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Régime jeunes

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La Maison d’enfants diététique et thermale de Capvern-les-Bains propose à 54 adolescents souffrant d’obésité sévère une prise en charge éducative, médicale, psychologique, diététique, socioculturelle et sportive intensive sur une année scolaire.

Obèse depuis l’âge de 8 ans, adepte de sodas, pizzas et fast-food, Thomas (1) a pesé jusqu’à 130 kg, avec un indice de masse corporelle (2) de 43, indicateur d’une « obésité morbide ». Au collège, il se sentait rejeté, terrifié par le regard des autres, sans amis. Après trois séjours dans une clinique de régime à l’initiative de sa mère, après lesquels il reprend à chaque fois le double du poids perdu, il décide de prendre son avenir en main. « Je me disais qu’il fallait que ça s’arrête, mais tout seul je n’y arrivais pas », se souvient cet adolescent de 16 ans. En 2012, malgré l’éloignement de son domicile, il choisit la Maison d’enfants diététique et thermale (MEDT) de Capvern-les-Bains (3), dans les Hautes-Pyrénées, en raison de l’encadrement et des activités proposées. Après un séjour d’évaluation de un mois en juillet, il intègre l’établissement pour une année scolaire, aux côtés de 53 autres jeunes de 11 à 17 ans. Comme Alice, 12ans, envoyée ici par son endocrinologue, alors qu’elle pesait 80 kg, avec un important taux de cholestérol et un fort risque de diabète.

Etablissement spécialisé dans la prise en charge globale de l’obésité infantile résistante, la MEDT dispose de l’agrément service de soins, de suite et de rééducation (SSR) pédiatrique, spécialisé dans les maladies des systèmes digestif, métabolique et endocrinien. Les jeunes y sont adressés sur prescription médicale par leur médecin traitant ou par l’équipe spécialisée du Réppop (Réseau de prévention et de prise en charge de l’obésité pédiatrique), après l’échec de la prise en charge en ambulatoire. Les adolescents vivent dans un hôtel du XIXesiècle spécialement rénové en 1996, dans cette station thermale du Piémont pyrénéen. Ils sont répartis en fonction de leur âge en trois groupes mixtes de 18jeunes. Chaque groupe dort et mange à son étage, encadré par trois éducateurs. Tous sont scolarisés dans l’établissement privé catholique Notre-Dame-de-Garaison, à Monléon-Magnoac, à trente minutes de là. Outre la scolarité, ils bénéficient d’une prise en charge éducative, médicale, psychologique, diététique, socioculturelle et sportive intensive mobilisant 38 postes en équivalent temps plein. L’équipe compte trois médecins, dont un spécialiste en endocrinologie, deux diététiciennes, quatre enseignants d’activité physique et sportive, sept infirmiers, une kinésithérapeute, deux psychologues, trois cuisinières, huit éducateurs et une assistante sociale-éducatrice (plusieurs professionnels ayant une double compétence).

EN PREMIER LIEU, MESURER LA MOTIVATION

Outre le séjour curatif de dix mois, un séjour de un mois est organisé en juillet ou en août pour préparer une éventuelle intégration. Des séjours d’éducation thérapeutique de deux semaines existent aussi pendant les petites vacances. Ce sont soit des séjours initiaux permettant de mesurer la motivation du jeune par rapport au dispositif thérapeutique et socio-éducatif, ainsi que ses facultés d’adaptation à l’internat, soit des séjours de suivi (renouvelables), appelés aussi « piqûres de rappel », afin de réajuster le relais pris par la famille après la sortie.

Il est 19 heures lorsque les jeunes commencent le service du repas qu’ils ont en charge à tour de rôle. Ils servent à chacun la quantité exacte préconisée par les diététiciennes (plus ou moins 1 800 calories, en fonction des besoins nutritionnels liés à l’âge, des besoins d’amaigrissement mais aussi du ressenti). Au menu : concombre et pousses de soja, blé avec croquettes de brocoli-carotte et une tranche de viande, yaourt et poire. Finir son assiette est impératif, comme le rappelle la charte affichée sur le mur de la salle à manger, avec ses quatre règles alimentaires : « composer les repas avec les cinq familles pertinentes d’aliments » ; « manger de tout, varier les aliments à l’intérieur de chaque famille » ; « faire trois repas par jour et un goûter (ne pas sauter de repas et ne manger que pendant les repas) » ; et enfin « faire des repas structurés (entrée, plat principal complet, dessert) ». On ne fait pas de régime mais on équilibre ses apports alimentaires.

