Recevoir la newsletter

Des liens à préserver

Article réservé aux abonnés

Un service de la Maison de l’enfance et de la famille du Cambrésis, dans le Nord, donne une place aux parents au sein de l’institution et travaille à la préservation d’un lien familial. Menée depuis 2003, l’expérience a montré son efficacité.

Les mains dans les corn flakes et le chocolat, Marianne et Marie (1), deux sœurs de 11 et 8ans, se bousculent dans la petite cuisine du service d’accompagnement familial (SAF) de la Maison de l’enfance et de la famille (MEF) du Cambrésis (2), à Caudry. Elles préparent des roses des sables. La chamaillerie pour rire se finit en gros bisous et câlin maladroit. Il est 17 h 30, elles n’ont qu’une heure ensemble, une fois par semaine. Alors elles engrangent de la tendresse. Les deux jeunes filles sont placées sur décision judiciaire, la plus jeune dans une famille d’accueil, la plus âgée à l’internat de la MEF du Cambrésis, l’une des structures de l’Etablissement public départemental de soins, d’adaptation et d’éducation (EPDSAE) géré par le conseil général du Nord. Elles ont demandé à se voir régulièrement, ce qui a été accepté, pour que les liens restent vivaces dans cette fratrie. Christiane Douchet, éducatrice spécialisée diplômée, amène en douceur, au moment de la vaisselle, la question douloureuse : l’absence au dernier rendez-vous d’un des parents. Marianne prend la défense de son proche, remet en cause le rythme des visites, une fois toutes les deux semaines. L’éducatrice recadre en douceur et pose la question de la responsabilité de l’adulte. Marie s’agite, lance le torchon en l’air, de plus en plus haut, pendant toute la dis­cussion. Comme une manière de faire s’envoler l’angoisse.

PARENT, UNE FONCTION EN APPRENTISSAGE

Ces accompagnements sont le quotidien du SAF : ils concernent la famille au sens étendu du terme. La fratrie, les parents, bien sûr, mais aussi les grands-parents. Sans oublier de prendre en compte le spectre large des familles recomposées, demi-frère ou demi-sœur par exemple. « Nous essayons de trouver une personne ressource dans le milieu familial », précise Eric Poix, le directeur de la MEF du Cambrésis, formé à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes. L’objectif consiste à maintenir ou à construire une relation affective avec l’enfant accueilli à la MEF. L’établissement possède 48places en internat, pour la tranche d’âge 6-18ans. Aide aux devoirs, cuisine, fêtes, etc., tous les supports sont utilisés. « Ici, nous avons même organisé une communion le dimanche. Il n’y avait pas de retour au domicile possible, et la maman tenait à la cérémonie pour sa fille », sourit Christiane Douchet. Au cœur du projet du service, une idée force : « La fonction parentale n’est pas une donnée mais un apprentissage », comme le stipule le document introductif du SAF. Ce service est né juste après la loi de janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, qui impose une attention plus grande à l’usager – notamment avec l’obligation de mettre en place un livret d’accueil et un conseil de vie sociale – et qui insiste particulièrement sur « le respect du droit à une vie familiale ».

