La justice, une priorité dans un contexte de réduction des déficits ? A en croire les constats alarmants des professionnels du secteur, les efforts budgétaires prévus pour 2013 sont encore loin du compte. Alors que le projet de loi de finances est examiné au Parlement, dix organisations représentant les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l’administration pénitentiaire, les avocats et les magistrats (1) « rappellent l’état catastrophique du service public de la justice ». Si son budget doit connaître une hausse de 4,3 %, cela ne « fera que masquer la misère », estiment-elles. Les organisations demandent que la volonté politique affichée se traduise « par un renforcement des effectifs et une prise en compte des besoins réels de fonctionnement » et appellent le gouvernement et le Parlement « à faire des choix cohérents ». Par exemple, « en cessant de vouloir donner une réponse pénale à toute infraction et en revenant à l’individualisation des peines ».
Dans les tribunaux d’instance, la création de 142 emplois de magistrats et greffiers ne peut, selon le collectif, compenser les suppressions de ces dernières années. En sous-effectif, « les juges des tutelles ne parviennent pas à faire la révision des mesures de protection des majeurs, qui doit intervenir avant le 31 décembre 2013 » (2). La conséquence de la pénurie de fonctionnaires risque, en outre, de s’aggraver, en entraînant des réductions d’horaires ou des délais de notification trop longs. Même marasme dans les juridictions administratives, où les 40 emplois supplémentaires « ne permettront pas de faire face à la forte augmentation du contentieux relatif à la situation des étrangers, consécutive à la dernière loi sur l’immigration du 16 juin 2011, et aux autres contentieux “de masse” », tels que ceux relatifs au droit au logement ou aux prestations sociales.
Les syndicats craignent également un décalage entre les 63 emplois supplémentaires annoncés dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) (sur un total de 293 postes, dont 160 redéploiements) et l’objectif de développer les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine. Certes bienvenus, les 178 emplois d’éducateurs en plus pour la PJJ (dont le budget augmente de 2,4 %), qui a perdu 600 postes ces quatre dernières années, sont principalement destinés à la réalisation d’un objectif : ramener à cinq jours le délai de prise en charge en milieu ouvert, tel que le prévoit la loi de programmation relative à l’exécution des peines du 27 mars 2012, contre 11 jours en moyenne actuellement. Selon les syndicats, la priorité accordée au milieu ouvert est, par ailleurs, contredite par la programmation de nouveaux centres éducatifs fermés, avant même les conclusions des inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales.
Toujours dans le secteur de la PJJ, quatre associations – la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant), Citoyens et justice, la FN3S (Fédération nationale des services sociaux spécialisés de protection de l’enfance) et l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) – décrivent également, dans une analyse commune, un champ sinistré. Elles appellent les parlementaires à augmenter l’enveloppe du secteur associatif habilité (SAH) : avec 240 millions en 2013, contre 242 millions d’euros en 2012, celle-ci devrait enregistrer une chute de près de 22 % en trois ans, dans un contexte de sous-dotation chronique.
« La PJJ n’est pas en mesure d’assurer le paiement, aux associations, de l’ensemble des mesures ordonnées par les magistrats et réalisées. Cette situation ne cesse de se détériorer au fil du temps. Le report de charges augmente d’année en année et s’élève, pour 2012, à plus de 39 millions d’euros. » Pour les fédérations, les dix millions d’euros consentis par le ministère pour renflouer leur trésorerie pourront permettre de résorber une partie des dettes, sans, pour autant, apporter de solution au sous-financement annuel. Or ce phénomène a de graves conséquences : « Ce défaut de financement de l’Etat ne permet pas de payer toutes les décisions judiciaires. Néanmoins, afin de ne pas laisser les enfants sans réponse, les juges recourent à un palliatif en prononçant des mesures d’assistance éducative », au lieu, par exemple, d’une mesure d’investigation.
La réparation pénale voit son financement s’éroder et la part « exercée par le SAH diminue significativement ces trois dernières années ». L’inquiétude est également de mise pour la mesure judiciaire d’investigation éducative, dont la mise en œuvre s’est traduite depuis 2012 par des suppressions de postes administratifs, de travailleurs sociaux et de psychologues. Autre motif de colère : « Pour résorber la réduction des crédits du SAH, il est demandé aux associations de réduire les capacités installées au sein des structures ayant une double habilitation, ce qui revient à supprimer des lits au titre de l’ordonnance de 1945 ou à les transformer en lits au titre de l’assistance éducative. » En outre, cela implique « un financement par les conseils généraux déjà en grande difficulté financière ». Pour les quatre fédérations, « l’hébergement ne peut être la variable d’ajustement de la réduction des moyens de l’Etat. Outre le transfert de cette charge vers les départements, cela réduit l’offre de placement au pénal et dévoie une partie du dispositif. »
Au final, elles s’interrogent sur l’évolution du partenariat entre l’administration et les associations. Elles réclament, outre la réévaluation des crédits, la co-construction d’indicateurs communs aux deux secteurs et la création d’une « instance de concertation, auprès de la garde des Sceaux », pour « co-construire la politique de la justice des mineurs et, notamment, clarifier la politique du ministère de la Justice à l’égard des associations ».
(1) Syndicat national des personnels de l’éducatif et du social-PJJ-FSU, CGT-PJJ, Syndicat des avocats de France, CGT pénitentiaire, Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire-FSU, Syndicat de la magistrature, Syndicat national des directeurs pénitentiaires, Syndicat de la juridiction administrative, Justice solidaires et Association nationale des juges d’application des peines.
(2) Selon Christiane Taubira, 75 % des mesures étaient toutefois prolongées au 1er octobre 2012, les juridictions ayant fait un « grand effort ».