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NIMBY, WIMBY, BIMBY, SIMBY…

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Julien Damon Professeur associé à Sciences-Po. Ancien chef du service Questions sociales au Centre d’analyse stratégique.

L’expression « vivre ensemble », qui est progressivement devenue un substantif, le « vivre-ensemble », relève pour beaucoup du bla-bla bobo. Tout devrait être fait pour améliorer, soutenir, permettre ce vivre-ensemble. Mais qu’en pensent les principaux concernés, c’est-à-dire nous tous ? Il est loin d’être assuré que tout le monde soit d’accord pour vivre ensemble. Au contraire – et tous les mécanismes de ségrégation l’illustrent –, il semble que l’on souhaite bien davantage vivre entre nous, voire chez soi. Le « entre nous » et le « chez soi » ne se sont pourtant pas transformés en expressions d’usage courant. Pour les aborder de façon imagée, on peut passer par la reprise de sigles tirés d’analyses anglo-saxonnes, de plus en plus présents dans les débats français. Ces acronymes autorisent une peinture de bien des réalités et résistances que les politiques publiques voudraient contrecarrer, mais que les habitants – nous tous – font vivre.

NIMBY (Not In My Backyard, « pas dans mon jardin ») est probablement l’un des acronymes les plus connus. Issu de l’urbanisme, il est devenu objet de théorisations savantes et argument de polémiques militantes. Il désigne, en la dépréciant ironiquement, l’opposition locale à l’implantation ou au développement d’infrastructures, d’équipements et de logements, en raison des nuisances probables ou supposées que ces installations pourraient engendrer. On peut souhaiter que tout le monde soit bien logé, mais on refuse les hébergements et logements sociaux à côté de chez soi. On apprécie d’avoir de l’électricité, mais on ne veut pas de centrale près de chez soi. En gros : d’accord sur les principes, mais pas de ça chez moi !

Le sigle NIMBY est apparu durant les années 1980 dans le vocabulaire d’urbanistes anglo-saxons. Depuis, d’autres acronymes imagés sont venus s’ajouter pour décrire ou décrier les oppositions locales à l’implantation d’équipements. De nouveaux raccourcis comme LULU (Locally Un­wanted Land Use, « usage indésirable d’un terrain local ») ou NOOS (Not On Our Street, « pas dans notre rue ») viennent remplacer ou compléter NIMBY. A une échelle plus large, on parle volontiers de NOPE (Not On Planet Earth, « pas sur la planète terre »), notamment en ce qui concerne les débats sur le nucléaire. Des termes plus politiques sont apparus comme NIMEY (Not In My Electoral Yard, « pas dans ma circonscription ») ou NIMTOO (Not In My Term Of Office, « pas durant mon mandat »). Ces termes, érigés en slogans, s’ajoutent à une collection d’expressions très critiques. Certaines désignent des catégories particulières d’habitants, comme les CAVE (Citizens Against Virtually Everything, « citoyens contre tout »). D’autres soulignent les périls associés aux conséquences collectives de ces replis particuliers. C’est, par exemple, le conseil BANANA (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone, « ne rien construire quelque part à proximité de quiconque ») qui invite à ne plus rien entreprendre. Et qui résonne assurément avec une maxime bien française : un maire qui bâtit est un maire battu !

De manière volontariste, quasiment utopique, certains ont plaidé, à rebours du NIMBY, pour le WIMBY (Welcome In My Backyard, « bienvenue dans mon jardin »), mais sans contenu précis ni grande postérité. Il n’en va pas de même, en France, pour le dernier né, le BIMBY (Build In My Backyard, « construisez dans mon jardin ») (1). Sous ce terme, une idée forte : il est possible, à la fois, de densifier les villes et de proposer de nouveaux logements à prix accessibles tout en s’adaptant aux évolutions sociodé­mographiques d’une ville, le tout sans provoquer l’opposition des riverains. Le projet a une direction précise : la densification par la maison individuelle. Et cette « nouvelle filière de production de la ville » est en phase d’expertise par de très sérieux chercheurs, réunis dans le cadre d’un projet soutenu par l’Agence nationale de la recherche.

La boucle n’est pourtant pas bouclée. On peut proposer une nouvelle abréviation dont le point d’entrée, en l’occurrence, n’est plus la problématique de la densité, mais celle de la mobilité. Le SIMBY (Stay In My Backyard, « rester dans mon jardin ») pourrait illustrer, à l’avenir, ce qui relèvera d’un mélange d’aspirations (limiter les déplacements professionnels désagréables) et de contraintes (les coûts élevés des déplacements): je veux rester autour de chez moi… Embarrassés traditionnellement par le NIMBY, les responsables politiques et opérateurs des villes pourraient, à l’avenir, devenir les promoteurs et organisateurs du SIMBY, pour des mobilités douces et réduites. Alors que le NIMBY incarne l’égoïsme local, le SIMBY pourrait venir désigner une mobilité raisonnable et des modalités de vivre-ensemble acceptables. A imaginer…

Notes

(1) Voir http://bimby.fr.

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