Ces nouvelles orientations de l’aide sociale à l’enfance ont rencontré les besoins du territoire et la volonté de l’établissement, souligne Eric Poix. « Avant, les visites des familles se tenaient dans le hall d’accueil de l’établissement, le samedi après-midi. Rien n’était travaillé au niveau de la parentalité. » Les éducateurs spécialisés de l’internat étaient chargés de jeter un coup d’œil au déroulé de l’après-midi. Tâche difficile à assurer pleinement alors qu’ils étaient pris ailleurs dans leurs groupes. Les enfants avaient tendance à jouer entre eux plutôt qu’à rester dans l’échange avec leurs familles. C’était loin d’être idéal, Eric Poix en convient volontiers. « Dès 2001-2002, nous avons recruté un emploi-jeune à mi-temps pour assurer l’accompagnement des familles dans le hall », se souvient-il. Puis un logement de fonction s’est libéré : une maison, une vraie, avec une cuisine, un salon, des chambres à l’étage, blotties sous les combles. L’endroit idéal, chaleureux, où un univers familial pouvait être facilement reconstitué. Eric Poix déroule l’histoire : « Début 2003, nous avons détaché un poste d’éducateur spécialisé à mi-temps pour la gestion du lieu. Puis le service en lui-même a été créé en juillet 2003, avec deux éducateurs spécialisés et une psychologue à mi-temps. » Ce sont les effectifs actuels : Christiane Douchet travaille en compagnie de Delphine Fichaux, également éducatrice spécialisée, et de Nathalie Duval-Anis, psychologue. Le SAF dépend d’une chef de service, détachée de l’internat, Marie-Christine Morel, titulaire d’un Caferuis. Le service n’a pas de budget propre : ses dépenses (salaires et fonctionnement) sont incluses dans les comptes de l’internat. Il accompagne entre 10 et 15 familles en simultané.

Une fois par semaine, Marie-Christine Morel fait le point avec son équipe et la tient informée des mouvements à la MEF. Le service d’accompagnement familial est présenté à tout nouvel arrivant et à sa famille. Les éducatrices prennent contact et expliquent la proposition du SAF. Bien sûr, elles respectent le cadre défini par l’ordonnance de placement. Certains enfants rentrent tous les week-ends chez eux, d’autres peuvent voir leur famille une fois par semaine ou tous les quinze jours. Pour d’autres, enfin, le juge a estimé nécessaire de rompre tout contact. Quand il y a maintien du lien hors du domicile familial, la visite se déroule dans les locaux du SAF. Un bienfait en termes de qualité d’accueil : le dispositif collectif et informel du samedi après-midi a définitivement cédé la place à des temps individualisés et encadrés. Si le parent le souhaite, l’accompagnement peut même être prolongé pour aller acheter des vêtements, se rendre avec l’enfant chez la conseillère d’orientation, etc. La prise en charge par le SAF peut aussi naître d’une demande. Un adolescent plutôt turbulent qui veut rencontrer sa grand-mère, et ce sont des samedis après-midi passés à jouer au Monopoly… au grand étonnement des éducateurs, qui n’espéraient pas autant de patience de sa part. « Les parents aussi sont surpris », témoigne Christiane Douchet, éducatrice spécialisée. « Je pense à une maman et à un adolescent qui sont en demande forte pour se voir le samedi soir. Mais le juge n’a pas autorisé la nuit au domicile et la maman finit son travail tard, vers 22 heures. Je leur ai proposé de les accompagner dans une sortie au restaurant et au bowling. La mère n’osait pas y croire. »

AU-DELÀ DE LA CULPABILITÉ DES PARENTS

« Nous voulions aller au-delà de la visite du samedi, travailler sur la semaine et nous mettre à la disposition des familles plutôt que l’inverse, se souvient Eric Poix. Ce qui a bousculé les habitudes. » Un dispositif qui ne coulait pas de source dans un établissement où sont accueillis, souvent en urgence, des enfants considérés en danger face à des parents abandonniques, parfois victimes de maltraitances. « Au début, certains collègues de l’internat ne seraient jamais entrés dans notre service, raconte Christiane Douchet. Je les comprends, ils voient les enfants quand ils arrivent, ils prennent en pleine figure leur souffrance. » Difficile pour eux de voir les parents renouer des liens avec ces enfants. « L’enfant avant tout » : cette phrase revient souvent chez les éducateurs de l’internat. « C’est la vieille idée selon laquelle l’éducateur saurait faire, pas la famille », décrypte Marie-Christine Morel. Ce qui laissait peu de place aux parents, souvent considérés comme pathogènes. Aujourd’hui, l’ensemble des équipes travaillant à la MEF mesure le travail accompli.

