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« Les représentations de la maladie d’Alzheimer sont aujourd’hui moins misérabilistes »

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Il y a trente ans, on ne parlait pas, ou à peine, de la maladie d’Alzheimer. Aujourd’hui, elle a investi le langage courant. Dans un ouvrage, la sociologue Laëtitia Ngatcha-Ribert analyse le processus qui a permis à cette pathologie incurable de devenir un fait de société.
On parlait autrefois de démence sénile, aujourd’hui de maladie d’Alzheimer. Est-ce la même chose ?

La maladie d’Alzheimer a été décrite en 1906. A l’origine, elle était circonscrite à une forme rare de démence présénile touchant des personnes de moins de 60 ans. Elle se distinguait de la démence sénile, vue alors comme la conséquence naturelle du vieillissement. Ce n’est que bien plus tard, dans les années 1970, que, grâce aux progrès de la science, des chercheurs américains ont montré qu’il existait des similarités entre ces deux types d’affection et ont commencé à les rapprocher conceptuellement. Le terme « démence sénile », devenu péjoratif, a ainsi progressivement disparu au profit de la seule appellation « maladie d’Alzheimer », jugée moins stigmatisante.

Où en est-on aujourd’hui sur le plan de la connaissance médicale ?

L’ouvrage des chercheurs américains Peter Whitehouse et Daniel George Le mythe de la maladie d’Alzheimer, paru en 2009, a eu un fort impact en remettant en cause un certain nombre de certitudes. Et sans aller jusqu’à affirmer que la maladie d’Alzheimer n’existe pas, on peut dire que l’on s’achemine vers une vision plus composite de cette affection qui relève d’un modèle plurifactoriel d’explications, avec sans doute des composantes génétiques et environnementales et un caractère organique et lésionnel au niveau vasculaire chez les personnes vieillissantes.

La maladie d’Alzheimer s’est, selon vous, autonomisée vis-à-vis de la vieillesse…

Elle peut toucher des personnes dès 40 ans. Et l’une des thèses défendues par les associations et les chercheurs est qu’il s’agit d’une maladie à part entière, au même titre que le cancer ou le sida, et qu’elle n’est pas spécifiquement liée à la vieillesse. L’autre thèse des associations et des spécialistes consiste à dire qu’il s’agit d’une maladie organique relevant de la neurologie, et pas d’une maladie mentale qui serait du ressort de la psychiatrie. Le grand public a lui aussi évolué. Une enquête de l’INPES auprès du grand public, dans le cadre du troisième plan Alzheimer, montre que la maladie est aujourd’hui rattachée davantage aux troubles de la mémoire qu’à l’âge. Même si l’essentiel des patients a plus de 60 ans. Et au niveau de la prise en charge, spontanément, les gériatres continuent d’accompagner les malades les plus âgés, tandis que les neurologues s’occupent plutôt du diagnostic initial et des malades jeunes.

La maladie d’Alzheimer n’est-elle pas connexe de la question de la dépendance ?

Elle l’a longtemps été et le reste encore dans les systèmes de prise en charge, qui passent globalement par les mêmes circuits, mais conceptuellement et institutionnellement, les deux sujets sont détachés. En 2000, lors de la préparation du premier plan Alzheimer, Paulette Guinchard-Kunstler, alors secrétaire d’Etat aux personnes âgées, avait d’ailleurs milité pour que la maladie d’Alzheimer ne soit pas rattachée à la dépendance. Mais cela peut encore changer. Que va faire le gouvernement actuel ? Certains évoquent la possibilité de rattacher la prise en charge de la maladie d’Alzheimer à la dimension du « bien-vieillir ». Ce serait un nouveau tournant qui s’inscrirait dans le cadre plus général du combat contre le vieillissement. On voit aussi émerger l’expression anglo-saxonne de « Dementia Friendly Societies », qui reflète le souci de créer des sociétés plus accueillantes aux personnes malades d’Alzheimer.

