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Une transition vers l’extérieur

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Le foyer des Augustins, à Amiens, accueille depuis 2010 des personnes placées sous surveillance électronique et privées d’un domicile où exécuter leur peine. L’équipe éducative apprend à travailler avec ce nouveau public, qui ne peut sortir qu’aux heures fixées par la justice.

A midi pile, il est là. Michel M. (1) respecte son obligation horaire. Il porte un bracelet électronique et vit ici, au foyer des Augustins d’Amiens, le temps de terminer sa peine. Ce lundi matin, il bénéficiait d’un droit de sortie de 9 heures à 12 heures. Son entrée dans la salle à manger sème une légère agitation. Il a la répartie facile et détonne dans l’assemblée tranquille qui déjeune. En 2010, l’Ilot, l’association qui gère cet établissement, a signé une convention avec l’administration pénitentiaire pour accueillir des personnes contraintes à un placement sous surveillance électronique (PSE). Cette association dispose d’un agrément pour six personnes sur les deux centres d’hébergement qu’elle possède à Amiens. Les Augustins accueillent une population de grands marginaux, généralement âgés, avec 20places de stabilisation et 20 autres en maison-relais (2). La seconde structure, la résidence Thuillier, est un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de 68 places réservé aux femmes et aux familles avec enfants (3).

Ce n’est pas un hasard si les Augustins et la résidence Thuillier ont décidé d’ouvrir leurs portes aux porteurs de bracelet électronique. L’accueil d’un public en lien avec la justice est profondément ancré dans l’histoire de l’association. Créé à Paris en 1969, l’Ilot s’était en effet dès l’origine concentré sur les sortants de prison. Au point d’avoir été la première association, dès 2005, à accueillir des usagers sous PSE en CHRS. Mais cette spécificité ne correspondait pas à la réalité amiénoise, où le principal besoin restait l’accueil des gens vivant dans la rue. En 2007, toutefois, le projet associatif est remis à plat, avec la volonté de proposer un accompagnement au public « justice » dans tous les établissements, en s’appuyant sur l’expérience parisienne. Une nouveauté qui a imposé de réfléchir à la manière d’accueillir ces nouveaux profils aux côtés des usagers habituels.

LA DEMANDE DES SERVICES PÉNITENTIAIRES

Pourquoi accueillir des personnes en PSE dans des structures dédiées aux exclus ? Le placement sous surveillance électronique exige un domicile et une connexion téléphonique. Or tous ceux qui y sont astreints ne peuvent pas remplir cette obligation, surtout dans les cas de fin de longue peine quand il y a eu rupture avec l’environnement familial, par exemple en raison d’un divorce. Autre cas de figure fréquent : les hommes ayant commis des violences conjugales. Le PSE leur est alors proposé mais « ils sont souvent condamnés à une mesure d’éloignement de leur domicile », explique Christelle Vallois, l’assistance sociale des Augustins. Impossible, donc, de donner leur ancienne adresse. Les CHRS sont de plus en plus sollicités par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) – « pour les personnes sans domicile ou pour celles qui nécessitent un suivi social particulier à l’extérieur », précise Mathilde Saglio, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation à la maison d’arrêt d’Amiens. A noter que, durant les trois premiers mois en PSE, les établissements d’accueil bénéficient d’un financement complémentaire de 20 € sur le prix de journée normal.

Du côté de la résidence Thuillier, l’équipe est encore peu confrontée à ce nouveau public. En 2012, une seule personne a été reçue dans ce cadre. De fait, les femmes sous PSE sollicitent peu le dispositif. « Elles ont sans doute une plus grande solidarité autour d’elles et sont moins isolées », estime Agnès Delasalle, la directrice, assistante sociale de formation. Elles trouvent donc plus facilement un point de chute. Aux Augustins, au contraire, ce mode de prise en charge s’est davantage développé. Depuis deux ans, dix personnes en PSE ont été accueillies. De ce fait, il existe dans l’établissement une mixité des profils, souligne Charles Barbezat, le directeur : « L’usager sous PSE peut se retrouver avec un public plus désocialisé que lui. » Ce que confirment Nora Bouzidi et Stéphanie Ollivier, éducatrices spécialisées : « Ceux que nous accueillons en lits de stabilisation ont au moins 40 ans. Ils ont déjà un parcours difficile derrière eux. Quant aux places en maison-relais, c’est une fin de parcours pour les personnes âgées. Les PSE, eux, sont des hommes jeunes, qui ont plutôt une trentaine d’années. »

Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cette mixité ne crée pas de problèmes majeurs. Elle induit même une dynamique intéressante, estiment les travailleuses sociales. « On constate ainsi une grande tolérance sur des questions d’hygiène, alors qu’un public de grands marginaux peut être difficile à vivre », constate Stéphanie Ollivier. Surtout, l’équipe observe un effet miroir positif : « Les jeunes en PSE prennent conscience que leurs difficultés pourraient les mener vers un parcours comparable à celui des résidents de la maison-relais, s’ils restent dans la répétition de leurs actes. » Ce qui les pousse à travailler leur projet. Il est toutefois arrivé, se souviennent-elles, que la confrontation entre les deux publics provoque « une difficulté à maintenir une personne dans les lieux ».

DES ASTREINTES HORAIRES LOURDES

Un certain nombre d’astreintes sont évidemment liées au port du bracelet électronique. L’objet en lui-même ne pose guère de problème. Il reste discret, souvent attaché à la cheville, facile à cacher sous un jean : « Ce n’est pas très pesant institutionnellement, confirme Nora Bouzidi. Certaines personnes l’exposent même en mettant des shorts. » En revanche, les obligations horaires qui y sont associées sont bien plus difficiles à supporter pour des hommes jeunes. Le porteur de bracelet est en effet assigné sur son lieu de résidence durant des tranches horaires précises fixées par le juge. Sa présence sur place est contrôlée par une unité de surveillance, branchée à une prise téléphonique. Celle-ci communique en temps réel avec le centre de surveillance et détecte automatiquement la présence du bracelet électronique. S’il y a absence aux heures prévues, une alerte est déclenchée. Le centre de surveillance est alors prévenu et peut appeler pour comprendre ce qui se passe. « La retenue génère l’envie de sortir », remarque Stéphanie Ollivier. C’est d’ailleurs l’une des contradictions qu’il faut apprendre à gérer. Les usagers vieillissants ont plutôt tendance à rester paisiblement dans leur chambre ou dans les espaces communs, alors qu’ils ont toute liberté d’aller et venir. Les plus jeunes, eux, doivent supporter des heures d’enfermement. « Ils vont montrer qu’ils ne peuvent pas sortir, ils vont se faire entendre », raconte Nora Bouzidi. Et ces contraintes horaires « peuvent susciter un stress important quand un rendez-vous est pris à l’extérieur », poursuit l’éducatrice, par exemple pour refaire une carte de sécurité sociale. Un peu trop d’attente, un bus bloqué dans un embouteillage… et la personne sous main de justice peut craindre de ne pas être rentrée à temps. Elle peut évidemment signaler son retard au central de surveillance, mais la tension reste présente.

UNE MESURE QUI NE CONVIENT PAS À TOUS

Si la personne n’a pas respecté volontairement l’obligation de rester à l’adresse d’assignation, elle peut être placée en détention. Un tel scénario s’est déjà déroulé aux Augustins, et cela reste un mauvais souvenir pour l’équipe. Il s’agissait d’un récidiviste, sur fond de violences, de problèmes psychiatriques et d’addiction à la drogue. « Il est reparti à la maison d’arrêt à cause de son comportement et non de l’institution, mais j’aurais eu besoin de le rencontrer pour le lui expliquer et cela n’a pas eu lieu », regrette Stéphanie Ollivier. Pour Charles Barbezat, le directeur, ce cas de figure résulte sans doute d’une mauvaise orientation : « Cette personne a dépassé nos capacités de prise en charge. Désormais, nous sommes plus attentifs aux profils des gens qu’on nous propose. » Car l’établissement ne convient pas nécessairement à toutes les personnes en PSE. « Nous avons assez régulièrement des retraits de mesure et nous ne les vivons pas forcément comme des échecs, souligne Mathilde Saglio, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation. Quand elles sont en détention, les personnes ont l’impression que le PSE est idyllique. Nous les prévenons que ce n’est pas le cas, qu’il engendre des frustrations, mais il leur est difficile de l’entendre. »

