La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a validé, le 4 octobre, le refus opposé par les autorités françaises à une femme souhaitant adopter une enfant qu’elle avait recueillie au titre de la kafala (recueil légal en droit islamique). Les juges ont en effet estimé à l’unanimité que ce refus ne viole pas la Convention européenne des droits de l’Homme, dans la mesure où l’interdiction d’adopter posée par la loi française n’est pas absolue.
Les faits sont les suivants : une ressortissante française a obtenu en 2004 le droit de recueil légal (kafala) sur une enfant née en Algérie et abandonnée à la naissance. Le droit islamique interdit en effet l’adoption, qui crée des liens de famille comparables ou similaires à ceux résultant de la filiation biologique (notamment en matière successorale), mais autorise en revanche le recueil légal, qui permet de prendre en charge bénévolement l’entretien, l’éducation et la protection d’un mineur. Soucieuse d’établir un lien de filiation avec l’enfant, la requérante a néanmoins déposé une demande d’adoption auprès des autorités françaises. Le tribunal de grande instance de Lyon a rejeté sa demande en 2007. Il a relevé, en premier lieu, que la kafala lui permettait de prendre toutes les décisions dans l’intérêt de l’enfant. Il s’est en outre appuyé sur l’article 370 du code civil introduit par la loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale, qui interdit l’adoption d’un mineur étranger lorsque sa loi personnelle, c’est-à-dire la loi du pays où il est né, prohibe cette institution. Son refus était aussi fondé en grande partie sur le respect des conventions internationales, y compris la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, qui reconnaît expressément la kafala de droit islamique comme une « protection de remplacement » au même titre que l’adoption. L’affaire est allée jusque devant la Cour de cassation qui a aussi rejeté la demande d’adoption. L’intéressée a alors saisi la CEDH, faisant valoir que l’impossibilité d’établir un lien de filiation avec l’enfant portait une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Dans son arrêt, la Cour observe que l’intéressée ne se plaint pas d’obstacles majeurs dans le déroulement de sa vie familiale, mais qu’elle souhaite l’établissement d’un lien de filiation que le code civil ne lui permet pas. Les juges estiment que la marge d’appréciation dont disposait l’Etat français était ample, dans la mesure où il n’existe pas de consensus sur cette question parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe. Ainsi, la législation ou la pratique interne en Finlande, en Suisse, au Danemark, en Suède et en Belgique exprime certaines réticences à l’adoption d’enfants en provenance de pays interdisant l’adoption, par exemple en imposant des conditions supplémentaires.
La Cour observe ensuite que la kafala est reconnue de plein droit par la France et qu’elle produit, à l’égard de la requérante, des effets comparables à une tutelle, ce qui lui permet de prendre toute décision dans l’intérêt de l’enfant (1). Il lui est en outre possible d’établir un testament pour faire entrer l’enfant dans la succession et choisir un tuteur légal en cas de décès. Les juges européens relèvent également que l’article 21-12 du code civil permet à l’enfant recueilli en France par une personne de nationalité française d’obtenir, dans un délai maximum de cinq ans, la nationalité française et ainsi d’être adopté (2).
Pour la CEDH, en ouvrant rapidement l’accès à la nationalité française à l’enfant recueilli en France par une personne de nationalité française, la France entend favoriser l’intégration de ces enfants sans les couper immédiatement des règles de leur pays d’origine, respectant de cette manière le pluralisme culturel. Un juste équilibre a ainsi été ménagé entre l’intérêt public et celui de la requérante, estiment les magistrats, qui concluent que le droit au respect de sa vie privée et familiale n’a pas été atteint.
(1) En droit français, la kafala est assimilée soit à une tutelle, si l’enfant est abandonné sans filiation connue ou orphelin, soit à une délégation de l’autorité parentale.
(2) Autre exception : l’article 370-3 du code civil permet l’adoption du mineur dont la loi personnelle prohibe l’adoption si ce dernier est né et réside habituellement en France.