L’inscription de cette maladie dans le champ médical a été assez tardive…

L’autorisation de mise sur le marché de la Tacrine, le premier médicament destiné à la maladie d’Alzheimer, a constitué en 1994 un tournant décisif, même s’il ne s’agissait que de traiter les symptômes. Cette avancée a dédramatisé les choses et réhabilité le rôle des médecins, en particulier des neurologues et des gériatres, qui avaient enfin une thérapeutique à proposer. Jusque-là, une sorte de fatalisme médical entourait la maladie d’Alzheimer. Ce médicament, qui n’est plus utilisé aujourd’hui, a changé les représentations en introduisant l’idée qu’un traitement était possible avec le début d’un parcours de soins. Cela a, d’une certaine façon, déculpabilisé les familles, alors qu’à l’époque on pouvait chercher les causes de la maladie d’Alzheimer dans l’histoire familiale. L’un des aboutissements de ce processus a été son inscription en 2004 au sein des affections de longue durée. Elle est désormais reconnue comme une maladie chronique remboursée.

A quel moment sont apparues les associations de malades et d’aidants ?

France Alzheimer a été créée en 1985, avec pour objectifs de favoriser la reconnaissance de la maladie, de soutenir la recherche et d’aider les familles. En revanche, les associations du réseau ont ensuite mis du temps à se lancer sur le terrain du lobbying politique. C’est venu d’une demande de leurs militants, qui souhaitaient que leurs organisations aient davantage d’impact sur les pouvoirs publics. Il leur fallait certainement créer une identité collective positive qui n’existait pas au départ.

La parole des malades, observez-vous, est aujourd’hui davantage prise en compte…

L’une des caractéristiques de cette maladie est le rôle essentiel des proches. A tel point que, pendant longtemps, au niveau international, on a considéré que l’aidant était la première victime de la maladie en raison du fardeau que cela représentait et dans la mesure où, pensait-on, la personne atteinte ne se rendait pas compte de ce qui se passait. C’était évidemment une conception erronée, mais pendant longtemps il y a eu confusion entre les besoins des malades et ceux des aidants. On entendait même des expressions comme « mon malade Alzheimer ». Il y avait sans doute un objectif de protection, mais c’était excessif. Aujourd’hui, il n’est plus rare d’entendre des malades s’exprimer à la tribune des grands colloques internationaux. En outre, des associations de malades se sont créées à leur initiative : DASNI à l’étranger et Ama Diem en France.

De quelle façon l’image de la maladie a-t-elle évolué dans le grand public ?

Les sondages montrent que plus les gens avancent en âge, plus la maladie fait peur. A partir de 55ans, c’est la pathologie la plus redoutée devant le cancer. Les représentations de la maladie d’Alzheimer sont toutefois moins sombres et misérabilistes qu’il y a dix ans. Il faut dire que l’on assiste à une véritable explosion médiatique et culturelle autour de cette pathologie. Des romans ont été publiés et des films tournés, des émissions de télévision ont donné la parole à des personnes malades et à leurs proches. On a également vu des personnalités rendre public le fait qu’elles étaient malades. Le terme « Alzheimer » est même entré dans le langage courant. Les témoignages permettent d’avoir une vision beaucoup plus nuancée de la maladie. Le fait d’apporter de l’aide à un proche est vécu parfois comme une expérience enrichissante. Je pense à une dame qui me disait avoir retiré beaucoup de bonheur du fait d’aider sa mère malade. Et la maladie s’inscrit malgré tout dans un parcours de vie. Il existe d’ailleurs sur Internet un certain nombre de blogs qui cherchent à promouvoir une vision plus positive de la maladie.

Quelle a été l’implication des pouvoirs publics ?

Trois plans Alzheimer se sont succédé depuis 2001, et un quatrième devrait voir le jour. Il faut toutefois noter que, sur ces trois plans, seul le dernier (2008-2012) a été porté au niveau présidentiel. Il comportait des mesures précises et financées, alors que les deux autres plans ont eu sans doute davantage une portée symbolique. Cet investissement intensif des pouvoirs publics est unique au monde. L’alternance politique y est sans doute pour quelque chose, chaque ministre voulant imprimer sa marque. Une autre explication est que les hommes politiques ont commencé à être personnellement touchés dans leur entourage par la maladie, du moins à en être davantage conscients.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Laëtitia Ngatcha-Ribert est sociologue, rattachée au Groupe d’études pour l’Europe de la culture et de la solidarité (Gepecs) de l’université Paris-Descartes. Elle est chargée de mission à la Fondation Médéric Alzheimer (1). Elle publie Alzheimer : la construction sociale d’une maladie (Ed. Dunod, 2012).

Notes

(1) Elle s’exprime ici à titre personnel.

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