Certaines études, initiatives et textes récents nous replongent dans des maux qui affligent de longue date l’action publique française… A la suite du rapport Doligé de juin 2011 relatif à la simplification du droit applicable aux collectivités territoriales, qui réclamait un « changement de gouvernance normative entre l’Etat et les collectivités territoriales », le président de la République a fait de la réduction du nombre des normes juridiques l’un des axes de l’acte III de la décentralisation. Le phénomène, hélas, n’affecte pas que les collectivités territoriales mais l’ensemble des acteurs publics et privés : l’inflation normative ralentit et souvent paralyse l’action, sans parler des atteintes qu’elle fait subir à la sécurité juridique ou encore des coûts qu’elle génère. Certes, on ne peut guère contester l’idée que la production accélérée de lois et de règlements, auxquels s’ajoute une masse quasiment infinie d’infranormes (circulaires, directives, guides et référentiels, chartes…), est un effet inéluctable d’une extension continue des demandes faites à l’Etat, de l’apparition corrélative de problèmes nouveaux, de la gestion inévitable des effets contreproductifs que cela ne manque pas de produire, bref de la complexité croissante de nos sociétés. Cela sans préjudice de l’apparition d’ensembles normatifs supranationaux, dont celui de l’Union européenne.
Les « risques » font croître inexorablement la demande de prévention, et cette dernière développe des logiques procédurales en extension constante. Si le constat est globalement partagé, la France semble présenter cependant une situation préoccupante dont attestent les classements qui étalonnent dorénavant les pays du point de vue de la « qualité du droit » mesurée en fonction de la simplicité et de la rapidité des procédures : la complexité du système politico-administratif doit y contribuer, sans parler de cette spécialité nationale qui, à défaut de trouver des solutions aux problèmes, pousse à y répondre par encore plus de droit et de procédures, comme nous allons le constater…
Dans ce sens, en effet, le « pacte pour la compétitivité » issu du séminaire gouvernemental du 6 novembre dernier, qui entendait donner une suite au rapport Gallois appelant à « simplifier, clarifier, réduire les délais et paralléliser les procédures », vise notamment à « doter la France de services publics accessibles sur tout le territoire, efficaces et adaptés aux besoins des usagers » et à « poursuivre et engager des réformes de structures ». Des réformes structurelles, donc, que le Premier ministre, dans son intervention à l’issue du séminaire, a situées tout autant au niveau de l’Etat que de ses agences, des collectivités territoriales – qui vont connaître une nouvelle étape de décentralisation – ou encore de la sécurité sociale. En quelque sorte, une résurrection de la « réforme » ou de la « modernisation » de l’Etat, serpents de mer aussi vieux que l’Etat lui-même…
Or, de ce point de vue, les actes avaient en quelque sorte précédé les paroles puisque deux décrets avaient été publiés le 31 octobre qui mettaient en place de nouveaux outils pour la modernisation de l’action publique. Un secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) est ainsi créé, regroupant diverses instances existantes (direction générale de la modernisation de l’Etat, direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’Etat, mission de mise à disposition des données publiques). Il reçoit en outre la charge des travaux relatifs au fonctionnement de l’administration déconcentrée. Ce SGMAP est placé sous l’autorité du Premier ministre et mis à la disposition du ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique. Sa mission : coordonner et soutenir les travaux conduits « en vue d’évaluer et de moderniser l’action publique afin d’améliorer le service rendu aux citoyens et aux usagers et de contribuer à la bonne gestion des deniers publics ». Un comité interministériel pour la modernisation de l’action publique est également institué. Présidé par le Premier ministre, il vise à améliorer l’organisation et le fonctionnement des services publics.
Voilà donc une réponse anticipée aux questions posées par le rapport Gallois et aux demandes de réformes structurelles en vue d’améliorer l’action publique. Mais s’installe à nouveau un léger malaise : à défaut de pouvoir définir les contours de cette « modernisation » et autres « réformes structurelles », on en revient à la création d’instances et à la mise en place de procédures… La réforme des structures se présentant essentiellement, comme par le passé, par la création de structures nouvelles, ne serait-ce pas, encore une fois, une façon de nourrir l’inflation procédurale et normative si fermement dénoncée par ailleurs ?