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Droit d’asile : des propositions pour améliorer le traitement des demandes

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Un rapport du Sénat suggère notamment d’enserrer l’examen des demandes d’asile dans des délais maximaux et de réformer en profondeur la procédure prioritaire.

Les sénateurs Jean-Yves Leconte (PS) et Christophe-André Frassa (UMP) – qui représentent tous deux les Français établis hors de France – ont rendu public, le 15 novembre, un rapport dans lequel ils formulent 21 propositions pour « rénover en profondeur notre système d’examen des demandes d’asile » (1). Leurs principales recommandations visent à donner plus de « cohérence » à des dispositifs « trop fragmentés » mais aussi à « humaniser » les procédures d’examen et à les réduire à un « délai raisonnable ». La procédure prioritaire, qui concerne notamment les ressortissants des pays d’origine sûrs et pendant laquelle les droits des intéressés sont réduits, figure également dans leur collimateur.

Evoquant le devenir législatif de ce rapport, les deux parlementaires ont indiqué qu’ils le mettaient à la disposition du gouvernement pour un éventuel projet de loi… tout en se réservant la possibilité d’élaborer une proposition de loi, d’initiative sénatoriale.

Les singularités du système français

Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa sont partis d’un triple constat, mettant en évidence les singularités de la situation française. Premier constat : depuis 2003, en raison de la combinaison d’un taux d’accord par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) relativement restreint, d’un taux de recours élevé contre ses décisions de rejet et d’un taux d’annulation important de ces dernières par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la majorité des statuts de réfugié et des protections subsidiaires accordés par la France le sont aujourd’hui par décision de la CNDA.

Par ailleurs, la mise en place d’une procédure dite « prioritaire » – destinée à permettre l’examen dans des délais très brefs de demandes d’asile a priori insusceptibles d’aboutir (2) – a été, selon les sénateurs, « très largement dévoyée de son objet initial » et « utilisée à des fins de gestion de flux migratoires et de limitation des dépenses publiques induites par la présence sur le territoire des demandeurs d’asile ». Tant et si bien que, pour les deux parlementaires, « son maintien en l’état soulève une véritable interrogation, comme en témoigne le taux significatif de protections accordées aux étrangers concernés ». Les auteurs estiment, en outre, que les restrictions de droits attachées à cette procédure – en particulier l’absence de caractère suspensif du recours devant la CNDA – posent la question de sa compatibilité avec les engagements internationaux de la France.

Troisième et dernier constat : confronté à une demande d’asile très fluctuante, le système français à trois acteurs – préfectures, OFPRA et CNDA – peine à « traiter l’ensemble des demandes de façon équitable et dans des délais raisonnables ».

Libérer l’OFPRA de toute suspicion

La première proposition du rapport est la plus symbolique. Il s’agit de « libérer l’OFPRA de toute suspicion injustifiée » en le dégageant de la tutelle du ministère de l’Intérieur. Une tutelle fréquemment dénoncée par les associations parce qu’elle est, à leurs yeux, de nature à « brouiller les missions » de l’office et à « l’inciter à intégrer dans son activité des considérations liées à la gestion des flux migratoires ». Pour les rapporteurs, une telle accusation n’est pas fondée… mais fait malgré tout peser sur certaines décisions un soupçon d’illégitimité qui nuit à leur bonne compréhension. Afin de mettre un terme à ce « procès d’intention », ils préconisent de transférer la tutelle de l’OFPRA ? au ministère de la Justice ou au Premier ministre.

Dans l’esprit des deux sénateurs, une telle réforme irait de pair avec une modification du conseil d’administration de l’office, dont la composition, en dépit d’un certain pluralisme, accorde une place prépondérante aux représentants du gouvernement, « et singulièrement à ceux du ministère de l’Intérieur ». Ce qui peut poser un problème au regard des missions confiées à cette instance, chargée notamment de fixer la liste des pays d’origine sûrs. Les rapporteurs recommandent par conséquent un rééquilibrage de sa composition, suggérant par exemple une augmentation du nombre de personnalités qualifiées nommées en raison de l’intérêt particulier qu’elles portent aux questions liées au droit d’asile ou bien encore le doublement du nombre de parlementaires.

Humaniser la procédure

Au-delà du changement de tutelle de l’établissement, les rapporteurs estiment que la restauration de la légitimité des décisions de l’OFPRA passe également par une redéfinition des modalités de l’entretien accordé au demandeur d’asile. Ils suggèrent notamment d’autoriser un tiers habilité à y assister (représentant d’association ou avocat). A leurs yeux, une telle présence serait conçue comme une « aide bienveillante » pour le demandeur et permettrait de diminuer son anxiété. Ce tiers ne devrait pas intervenir au cours de l’entretien mais aurait la possibilité de formuler des observations écrites à son issue, lesquelles pourraient être annexées au compte rendu d’entretien.

Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa estiment par ailleurs souhaitable que les officiers de protection soient épaulés par un secrétaire dans l’établissement de ce compte rendu, ce qui leur permettrait de se concentrer sur l’écoute du demandeur. Et appellent également de leurs vœux le recours systématique aux services d’un interprète lorsque le demandeur n’est pas francophone, ce même si l’officier de protection parle la langue de l’intéressé.

Enfin, les deux sénateurs souhaitent qu’une réflexion soit engagée sur la mise en œuvre de méthodes d’entretien qui privilégient les questions ouvertes – pour permettre au demandeur d’utiliser ses propres mots – et qui tiennent comptent des conditions dans lesquelles le demandeur d’asile est arrivé en France et y séjourne. « L’exil et la précarité conduisent bien souvent à une altération de la santé, notamment psychique, du demandeur qui vient “parasiter” sa capacité à tenir un discours cohérent sur les circonstances qui l’ont conduit à quitter son pays », explique le rapport.

Diminuer les délais d’examen des demandes

Afin de réduire le délai moyen de traitement des demandes d’asile, Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa suggèrent notamment au gouvernement d’imposer à l’OFPRA et à la CNDA de se prononcer sur toute demande d’asile examinée selon la procédure normale dans un délai maximal de six mois chacun. Actuellement, sauf en cas de procédure prioritaire, aucune disposition légale ou réglementaire ne leur impose de rendre une décision dans un délai déterminé. Le délai moyen de réponse de l’OFPRA est de sept mois si l’on ne tient compte que des demandes examinées selon la procédure normale. Quant à la CNDA, ses délais prévisibles moyens de jugement ont été ramenés à huit mois environ cette année. Mais ces délais ne constituent que des moyennes. « Or il semble que des demandes d’asile formulées par des ressortissants de certaines nationalités fassent ponctuellement l’objet d’un “gel” à l’OFPRA ou à la CNDA, dans l’attente d’une évolution de la situation de leur pays d’origine », souligne le rapport en évoquant le cas actuel de ressortissants syriens.

Réformer en profondeur la procédure prioritaire

Sans aller jusqu’à préconiser la suppression pure et simple de la procédure prioritaire en France, souhaitée par certaines associations, les rapporteurs formulent plusieurs propositions pour la réformer. Ils suggèrent notamment de revoir les modalités selon lesquelles la liste des pays d’origine sûrs est établie au niveau national (en attendant l’établissement d’une liste commune à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne). Dans cet esprit, il leur paraît souhaitable, en premier lieu, que soit intégrée en droit interne la définition que donne le droit communautaire de la notion de pays d’origine sûrs. Une définition « plus précise et plus restrictive » que celle prévue dans la loi française, qui donnerait au conseil d’administration de l’OFPRA « des critères plus objectifs » pour juger du caractère sûr ou non d’un pays d’origine (3). Les modalités d’établissement de la liste devraient par ailleurs être plus transparentes et pouvoir donner lieu à un échange avec les principaux acteurs de l’asile en France. Les rapporteurs plaident encore pour un réexamen périodique de la liste, « tous les six mois par exemple », tendant à vérifier que les conditions posées pour l’inscription du pays sont toujours réunies. Ils proposent aussi de créer une procédure d’alerte en cas de changement de circonstances dans un des pays de la liste. Et suggèrent d’enserrer le jugement des recours formés contre l’inscription de nouveaux pays dans un délai déterminé, « par exemple trois mois ». Actuellement, en effet, « en raison des délais de jugement devant le Conseil d’Etat, de telles inscriptions sont rarement sanctionnées avant un délai d’un an ». « Dans l’intervalle, les demandeurs d’asile ressortissants de ces pays n’ont pu bénéficier des garanties offertes aux demandeurs en procédure normale. »

Notons, enfin, que les sénateurs recommandent de reconnaître un caractère suspensif aux recours formés devant la CNDA par les demandeurs d’asile dont la demande est examinée selon la procédure prioritaire. Actuellement, sitôt rendue une décision négative de l’OFPRA, ces personnes sont susceptibles d’être interpellées et renvoyées dans leur pays.

Notes

(1) Rapport d’information n° 130, novembre 2012, disp. sur www.senat.fr.

(2) Le préfet peut avoir recours à la procédure prioritaire soit en application du règlement « Dublin II » (cas dans lequel l’examen d’une demande relève d’un autre Etat membre que la France), soit parce que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, parce que sa présence constitue en France une menace à l’ordre public ou parce que sa demande est abusive, frauduleuse ou dilatoire.

(3) A titre d’exemple, contrairement à celle retenue par le droit communautaire, la définition française n’exclut pas expressément de la notion de pays d’origine sûrs les pays marqués par des situations de conflit armé international ou interne.

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