Lorsqu’on évoque les relations entre la presse et le travail social, on est renvoyé à une série de plaintes : plaintes des travailleurs sociaux de ne pas être compris des médias, qui seraient plus intéressés par le fait divers ; plaintes des journalistes de ne pas réussir à contacter les professionnels, qui ouvriraient le parapluie du secret professionnel et/ou de leur hiérarchie. Comment sortir du dialogue de sourds ? Tout d’abord, en balayant chacun devant sa porte. Si la presse a une responsabilité dans la façon dont elle traite du travail social, les professionnels ont aussi, en partie, l’image qu’ils méritent. Il va de soi que s’ils restent invisibles dans le débat public, ils s’exposent à n’apparaître sur le devant de la scène qu’à l’occasion des drames où ils sont mis en cause et à être condamnés, en conséquence, à ne s’exprimer que dans une logique défensive et corporatiste. Ce qui renforce encore l’image déformée de leur profession et leur sentiment victimaire – cercle vicieux dont il est alors, pour eux, difficile de sortir.
Rendre visible le travail social au quotidien et faire comprendre le sens de ses interventions passent par un autre rapport à la presse, qui participe largement à la formation de l’opinion publique – et à la sensibilisation des élus. En outre, si les professionnels n’occupent pas l’espace médiatique, d’autres, moins frileux, n’hésitent pas à parler à leur place. Reste alors une question : comment rapprocher ces deux univers, apparemment aussi éloignés loin de l’autre, à savoir le secteur de l’aide, qui officie dans l’ombre des familles en privilégiant la confidentialité et le long terme, et celui de l’information, soumis au feu permanent de l’actualité ? En ayant à l’esprit le fil rouge qui tire l’ensemble de la presse : l’intérêt de ses lecteurs – qui sont aussi ses acheteurs. Si l’information peut être relativement technique vis-à-vis des journaux d’action sociale, elle doit, pour retenir l’attention de la presse généraliste, mettre l’accent sur le service rendu aux usagers et/ou éveiller la conscience citoyenne. C’est qu’au-delà de leurs différences, ces deux secteurs ont bien des intérêts communs.
L’enjeu est alors, pour les travailleurs sociaux, de quitter leurs habits de techniciens et leur jargon de spécialistes pour s’affirmer comme des acteurs du débat public ayant, à partir de leurs pratiques quotidiennes, des choses à dire sur les usagers, l’accès aux droits, les inégalités… A condition qu’ils aient, sur ces sujets, un message clair et cohérent à transmettre. Car, même distillée au gré de l’actualité, la communication doit s’inscrire dans une vision à long terme et renvoyer, par la permanence de son message, une image forte des professionnels réunis autour de valeurs identifiables. L’effort continu de réflexion et de conceptualisation est encore la meilleure façon de ne pas donner prise aux raccourcis et aux erreurs d’interprétation sur lesquels il est toujours difficile de revenir.
Mais si le contenu est incontournable, encore faut-il qu’il soit lu. Le journaliste travaille à partir d’une matière première, les faits, qu’il trie et analyse. Or les professionnels privilégient trop souvent les propos généraux et abstraits, ce qui rend quelque peu inaudibles leurs discours vis-à-vis des non-spécialistes. S’ils veulent capter l’attention de ces derniers, il leur faut pourtant rendre visible ce qu’ils vivent eux et leurs usagers – et ce qu’ils inventent au quotidien. Il s’agit d’exposer, à travers une juste présentation des faits, la réalité de leur métier avant même de l’analyser.
L’exercice, qui exige mesure et doigté, est certes délicat. Mais, sans cet effort pour montrer sur la place publique un travail social incarné, les professionnels risquent bien de rester dans l’entre-soi.
La communication avec les médias, parce qu’elle véhicule leur image professionnelle auprès de l’opinion publique, est une affaire trop sérieuse pour que les travailleurs sociaux l’abandonnent à d’autres. Mais, plus qu’une affaire de méthode, elle les renvoie à la question de leur place dans la société : techniciens ou citoyens ?
(1) Sur le thème « Visible et invisible : le travail social mis à l’épreuve de son utilité et de son efficacité », à Paris –