Liberté d’aller et venir, exercice des droits civiques…: le régime d’exception imposé aux gens du voyage par la loi du 3 janvier 1969, qui les oblige notamment à détenir un titre de circulation – de nature différente selon leurs ressources –, est dénoncé de longue date par les associations de défense des droits de l’Homme et de lutte contre les discriminations. Et même contesté par certains élus comme le sénateur (UMP) de Haute-Savoie Pierre Hérisson (1). En attendant de connaître le sort que lui réserveront les parlementaires (2), le Conseil constitutionnel, qui était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité visant à abroger ce texte ancien, a rendu le 5 octobre une décision au goût d’inachevé pour les détracteurs de la loi de 1969, en ne supprimant qu’un des titres de circulation existant – le carnet de circulation – ainsi que l’obligation d’être inscrit plus de trois ans dans une commune pour pouvoir voter (sur les réactions des acteurs de terrain, voir ce numéro, page 20).
La loi du 3 janvier 1969 impose aux personnes âgées de plus de 16 ans n’ayant ni domicile ni résidence fixe de plus de six mois de disposer d’un titre de circulation. Un livret spécial de circulation est ainsi obligatoire pour celles qui exercent une activité ambulante – et leur famille. Les forains, par exemple, se voient délivrer ce type de livret. Quant aux autres, si elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile (article 3 de la loi), elles doivent, pour pouvoir circuler en France, être munies d’un autre type de titre de circulation. La nature de ce document variait, jusqu’à présent, selon le niveau de ressources des intéressés :
→ un livret de circulation à présenter régulièrement à l’autorité administrative pour les personnes qui justifiaient de « ressources régulières leur assurant des conditions normales d’existence notamment par l’exercice d’une activité salariée » (article 4 de la loi) ;
→ un carnet de circulation pour ceux qui ne remplissaient pas les conditions nécessaires à la délivrance d’un livret de circulation (article 5 de la loi). Ce document devait être visé tous les trois mois par l’autorité administrative et le non-respect de ces dispositions était passible d’une peine d’emprisonnement allant de trois mois à un an.
Le Conseil constitutionnel estime en premier lieu que la distinction opérée par la loi entre les personnes qui ont un domicile ou une résidence fixe de plus de six mois et celles qui en sont dépourvues repose sur une différence de situation et n’est pas contraire à la Constitution. Les sages ne trouvent rien à redire, non plus, au principe même du titre de circulation. Il a pour but de permettre « l’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile » et n’institue « aucune discrimination fondée sur une origine ethnique ». En revanche, relève la Haute Juridiction, « selon qu’elles justifient ou non de ressources régulières », les personnes se trouvant en France depuis plus de six mois sans domicile fixe « sont soumises à des obligations différentes quant au visa par l’autorité administrative du titre de circulation qui leur est remis ». Or cette différence de traitement « n’est pas en rapport direct avec les fins civiles, sociales, administratives ou judiciaires poursuivies par la loi ». Elle est donc contraire à la Constitution.
La Haute Juridiction estime par ailleurs qu’imposer un carnet de circulation à faire viser tous les trois mois par les autorités, sous peine de un an d’emprisonnement, porte « à l’exercice de la liberté d’aller et de venir une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi », qui était, pour le législateur, de « permettre, à des fins civiles, sociales, administratives ou judiciaires, l’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile ou à une résidence fixe d’une certaine durée ».
En résumé, la décision du Conseil constitutionnel, qui est d’application immédiate, entraîne :
→ la disparition de la différence de traitement entre gens du voyage en fonction de leurs ressources, la référence à ces dernières étant supprimée de l’article 4 de la loi ;
→ la suppression de l’article 5 du texte et donc du carnet de circulation.
Le livret de circulation est, en revanche, maintenu.
L’autre disposition censurée concerne le rattachement à une commune que doit solliciter la personne concernée pour obtenir un titre de circulation. Ce rattachement produit tout ou partie des effets attachés au domicile, à la résidence ou au lieu de travail en ce qui concerne, notamment, la célébration du mariage, l’inscription sur les listes électorales, l’accomplissement des obligations fiscales ou bien encore l’affiliation à une caisse de sécurité sociale. Toutefois, concernant les listes électorales, l’article 10 de la loi imposait jusqu’à présent aux intéressés d’attendre trois ans avant de pouvoir effectivement s’inscrire sur les listes de la commune à laquelle ils sont rattachés, au lieu de six mois pour tout autre citoyen. Une exigence jugée contraire aux principes constitutionnels d’égalité entre électeurs.
Le Conseil constitutionnel a en revanche validé toutes les autres dispositions de la loi de 1969 contestées. Il considère par exemple que l’obligation même de rattachement à une commune, destinée à remédier à l’impossibilité pour les personnes concernées de satisfaire aux conditions requises pour jouir de certains droits ou de remplir certains devoirs, ne porte atteinte ni à la liberté d’aller et de venir, ni au droit au respect de la vie privée. Les sages n’ont pas davantage censuré l’article 8 de la loi controversée, qui institue un quota maximal de 3 % de personnes détentrices d’un titre de circulation sans domicile ni résidence fixe par commune de rattachement.
(1) Voir ASH n° 2769-2770 du 20-07-12, p. 26.
(2) En février 2011, les députés ont rejeté une proposition de loi socialiste demandant l’abrogation de la loi de 1969. Deux nouvelles propositions de loi allant dans ce sens ont été déposées cette année, l’une portée par la sénatrice écologiste Esther Benbassa et l’autre par Pierre Hérisson.