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Lieux de vie, petits remorqueurs et paquebots

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A vouloir uniformiser les lieux de vie et d’accueil, comme certaines évolutions récentes le laissent craindre, c’est l’âme même de ces structures que l’on pourrait détruire. Et des réponses adaptées à des besoins singuliers qui risquent de disparaître. Telle est la mise en garde de Jean-Paul Voisin, président de la Fédération régionale des lieux de vie normande (FRLVN), qui se fait le porte-parole des adhérents de son organisation.

« L’histoire des lieux de vie et d’accueil (LVA) demeure relativement récente au sein de l’action sociale. Nés dans les années 1970 à titre expérimental, ils ont pour vocation de constituer une alternative aux établissements traditionnels auxquels certaines personnes en difficulté ne peuvent s’adapter. Il s’agit d’accompagner celles-ci au quotidien, dans le cadre d’une structure à caractère familial, afin de les aider à sortir de leur marginalité et à retrouver une conformité sociale.

En 1983, la circulaire de Georgina Dufoix est la première à tenter de définir un cadre réglementaire pour les LVA. Parallèlement, à partir de la loi sur la décentralisation du 2 mars 1982, l’exercice du pouvoir départemental du préfet est transféré au président du conseil général. C’est dans ce contexte que la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale voit le jour et que les lieux de vie obtiennent une reconnaissance de nature législative. Ils apparaissent ainsi à l’article L. 312-1 III du code de l’action sociale et des fa milles (CASF). Mais il faudra attendre plus de quatre ans avant que les décrets d’appli cation paraissent.

Dans la plupart des cas, le conseil général du lieu d’implantation de la structure est désigné comme l’autorité pouvant accorder une autorisation de fonctionnement, valable 15 ans. Majoritairement, les lieux de vie reçoivent des jeunes en difficulté de moins de 21 ans proposés par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les demandes de placement pour ce type d’accueil sont très nombreuses, mais les refus d’admission, faute de places, demeurent quotidiens. Cette situation provient essentiellement de la modicité du nombre de ces structures autorisées à fonctionner.

Plus de dix ans après la parution de la loi n° 2002-2, on peut tirer un certain nombre d’en seignements sur l’activité des LVA et la façon dont ils sont perçus. Aujourd’hui encore, ils craignent de n’être ni connus, ni reconnus, et parfois de ne constituer qu’un moyen dont l’institution voudrait disposer. Il faut en outre souligner que certaines de ces structures n’existent qu’en utilisant la possibilité de recevoir des personnes adressées par des autorités extérieures au département d’implantation, comme le prévoit explicitement l’article D. 316-3 du CASF. Pour ces raisons, en Normandie, bon nombre donnent suite aux demandes émanant notamment de l’Ile-de-France.

On reconnaît généralement que ces petits en sembles obtiennent de bons résultats pour un coût raisonnable. Alors comment expliquer la diminution globale de leur nombre, l’attitude de certains partenaires départementaux, la remise en cause au plan national de textes et procédures garantissant leur spécificité ? Sur ce dernier point, il convient de préciser qu’il s’agit de leur fiscalisation depuis le 1er janvier 2010, de l’abandon d’un tarif réglementé les concernant et du passage devant une commission d’appels à projets pour toute nouvelle création.

Des obstacles à la collaborationavec les départements

L’Assemblée des départements de France (ADF), dans un amendement à la loi “hôpital, patients, santé et territoires” reprenant les raisons pour lesquelles elle demeure hostile au passage des futurs LVA par cette commission, fournit des indices pouvant expliquer globalement le manque d’intérêt pour une collaboration départementale suivie : oppo sitions d’intérêts catégoriels, peur de voir apparaître une nouvelle forme de concurrence, remise en cause de certains modes de prise en charge, réactions conservatrices dans un système où la cooptation est très prégnante.

Dans l’intérêt des personnes à accueillir, les différents acteurs concernés pourraient échanger sur ces questions. Reste à savoir qui prendra l’initiative d’une réunion. Ce serait dommage de laisser les choses en l’état, d’autant qu’il n’existe pratiquement pas de lieu de vie refusant de travailler avec son département d’implantation sur des bases claires, partagées et respectées.

