”, à l’intérieur de l’AHI, est une innovation en matière de gouvernance du tiers secteur social et médico-social.

De nombreuses questions se posent alors. De quel côté de la “barrière” se trouve le SIAO ? Est-il un rouage, un relais ou possède-t-il une autonomie ? Si oui, quel est le rapport de forces vis-à-vis de l’Etat, des institutions sociales et même des usagers ? Cette position casse la césure qui oppose traditionnellement le travail social relevant du tiers secteur et l’Etat. Aujourd’hui, le SIAO a pris une partie de la responsabilité de l’Etat, en organisant les acteurs sociaux, dont il fait d’ailleurs partie. Enfin, l’Etat est-il prêt à laisser une marge de manœuvre aux SIAO ? Ces derniers sont-ils prêts à se saisir de cette autonomie ? Par ailleurs, l’éla­boration de normes à l’échelle d’un secteur pose la question de leur respect, du contrôle et de la sanction pour les contrevenants. Qui sera habilité à surveiller et à punir le cas échéant ? Les SIAO ? L’avènement de cette coordination s’affirme comme une chance de redynamiser la fonction politique du tiers secteur social et de reprendre sa part quelque peu oubliée en matière de gouvernance sociale, au-delà d’une fonction trop réductrice de simple opérateur.

Dans une approche plus opérationnelle, les débats ont montré que les enjeux déontolo­giques convoquent la nécessité de développer une expertise juridique. A vrai dire, cette compétence n’est pas vraiment au rendez-vous aujourd’hui. Le secret ­partagé existe-t-il ? A qui s’oppose le principe d’inconditionnalité ? Aux seuls centres d’hébergement d’urgence (comme le signifie la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion) ou à tous les centres, y compris les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, s’ils s’inscrivent de fait dans un hébergement d’urgence ? De la même manière, les enjeux déontologiques concernent la délicate articulation entre la nécessité d’une technique “objectivante” (nécessaire à tout travail coordonné à grande échelle) et la finalité “subjectivante” du travail social, qui s’appuie sur les existences d’individus irréductibles à de simples cases. Pour ce faire, la nécessité d’élaboration ­collective d’un corpus théorique et pratique spécifique a été affirmée. A titre d’exemple, le droit à l’oubli a été maintes fois évoqué comme une ­référence importante, qui manque cependant de consistance en matière de formalisation. Le SIAO inaugure une coordination générale, qui met en synergie des acteurs autrefois isolés. La question de la métho­dologie d’évaluation se trouve alors au cœur des besoins. En la matière, il semble que le poids des logiques de l’insertion normative (logement et travail) soit forte, alors que celle de l’insertion intégrative issue de l’urgence (trouver sa place dans un groupe à l’échelle d’un environnement qu’il soit dans la rue ou dans un centre d’hébergement) soit plus faible. L’enjeu méthodologique est en effet de dépasser l’historique dichotomie entre “urgence” et “insertion”, que l’organisation de la plupart des SIAO en Ile-de-France semble pourtant perpétuer (six départements sur huit ont mis en place deux SIAO organisés selon cette différentiation).

En dernier ressort, les modalités de mise en commun des informations apparaissent également comme un enjeu déontologique majeur, pour ne pas que les SIAO créent une sorte de “casier judiciaire de la précarité”. En revanche, les questions technologiques ont été les grandes absentes du débat. Cela ne gêne-t-il personne que des milliers de vies soient résumées dans des ordinateurs pas vraiment protégés ? Serait-il envisageable que nos comptes bancaires ne le soient pas à l’heure de leur gestion par Internet ? Certes non. Affirmons donc que les informations intimes des plus fragiles d’entre nous sont précieuses.

Enfin, pour que le SIAO soit en position de participer à la production normative, il semble nécessaire de se doter rapidement d’un cadre concret de formalisation et de régulation collective, comme par exemple une commission déontologique dédiée au secteur AHI, placée sous l’autorité des pouvoirs publics et sous la responsabilité d’une coordination nationale des SIAO. La prochaine étape ? »

Contact : stephane.rullac@buc-ressources.org

Notes

(1) Il est également chercheur associé au Centre d’études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations (CEREP) de l’université de Reims.

(2) Deux textes encadrent les SIAO : la circulaire du 8 avril 2010 qui présente le dispositif et celle du 7 juillet 2010 qui détaille les outils de sa mise en œuvre – Voir ASH n° 2657 du 30-04-10, p. 15 et n° 2671 du 27-08-10, p. 9.

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