Une autre difficulté consiste à établir une relation avec les parents : « Nous devons essayer d’aller au-delà de la culpa­bilité des familles, explique le directeur. En plaçant leurs enfants, on leur signifie qu’elles sont incapables de s’en occuper. Il n’est pas facile pour elles de se rapprocher du lieu d’accueil. » Ce qui implique de casser l’image qu’elles ont du travailleur social, « celui qui fait des rapports ». Et aussi de faire en sorte que l’éducateur veille à ne jamais prendre la place du parent. Facile à dire, moins à tenir. « Comment faire, par exemple, pour que, dans une réunion parents-professeurs, l’enseignant ne s’adresse pas à l’éducateur mais au parent ? », s’interroge Christiane Douchet. Une problématique sans cesse travaillée au SAF. Nathalie Duval-Anis, la psychologue, est là d’ailleurs pour décoder les situations. Souvent en position d’observatrice, elle vient en appui aux travailleurs sociaux. « L’intervention psychologique intervient hors des temps d’accompagnement des familles, d’autres moments lui sont réservés, après discussion du cas », indique-t-elle. Elle dispose en outre d’un bureau où elle reçoit, ce qui lui permet de préserver la confidentialité des échanges.

La MEF a décidé d’aller au bout de sa logique. Comme dans les autres structures, elle a mis en place un groupe d’expression, composé, comme la loi l’exige, du directeur, de deux représentants des enfants (un pour chaque groupe d’âge, les 6-15ans et les 16-18ans) et d’un représentant des parents, avec leurs suppléants. « Mais qui sont ces représentants ? questionne Eric Poix. Un parent qui n’a pas osé dire non ? La plupart de nos collègues se sont tournés vers des associations de parents d’enfants placés. Cela n’a pas été notre choix. »

Le SAF a été chargé de créer et d’animer un collectif de parents, lequel désigne en son sein ses représentants, titulaire et suppléant, pour le groupe d’expression. Ce mardi, c’est justement la réunion du collectif. La mobilisation reste aléatoire : une dizaine de parents avaient été invités, trois ont promis de venir. Au final, seule Fanny M., une habituée qui a déjà participé au groupe d’expression, poussera la porte cet après-midi-là. L’équipe a l’habitude de cette irrégularité des présences. Le public auquel elle s’adresse est fragile. Devant le café et les petits gâteaux, le collectif de parents se tient quand même. Christiane Douchet évoque les vacances de la Toussaint, un séjour qui s’organise en priorité pour « ceux qui ne repartent pas au domicile et ont peu de liens familiaux. » « C’est pour aller où, alors ? », demande Fanny M. Dans les Côtes d’Armor, pour une semaine. Autre sujet : la mère de famille estime être peu informée du déroulement de la scolarité de son enfant. A part deux mots dans le carnet de liaison pour tapage en classe qu’elle a signés le jour même de la rentrée, pas de nouvelles. « C’est que tout va bien », la rassure Christiane. « Je ne doute pas de ses capacités, il a une super tête, mais ce sont les problèmes de comportement », répond Fanny M. L’éducatrice reprend : « Nous n’attendrons pas que ce soit dramatique pour vous interpeller. » Elle propose dans la foulée un point scolaire la semaine suivante. Autre source d’inquiétude pour Fanny : la pilule du lendemain délivrée au collège, sans que les parents n’en sachent rien. Elle revient plusieurs fois sur le sujet au cours de la discussion. Pour répondre à cette inquiétude, Christiane Douchet propose de solliciter le groupe de parole et d’y inviter une intervenante du Planning familial pour évoquer la vie sexuelle et affective des adolescents.

FannyM. a été re­conduite comme représentante des parents pour la réunion du groupe d’expression. L’ordre du jour concerne le fonctionnement de l’établissement. Les demandes parentales sont très concrètes : par exemple, l’hiver, aller chercher les collégiens pour leur éviter vingt minutes de marche sous la pluie. « Nous n’y avions jamais pensé », s’étonne le directeur. Idem pour les traversins qui équipaient depuis l’origine les lits des chambres de l’internat : les parents ont demandé des oreillers, plus confortables. Surtout, les représentants des enfants découvrent les parents sous un autre jour lorsque ceux-ci rappellent les règles, s’insurgent quand une porte est défoncée sous un coup de colère, font la leçon. Ils reprennent en définitive leur rôle éducatif. « Parce qu’ils sont les représentants des autres, ils prennent la parole, et les enfants les écoutent », note Eric Poix qui y voit des évolutions positives dans les représentations de part et d’autre.

