« […] Votre journaliste se pose les bonnes questions : “Les jeunes et adultes polyhandicapés, âgés de 10 à 20 ans, savent-ils qu’ils sont sur scène ? Qu’ils préparent un spectacle ? Comprennent-ils que le geste qu’ils exécutent est lié au son qui sort des enceintes de la sono ?”. Ces interrogations sont ponctuées par un “Rien n’est moins sûr.” C’est avec ces mêmes questions, les mêmes doutes et les mêmes réserves que nous, parents, avons tenté d’interroger l’institution dans laquelle s’est trouvée notre fille Zoé […].
Si nous avions applaudi à la naissance de l’activité OMNI, nous avions soulevé deux remarques […]. La première concernait l’environnement sonore trop “bruyant”, selon nous, pour un public aux troubles psychotiques dominants. La seconde visait le terme apposé à cette activité : “atelier thérapeutique”. […] En quatre ans d’activité OMNI, nos jeunes ont-ils évolué, progressé ? Y a-t-il eu un thérapeute dans la salle pour […] mettre des mots dans ce “bain sonore” envahissant et ne pas laisser les jeunes livrés, seuls, avec leur pathologie ? L’OMNI serait-il doté de vertus thérapeutiques ? Cela se saurait… […]
Voyons maintenant le cadre éthique de notre réflexion. Ne doit-on pas réfléchir […] à la notion de travail chez des personnes qui n’en ont pas conscience ? […] Peut-on travailler ou être payé sans avoir la conscience de l’être ? A-t-on envisagé, pesé les conséquences (positives ou négatives) du choc émotif qu’implique inévitablement la présence sur scène devant 300 inconnus ? […] Mais surtout, que répondre si l’on sait précisément ce qu’implique intimement, dans la profondeur de leur mystère, chez des êtres parfois psychotiques, d’être sur une scène, devant une salle plongée dans le noir, des éclairages, des rires (que nous espérons sains) […].
Contrairement à ce qui est dit, ces jeunes ne sont pas des artistes. […] Un tel glissement sémantique ne peut ouvrir que sur la confusion. Même s’il est agréable pour les parents d’entendre que leurs jeunes sont des créateurs, des artistes, des performers, cela ne correspond pas à la réalité […] et ne fait qu’encourager un déni de réalité, de conscience et d’identité. […] Ce qui est demandé à nos jeunes, c’est d’effleurer, toucher, appuyer sur une des 108 touches et seul le promoteur de l’OMNI envoie de la musique préenregistrée, à partir de son ordinateur. […] Aucune interaction humaine n’aura lieu avec le jeune. Jamais [celui-ci] ne pourra intervenir sur un choix différencié, donner son avis ou refuser tel morceau […]. Nous craignons qu’un spectacle sans conscience, sans volonté exprimée, ne prête le flan à des critiques et à des conséquences imprévisibles. Mais le pire est de transformer un jeune en “vedette”, sorte de tête de gondole […]. En fait, ce n’est pas tant son “talent” qui est mis en avant, c’est sa pathologie, spectaculaire, forcément spectaculaire […].
Depuis quelques années, les parents assistent à l’apparition de l’événementiel dans les institutions médico-sociales. A qui une chorale de handicapés, une exposition de peintures ou de vidéos, une pièce de théâtre… Qui aura les caméras de télévision ou la vidéo sur Internet ? Que sait-on des pratiques professionnelles qui s’installent dans la durée et qui produisent des progrès ou des avancées, certes des petits pas… Se battre à chaque instant contre la régression et installer en maintenant dans la durée les acquis : telle devrait être la véritable mission des instituts médico-éducatifs. On ne dira jamais assez que le travail humble des professionnels est producteur de richesses pour nos jeunes. Mais qui le sait ? Qui le voit ? […]
Que dire de la logorrhée qui se manifeste dans ce florilège enivrant : “Le travail [sur l’OMNI] comprend le geste, le mouvement, le son, les voix, les rythmes, le corps, la provenance du son, la projection du volume, la sonorité, l’intensité.” […] Le jeune polyhandicapé, avec ce travail, va “évacuer ses blocages, ses tensions” et […] “s’épanouir”. […] Quel beau programme ! Que les agences régionales de santé achètent 10, 100, 1000 OMNI et jettent dehors directeurs et chefs de service, éducateurs et rééducateurs, médecins et psychologues des IME ! »
(1) Voir ASH n° 2772 du 31-08-12, p. 32.