Les repas constituent évidemment des moments clés de la prise en charge puisque l’alimentation est, avec le manque d’activité physique, l’une des causes de l’obésité de ces jeunes – et donc l’un des leviers du changement. Ce sont des moments conviviaux où la bonne humeur fait passer les légumes et les fruits que les jeunes patients consommaient rarement à la maison. « On mange avec eux et on s’assure qu’ils mangent de tout, même s’ils n’aiment pas un aliment, témoigne Audrey Cauquil, éducatrice spécialisée chargée du groupe des plus jeunes. Mais on s’occupe surtout de leur ressenti, car on est là pour faire émerger leur projet de changement. »

LE PROJET DE L’ADOLESCENT ET CELUI DE L’ÉQUIPE

Ce « projet personnel de changement » est la base du travail de l’équipe pluridisciplinaire et s’élabore progressivement avec l’éducateur « pilote de projet », chacun suivant neuf jeunes. La motivation de l’adolescent à changer et le soutien de sa famille sont évalués lors des séjours de préadmission d’été. Ils sont reçus d’abord par un médecin, une diététicienne et un professeur d’EPS, puis par l’éducateur du groupe avec un infirmier, et enfin par la psychologue. « Si un enfant refuse de manger tout son repas, le séjour peut être interrompu car cela montre qu’il n’est pas forcément prêt à faire les efforts nécessaires », explique le docteur Jean-Louis Roggero, directeur de l’établissement.

Le projet du jeune est matérialisé par une pyramide dont le bas représente l’élément le plus important : par exemple, perdre du poids, réussir à l’école, prendre de la distance par rapport à un parent ou se sortir d’un problème particulier… Pour chaque item, le jeune se situe sur une échelle de 1 à 10. « Cette pyramide permet d’explorer le vécu de la surcharge pondérale, l’image et l’estime de soi, l’enjeu de maigrir et la capacité de projection dans le futur, expose Jean-Louis Roggero. Dès qu’un adolescent a un projet personnel, c’est 50 % du travail qui est fait, car il lui permet de se construire sur ses potentiels, de prendre de l’autonomie vis-à-vis de sa famille et de s’inscrire dans le changement. » Cette pyramide donne lieu à des entretiens réguliers avec le pilote de projet et évolue tout au long du séjour.

Ce projet personnel est mis en tension avec le projet individuel, celui que l’équipe pluridisciplinaire envisage pour le jeune à partir du diagnostic d’entrée. « Nous avons des objectifs diététiques, sportifs, éducatifs et nous essayons d’expliquer au jeune comment ces objectifs viendront servir les siens », précise Emilie Dupront, éducatrice sportive et spécialisée, coordinatrice du groupe des plus âgés. « Nous traitons des problèmes validés par l’adolescent, insiste le directeur. Ce qui est important, c’est ce qui le fait souffrir dans son contexte, car ensuite il doit mettre du sens dans les propositions d’organisation qui lui sont faites. » Si elle est capitale, la question du poids n’est pas la seule prise en compte. « Il y a aussi tout ce qui fait que le jeune en est arrivé là, parfois lié à la gestion des émotions, à de l’anxiété ou à des traumatismes psychologiques », témoigne Charlène Gonzalez, la psychologue, qui propose parfois des thérapies cognitivo-comportementales. « L’important est d’arriver à un équilibre confortable entre la famille, l’école et l’amaigrissement, précise Nicole Arné. Ce n’est pas la peine d’être super bon en amaigrissement si ça ne va pas à l’école ou avec la famille. »