UNE BAISSE DES VIOLENCES À L’INTERNAT

Et les bénéfices sont là : « On observe moins de violences à l’internat chez les ados, constate le directeur, car il y a une forme de réassurance dans ce travail de lien, de dialogue, de confrontation. » De même, le comportement scolaire s’améliore. Corinne Verstuyft, monitrice­éducatrice à l’internat, approuve : « Cela apaise les tensions, nous avons un meilleur contact avec les familles. Le hall d’accueil n’était pas du tout adapté, les enfants venaient discuter avec les parents des autres, il y avait toujours quelqu’un qui interférait dans la relation. Ici, une autre parole émerge. » Du côté des parents, FannyM. témoigne de cette ambiance qui la rassure : « On est bien accueillis, bien écoutés, bien compris. Moi, j’ai besoin de savoir ce qui se passe et ici, je n’ai pas de souci à me faire, il a sa chambre personnelle, il fait ses devoirs. Les éducateurs donnent des règles aux enfants. » Elle garde ainsi un souvenir ému d’un gâteau au yaourt qu’elle a réalisé au SAF avec son fils : « On parlait tous ensemble de choses et d’autres. » Et elle confie, sans fard : « J’ai perdu mon rôle de maman, ça me manque de ne plus lui faire à manger, pour dire qu’on se retrouve lui et moi. Maman, c’est le métier le plus dur, à ce qu’il paraît. Ce qu’ils font ici, j’essaie de le faire chez moi. » Elle cherche à comprendre : « Mon fils, il écoute l’éducateur et pas moi. Comment vous faites ? » L’éducatrice spécialisée et la psychologue décryptent : « Il vous teste, il veut voir s’il arrive à vous atteindre, à vous forcer à retirer vos billes. Il veut voir s’il peut se dire : “Maman, elle tient le cap.” »

Le service d’accompagnement familial a d’autant plus sa place au sein de la MEF que l’institution a créé en septembre 2011 un service d’accompagnement à domicile des enfants entre 0 et 18 ans sous placement administratif et judiciaire. Intitulé Diapason, il a une capacité de 30 places. « Cet éventail de services nous permet désormais de travailler en transversalité. Nous pouvons avoir des sorties de l’internat vers Diapason, ou l’inverse. » Et cela avec l’appui du SAF. Cette volonté de décloisonnement est d’ailleurs concrétisée par la tenue de réunions transversales tous les quinze jours, en plus de la réunion de liaison hebdomadaire entre les deux éducatrices spécialisées et la psychologue du SAF.

C’est le cas ce jeudi, avec Corinne Verstuyft et Patricia Mouchon, toutes les deux monitrices-éducatrices à l’internat. On échange à propos de plusieurs enfants, les visions se croisent et se complètent : une mère perdue avec sa fille, qui l’habille en 10ans alors qu’elle en a 12, un parent qui fuit l’équipe de l’internat et avec qui il faut reposer le cadre… Parfois, l’équipe du SAF dédramatise. Un adolescent a appelé pour demander à l’internat de venir le chercher, car sa mère n’était pas au logement, alors qu’elle devait l’accueillir pour le week-end. Le jugement serait sévère si Christiane Douchet n’expliquait pas les difficultés de la femme à gérer son courrier et son agenda. Elle témoigne aussi de sa culpabilité face à son erreur. Le SAF joue bien souvent un rôle de facilitateur, de liens à la croisée des chemins entre la famille, l’enfant et l’équipe éducative. Marie-Christine Morel sourit quand on lui demande l’intérêt d’un tel service : « Avant, il y avait la loi. Maintenant, nous avons la loi et l’outil. »

Notes

(1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) MEF du Cambrésis : bd du 19-Mars-1962 – 59540 Caudry – Tél. 03 27 85 67 32.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur