J’ai créé ces forums en 2004 lorsque la direction générale de l’action sociale m’a demandé d’interroger les exclus sur leur accès aux droits à la suite de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Je me suis dit qu’il fallait aussi écouter les professionnels et confronter leurs points de vue avec ceux des usagers. Le forum local, qui se tient sur une journée, porte sur l’impact d’un dispositif – l’insertion par l’activité économique (IAE) dans un département par exemple – ou d’une structure – une maison d’accueil spécialisée, un établissement d’aide par le travail… Le matin, deux groupes d’une dizaine de personnes, l’un rassemblant des usagers, l’autre des professionnels – travailleurs sociaux, agents d’accueil… –, se penchent sur ce qu’apporte le dispositif, ses points positifs et négatifs. Cet échange entre pairs leur permet de se mettre à l’aise, de se décharger émotionnellement (notamment pour les usagers qui évoquent un vécu difficile), et de travailler collectivement à l’expression d’un premier diagnostic partagé. L’après-midi est consacré à la restitution et à la confrontation des travaux des deux groupes dans l’objectif d’établir un diagnostic partagé.
La démarche est progressive : les personnes partent de leur vécu et de leurs émotions puis, par l’échange, réalisent un travail plus conceptuel. Souvent, l’après-midi, leur pensée est plus structurée. L’intérêt de cet outil est de traiter usagers et professionnels à égalité, de croiser les regards. Le fait de mettre les gens face à face permet de faire ressortir les divergences et les convergences. Il y a parfois des moments de tension. Je me souviens d’une discussion dans un forum à Bordeaux où il s’agissait de savoir si un professionnel pouvait réellement comprendre les souffrances des sans-abri. Pour les usagers, c’est parfois la première fois qu’on leur donne la parole et le forum permet de modifier le regard que portent sur eux les professionnels. Ces derniers ont aussi des choses à raconter car si on dit beaucoup que les experts sont les usagers, les professionnels le sont aussi !
Non, c’est le temps nécessaire à la décantation des émotions, à la transformation de l’évocation d’expériences individuelles concrètes en diagnostic collectif plus rationnel. Cela prend même un côté solennel apprécié. Il n’est pas rare qu’à la fin de la journée, les participants aient envie de réitérer l’expérience.
Il faut un minimum de capacité d’expression, mais j’ai déjà animé des forums avec des déficients mentaux légers, qui ont beaucoup à dire. Le matin, le groupe d’usagers peut être d’abord scindé en deux ateliers de trois ou quatre personnes pour rendre la parole plus facile.
Dans le cas d’enfants très lourdement handicapés, ce sont les parents qui participent au forum. J’aimerais maintenant tester ce modèle dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Nous rédigeons un compte-rendu et proposons des pistes de réflexion pour mettre en place des actions : poursuite des échanges sous forme de groupes de travail, exploitation de la parole des usagers lors d’un colloque, lancement d’une étude de fond sur un sujet, remise à plat d’une organisation ou de documents d’information… Jusqu’à présent, cet outil a servi à l’évaluation interne d’établissements mais aussi à l’analyse de l’impact de dispositifs – l’IAE en Dordogne (2) –, à préparer la conférence de consensus de 2007 sur les sans-abri (3), à analyser l’accès aux droits avec la CAF et la CPAM du Cher… Dans toutes ces situations, nous avons osé le débat sans avoir peur des usagers !
(1) Le diagnostic de la qualité – secteurs social, médico-social, sanitaire et administration – Le forum local, un outil pour partager l’évaluation entre usagers et professionnels – Editions Seli Arslan, 2012 – Contact :