Le projet individuel propose un plan d’actions à base de microprojets, réactualisé toutes les six semaines lors d’« états de situation » réalisés en équipe pluridisciplinaire. « Le pilote de projet a un entretien formel avec le jeune avant l’état de situation afin de parler de ses priorités, de réfléchir avec lui sur la façon d’avancer sur ce qui lui tient à cœur », témoigne Nicole Arné, éducatrice spécialisée coordinatrice du groupe intermédiaire. « Nous travaillons sur de petits objectifs à court et moyen terme, souligne Audrey Cauquil, car avec des ados le long terme ne marche pas. » Ainsi, pour Thomas, les objectifs concrets sont d’arriver au palier4 d’un test d’endurance, de faire baisser son taux de cholestérol et son IMC, mesuré lors de la pesée par un infirmier tous les lundis matin. Régulièrement, les infirmiers font aussi une impédancemétrie pour calculer la part entre masse grasse et masse musculaire du corps.

RESTAURER L’ESTIME DE SOI

Pour rendre plus supportables les nombreuses contraintes imposées par le changement de vie, l’équipe s’efforce de mettre du plaisir dans tous les champs du quotidien : alimentation, sport, activités socioculturelles, etc. Des ateliers (bibliothèque, théâtre, arts plastiques, danse, photo, chant, radio, sorties patrimoine…) ont lieu tous les vendredis après-midi. « Notre but est de les aider à se découvrir des passions, car c’est un support thérapeutique très important », indique Jean-Louis Roggero. Le sport, pour lequel 70 % des patients étaient dispensés jusqu’à présent, est adapté pour être agréable malgré le surpoids. Le professeur d’éducation physique vient chercher les élèves dans leur établissement scolaire pendant les heures d’EPS pour les emmener faire d’autres activités. Ce mercredi matin, c’est marche dans la nature pour les 6e-5e, et VTT pour les 4e. « Le VTT est un sport porté qui les soulage de leur poids, explique Patrick Castéran, éducateur sportif. On adapte la pratique par rapport à leur pathologie, mais aussi par rapport à leur motivation, pour les mettre en mouvement. » Le mercredi après-midi, ils participent parfois à des rencontres sportives avec d’autres établissements médico-sociaux. Un week-end sur deux, les jeunes participent aussi à des sorties en randonnées, courses d’orientation ou ski dans la station voisine de Peyragudes. « On essaie de les réassurer par rapport à leur estime de soi et, à la sortie, ils ont tous envie de bouger, assure Patrick Castéran. Lorsqu’ils réintègrent le cours d’EPS scolaire, ils deviennent souvent moteurs. »

Le plaisir est aussi présent dans l’alimentation, une fois dépassée leur aversion première pour les fruits et les légumes. « Notre enjeu est d’éveiller leurs sens et leurs papilles à un maximum de saveurs, pour arriver à diversifier leur alimentation, détaille Sophie Zanibellato, diététicienne coordinatrice du service diététique et de la cuisine. Je leur dis qu’ils peuvent manger de tout mais avec parcimonie, qu’ils doivent apprendre à déguster, à savourer plutôt que gober. » Pour favoriser cette découverte, les éducateurs proposent un accompagnement chaleureux et des sorties de groupe, pour cueillir des fruits par exemple, tandis que les cuisinières concoctent des recettes attrayantes et bien présentées.

Les trois cuisinières sont d’ailleurs des piliers de la maison où elles travaillent depuis trente à quarante ans. Elles préparent tous les repas conçus pour les enfants par les diététiciennes, y compris ceux du midi portés à Notre-Dame-de-Garaison. La MEDT y dispose d’un self à part, où les jeunes sont encadrés par un infirmier et un éducateur. Les cuisinières assurent aussi des cours. Ce mercredi après-midi, les plus âgés enchaînent, par groupes de six, un atelier avec la diététicienne coordinatrice afin d’apprendre à doser correctement les quantités de nourriture, puis un atelier cuisine. « Nous donnons des cours tous les mercredis, raconte Danielle Sabathier, cuisinière. Aujourd’hui, les jeunes préparent le dessert, des brochettes de fruits nappées de chocolat, que nous mangerons ensemble ce soir. Ils doivent lire la recette, apprendre à se servir des ustensiles, bien présenter les plats… La plupart n’ont jamais cuisiné ! Le but est qu’ils puissent le refaire ensuite chez eux. »

L’IMPORTANCE DU CONTEXTE FAMILIAL

Les parents bénéficient eux aussi d’ateliers cuisine lors des journées familles organisées trois fois par an. Ils y font également du sport avec leurs enfants et participent à des groupes de parole. « Certains qui ressentent une certaine culpabilité se rassurent en voyant qu’ils ne sont pas seuls à vivre cela, témoigne Monique Canguillem, éducatrice spécialisée et assistance sociale, qui coordonne ces journées. En confrontant leurs expériences, ils en retirent des forces et des solutions qu’ils partagent. » Car la MEDT n’étant qu’un passage, il est capital de tenir compte du contexte familial de l’enfant pour l’aider à sortir durablement de l’obésité. L’adhésion, l’implication et le soutien de la famille sont primordiaux. « Nous avons eu le cas d’une jeune fille qui n’avait pas le droit de pratiquer le sport chez elle à cause d’interdits religieux, se souvient Patrick Castéran. Nous avions l’impression d’avoir fait du bon boulot, mais à la sortie il ne pouvait pas y avoir de continuité. » « Même s’ils passent une année ici, ce n’est pas toujours gagné, confirme le docteur Béatrice Jouret, spécialiste de l’obésité à l’hôpital Purpan, qui envoie fréquemment des enfants souffrant d’obésité sévère à Capvern. Les changements sont à mettre en place dans la famille, sur le long terme. » C’est pourquoi, depuis quelque temps, la MEDT formalise davantage le projet de la famille, en parallèle du projet du jeune et de celui de l’institution – même s’ils sont parfois contradictoires. Les parents sont en outre associés tout au long de la prise en charge : ils rencontrent le pilote de projet tous les quinze jours, lorsqu’ils viennent le chercher ou, à défaut, lui parlent au téléphone. Le compte rendu de l’état de situation leur est fait d’abord au téléphone, puis par écrit. « On essaie de faire en sorte que les parents nous perçoivent non pas comme des personnes sachantes et jugeantes mais capables de leur apporter de l’aide », souligne Monique Canguillem.

Au final, même si une partie des jeunes reprend du poids, comme le rapportent certains anciens lors des journées familles, « ce qui ressort des enquêtes réalisées six mois et dix-huit mois après la sortie, c’est que les enfants sont plus sûrs d’eux, qu’ils ont les outils et qu’ils savent ce qu’il faut faire », conclut ­Monique Canguillem.

STRUCTURE Le choix du secteur sanitaire

Créée en 1966, la maison d’enfants à caractère sanitaire spécialisée (MECSS) de Capvern-les-Bains était agréée pour les maladies des reins et des voies urinaires, du foie et des voies biliaires, en lien avec l’indication de la station thermale. « C’était une sorte de colonie sanitaire pour enfants énurétiques », se souvient Eric Gonzales, alors enseignant d’EPS, devenu depuis directeur adjoint. Menacée de fermeture en 1990, la MECSS se réoriente, à l’arrivée de son nouveau directeur, le docteur Jean-Louis Roggero, vers l’obésité infantile, alors en plein développement. Elle obtient en 1993 un agrément de maison de régime de 45 lits. En 2010, un décret supprime les MECSS et oblige la structure à choisir entre le secteur médico-social et le secteur sanitaire. « Notre orientation “obésité”’ nous a fait rester dans le sanitaire, explique le directeur adjoint, avec l’obligation de médicaliser davantage l’institution et de réduire un peu l’éducatif. » Entre 2010 et 2012, elle a recruté 30 % de salariés en plus (infirmiers, kinésithérapeute, médecin endocrinologue et assistante sociale) et a repensé son organisation en intégrant sept infirmiers.

Notes

(1) Les prénoms des enfants ont été changés.

(2) L’indice de masse corporelle (IMC) est calculé en divisant le poids en kilogrammes par le carré de la taille en mètres. L’IMC normal se situe à 8 ans entre 15 et 17, le surpoids commençant à 19 et l’obésité à 21,5. A 18 ans, l’IMC normal se situe entre 20 et 22, le surpoids commençant à 26 et l’obésité à 30.

(3) MEDT : 1275, rue de Provence – 65130 Capvern-les-Bains – Tél. 05 62 40 90 90 – www.medt.fr.

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