Kaléidoscope sociétal

Créé il y a vingt-deux ans et porté aujourd’hui par l’ITSRA, centre de formation aux professions sociales pour la région Auvergne, le festival du film documentaire Traces de vies propose chaque année une sélection de longs, moyens et courts formats étrangers et français. L’objectif : promouvoir par ce biais une réflexion sur les faits humains et de société. Sur les 600 films reçus, 85 ont été sélectionnés, souvent inédits, et seront diffusés dans 13 lieux de projection autour de Clermont-Ferrand. Trois jurys composés d’éducateurs spécialisés, de journalistes et de réalisateurs attribueront chacun trois prix dans les programmations thématiques qui marquent cette édition. Celle d’« Un juste regard social » a attiré notre attention, tant les visions de réalisateurs du monde entier offrent une diversité de perspectives sur la difficulté de vivre et les réponses qui sont apportées. Ces films parlent aussi bien de la vie d’adolescents privés de liberté, des aventures d’athlètes handicapés que de l’isolement dans les grandes villes. Certains documentaires se caractérisent par la fluidité de leur récit, quand d’autres proposent des montages complexes pleins de péripéties.

Il y a Le dossier 332 de Noëlle Pujol, où la réalisatrice tente, à travers la lecture froide de dossiers de l’aide sociale à l’enfance, d’écrire son autobiographie d’enfant placée. On suit sa croissance au fil de la lecture des tickets de caisse consignés sous la catégorie « vêture », et le parcours de sa fratrie via des lettres administratives. Les images sont des plans fixes de paysages ardéchois. L’œuvre laisse perplexe. Dans un style opposé, Les derniers jours de l’hiver, tourné par Mehrdad Oskouei, suit la vie de sept enfants placés en maison de correction à Téhéran, en Iran. Ces « délinquants » qui dorment toujours avec leurs ours en peluche ont vécu l’errance, l’addiction, la violence et évoquent, face caméra, ce qui les a amenés là, leurs angoisses, leurs désirs et leur envie d’échapper à leur destin. Un film particulièrement touchant.

Murderball, de Henry Alex Rubin, est le long métrage le moins confidentiel de la sélection. Sorti en 2007, il raconte l’affrontement féroce entre deux équipes (américaine et canadienne) de handisport. Mais pas n’importe quel sport. Dans le rugby en fauteuil, pratiqué par des brutes tatouées et barbues, les chaises roulantes se transforment en véritables chars d’assaut et les matchs en combats de gladiateurs. Au-delà de la prouesse athlétique, Murderball laisse place à la rivalité, à la trahison et au sang.

Le générique de La médaille de Chine, de Jean-Marc Manivet, plagie quant à lui celui d’un film de fiction: Gaël, Grégory, Arnaud, Thierry et Karine sont présentés tel un casting de choc. Il faut dire que ces jeunes trisomiques monégasques s’apprêtent à vivre une grande aventure, celle des Jeux olympiques spéciaux de Chine (2007) pour lesquels ils ont été sélectionnés, chacun dans sa discipline. Tout commence dans un gymnase de Monte-Carlo, pour se terminer sur les marches des podiums de Shangai. Un film savoureux, truffé de coups de théâtre.

Reste le bijou de la sélection, Chronique d’une mort oubliée, qui se regarde comme un polar. C’est l’histoire de Michel Christen, mort à son domicile genevois en janvier 2003 et dont le corps – ou ce qu’il en restait – a été retrouvé en mai 2005. Le réalisateur Pierre Morath retrace la mécanique implacable qui a conduit à cet oubli, en interviewant tour à tour la famille du défunt, ses amis, les services sociaux, mais aussi le postier, les voisins, les commerçants, les médecins qui le suivaient. Une véritable enquête. Un suspens haletant.

En marge de cette sélection de films sont exposées les photographies de Nicolas Anglade. L’artiste clermontois présente des portraits de personnes qui vivent ou exercent en centre d’hébergement et de réinsertion sociale – travailleurs sociaux, personnes âgées ou sans logement, demandeurs d’asile, femmes victimes de violence…