L’un des points d’achoppement du dispositif reste le faible nombre de personnes accueillies. « Les CHRS ne peuvent pas réserver beaucoup de places pour les personnes avec bracelets alors qu’ils ont déjà des listes d’attente pour leur public traditionnel », reconnaît Mathilde Saglio. Ce petit nombre permet cependant de mieux gérer les spécificités d’une prise en charge dont la méthodologie est loin d’être stabilisée. Par exemple, regrette Christelle Vallois, l’assistante sociale du foyer, l’usager sous PSE arrive dans l’institution en même temps que le surveillant de prison chargé d’installer le boîtier qui va le contrôler. « Nous sommes dans l’urgence, car il y a eu une décision de justice et il faut tout de suite l’exécuter. » Sinon, la personne peut perdre la possibilité de son placement. « L’accompagnement démarre normalement à la première rencontre, pointe-t-elle aussi. Mais souvent, nous n’y sommes pas. » Une situation guère idéale pour lancer une mesure, surtout lorsque l’usager n’a pas conscience des particularités du milieu où il va vivre. Ce dont convient volontiers Mathilde Saglio, qui évoque un « temps judiciaire complexe, avec des entrées et sorties permanentes, qui ne peuvent pas toujours être anticipées ». Heureusement, dans les cas d’aménagement de fin de peine, des procédures plus classiques d’admission sont respectées. Le détenu qui souhaite trouver une place en CHRS présente sa demande au service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) d’Amiens. Les représentants des différentes structures d’hébergement en discutent, avant de lui proposer une orientation. La structure candidate prend rendez-vous avec la personne pour un entretien de préadmission, puis donne ou pas son accord.

Christelle Vallois et ses collègues éducatrices spécialisées aimeraient une meilleure coordination avec le SPIP : « Nous nous sentons prestataires de l’administration pénitentiaire, et non pas partenaires. » Ainsi, elles regrettent de ne pas toujours connaître les contraintes imposées aux résidents en PSE. Ni les raisons qui les ont amenés à avoir affaire à la justice. « Il serait par exemple difficile d’entamer un travail sur la parentalité avec nos résidents plus âgés avec, à côté, des personnes condamnées pour atteintes aux mœurs », explique Christelle Vallois. Du côté du SPIP, la position est ferme : « C’est au SPIP de veiller au respect des obligations, rappelle Mathilde Saglio. Qu’il s’agisse de soins ou d’une amende à payer au Trésor public. Nous faisons le lien entre l’équipe du foyer et le monde judiciaire. Nous avons pour mission d’informer le procureur et le juge d’application des peines. En revanche, nous ne sommes pas présents au quotidien. » Charles Barbezat, le directeur des Augustins, reconnaît que la question du partage des rôles se pose. « Dans cette relation, il y a l’usager, le SPIP et nous. Et ce tiers n’est pas neutre. » Mais il insiste sur la jeunesse du dispositif : « Nous devons encore donner des gages de notre compétence, travailler le rapport de confiance et mettre en place les outils nécessaires. » Une fiche de liaison devrait ainsi bientôt voir le jour.