Comment différencier ces petites structures des autres services ? En volume, les LVA se situent entre les familles d’accueil et les maisons d’enfants à caractère social. Pour le reste, il importe de bien comprendre que si tous répondent aux mêmes textes réglementaires, chacun possède sa propre singularité et aucun n’est la stricte copie d’un autre. Ce qui, soit dit en passant, exclut d’entrée l’idée de concurrence entre LVA.

Sans entrer dans le détail des pratiques, il convient de rappeler certaines particularités de nombreux permanents responsables :

→ en déposant un dossier pour obtenir la création d’un LVA, les porteurs de projet ont moins songé à s’orienter professionnellement qu’à réaliser un véritable choix de vie ;

→ ils reçoivent souvent des jeunes dont le passé reste jalonné d’échecs ;

→ après une période d’essai également appelée “séjour découverte”, ils ne retiennent pas la personne qui ne souhaite pas rester ou celle qui refuse catégoriquement la spécificité du lieu de vie ou encore celle dont le comportement se révèle dangereux pour l’ensemble du groupe et/ou pour elle-même ;

→ à partir des références qu’ils véhiculent et du type de relation humaine qu’ils instaurent, ils œuvrent afin d’obtenir la participation de l’accueilli (e) à sa propre évolution positive ;

→ les permanents ne sont pas des salariés de l’autorité de tutelle, comme les assistants maternels, ce qui induit un autre type de relation notamment avec les services du conseil général de leur département d’implantation ;

→ ils établissent des rapports de comportement et mettent en place, pour les séjours longs, un projet individuel ;

→ beaucoup travaillent en supervision afin de mieux interpréter les signaux qui leur sont adressés par les accueillis, ce qui permet de faire émerger des solutions plus adaptées ;

→ un nombre non négligeable organise des acti vités associant l’animal, dont les effets positifs ne sont plus à démontrer.

« Vivre ensemble » et « vivre avec »

Deux éléments participent pleinement à la sin gularité des lieux de vie et d’accueil : le “vivre en semble” et le “vivre avec”.

Le “vivre ensemble” relève de la socialisation, incontournable car aucune personne ne peut se développer seule. Elle fait d’ailleurs partie des missions dévolues aux lieux de vie. Mais elle ne va jamais sans contraintes puisqu’il s’agit de transmettre un modèle de savoir et des références. Si l’on doit s’en tenir au seul critère de socialisation, l’éducation se confond avec un formatage, un assujettissement. Dans ces circonstances, certains accueillis peuvent donner l’impression d’avoir acquis les règles pour une bonne intégration sociale, ce qui ne les empêchera pas, par la suite, de reproduire les conditions qui les ont conduits à être admis dans un LVA. On peut néanmoins prendre appui sur la socialisation pour considérer que l’accueilli est plus qu’un problème, une source de difficultés : il demeure un être humain mis en relation avec un accueillant tout aussi humain que lui ! A l’évidence, l’humanité se joue dans le type de relation qu’entretiennent ces deux personnes. On peut dire que nous naissons et renaissons dans une relation faite d’une reconnaissance positive, sincère, singulière et réciproque !

Vivre seul est inhumain car chacun est lié à ceux qu’il côtoie, à ceux qui l’ont précédé ainsi qu’à ceux qui le suivront. L’humanisation demeure une dimension significative du “vivre avec”, dont le premier acte se joue au moment où l’on accorde de bon cœur l’hospitalité. Dans le cadre de cette démarche, il faut également mettre en évidence l’accompagnement comme une pratique permettant de soutenir un semblable, de ne pas l’abandonner à lui-même, afin de faciliter l’émergence de la personne humaine qui sommeille en lui.

Envisager seulement des solutions allant dans le sens de l’uniformisation serait de nature à transformer les lieux de vie en petits établissements. Dès lors, cette possibilité unique de placement permettant de prendre en compte des besoins sin guliers disparaîtrait, mais les besoins, eux, perdu reraient et resteraient insatisfaits. Plus que les moyens matériels et les compétences dont on dispose, ce sont la permanence et le degré d’implication des porteurs de projet dans le choix de cette démarche ainsi que la place accordée à une relation humaine partagée qui déterminent en grande partie la singularité du lieu de vie.

Pour reprendre la métaphore d’un collègue, nous restons convaincus que “les départements ont besoin des lieux de vie et d’accueil comme les paquebots ont besoin de petits remorqueurs pour arriver à quai”. » 

Contact : jean-paul.voisin0123@orange.fr

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