RETROUVER DES REPÈRES

Malgré ces difficultés, l’équipe éducative reconnaît le bien-fondé de cette transition avant la fin de la peine, préférable à une sortie sèche où l’ancien détenu affronte seul l’extérieur. Après dix mois d’incarcération, Michel M. apprécie ce suivi. « Habituellement, on n’est pas accompagné en sortant. » Son PSE aux Augustins lui permet « d’avancer, avec tout de même une structure qui encadre ». Son objectif : passer son permis pour devenir chauffeur-livreur. Il entend mettre à profit ce temps de semi-liberté pour passer l’examen et aussi trouver un logement. « Je serais seul chez moi, ce ne serait pas la même chose », ajoute-t-il. Pour les sortants de prison, le passage par un dispositif faisant fonction de sas est nécessaire : « La prison s’est inscrite dans le corps, constate Stéphanie Ollivier. Ils ont la démarche et le vocabulaire de la prison. Ils appellent leur chambre la cellule et marchent comme s’ils étaient en promenade. Ils n’ont plus aucune initiative, il faut aller les chercher au début de leur séjour, pour leur dire de venir manger, d’aller se coucher. Il y a une perte des repères spatio-temporels. »

Pour l’heure, les professionnels de l’Ilot expriment surtout un besoin d’information et de formation. Certes, ils ont suivi deux journées d’initiation, avec d’autres associations et des partenaires du monde judiciaire. Mais ils souhaiteraient aller plus loin, mieux comprendre l’univers carcéral et formaliser leur démarche. « Nous essayons de rendre lisible notre rôle. Accompagner des usagers sous PSE est un travail différent de notre mission habituelle, une forme de spécialisation », conclut Stéphanie Ollivier.

TENDANCE Un dispositif qui s’étend

Introduit en France en 1997, le bracelet électronique n’a été inscrit dans le code de procédure pénale qu’en avril 2002. Puis son champ d’application s’est étendu sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Auparavant, le placement sous surveillance électronique ne concernait que les aménagements de peine de moins de un an d’emprisonnement. Désormais, la limite est fixée à deux ans. Et les quatre derniers mois d’une peine inférieure ou égale à cinq ans peuvent aussi se dérouler sous surveillance électronique. Une tendance qui devrait se poursuivre dans les prochains mois, la nouvelle garde des Sceaux, Christiane Taubira, ayant marqué son attachement au développement des alternatives à l’incarcération. En juin dernier, 9506personnes étaient concernées par la mesure (4).

INSERTION Des ateliers ouverts aux PSE

A Amiens, l’Îlot a mis en œuvre trois ateliers d’insertion par l’activité économique dans les domaines de la cuisine, de la mécanique et de la menuiserie. L’association peut ainsi proposer un parcours d’insertion aux personnes placées sous surveillance électronique. C’est le cas d’Annabelle A., qui vit chez son fils avec un bracelet électronique. Mais c’est parce qu’elle a décroché un contrat à l’Îlot de six mois en restauration qu’elle a pu bénéficier d’un aménagement de peine. Ses collègues ignorent qu’elle est sous PSE, ou n’en font pas état. Elle s’est fondue dans l’équipe sans difficulté. C’est une volonté de l’encadrement, pour éviter toute stigmatisation. L’entrée dans la structure est cadrée : le détenu propose sa candidature, dans le cadre d’un aménagement de fin de peine et est convoqué à un entretien de préadmission, avec accord du SPIP. Puis un second entretien est programmé avec l’encadrant technique, afin de valider définitivement le dossier et de mettre en place la promesse d’embauche, essentielle pour obtenir un PSE. L’an dernier, 5 % des 96salariés en insertion étaient sous surveillance électronique

Notes

(1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) Outre le responsable, l’équipe des Augustins comprend deux éducateurs spécialisés, une assistante sociale, une aide médico-psychologique, une infirmière, un auxiliaire socio-éducatif, deux agents d’accueil et deux veilleurs. Les Augustins : 29, rue des Augustins – 80000 Amiens – Tél. 03 22 92 20 02 – augustins@ilot.asso.fr.

(3) Thuillier : 71, rue Louis-Thuillier – 80000 Amiens – Thuillier@ilot.asso.fr.

(4) Source : lettre mensuelle de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.

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