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Le pied à l’étrier

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Chaque année, la mission locale Thur-Doller, dans le sud de l’Alsace, accompagne près d’un millier de jeunes vers la formation et l’emploi. Au cœur d’un territoire rural et industriel fortement touché par la crise, ses conseillers jonglent entre contrats aidés, formations et subventions.

Au sous-sol de la mission locale Thur-Doller, située à Thann – petite ville du sud de l’Alsace (1) enchâssée dans un secteur rural au taux de chômage le plus élevé de la région (10,5 %, et 17 % pour les 16-25ans) –, l’atmosphère est un peu moite. Entre ces murs de béton mal isolés, Isabelle Hervieu, intervenante extérieure, anime un atelier « coaching emploi ». Autour d’une table, en arc de cercle, trois filles et trois garçons âgés de 17 à 22ans planchent : ils doivent se décrire et coucher sur le papier leur projet professionnel. Mais aussi, comme le précise l’intervenante, « préparer des réponses aux questions qui pourraient leur être posées en entretien d’embauche et travailler un argumentaire qui semblera naturel, mais qui est en fait très préparé ». Parmi les questions types que doivent anticiper les jeunes : « Quels sont vos défauts et vos qualités ? », « Pourquoi vous prendrais-je plutôt qu’un autre ? », « Quelles sont les connaissances et compétences que vous avez acquises en formation ? », « Expliquez-moi les trous dans votre CV »… Isabelle Hervieu, 43ans, intervient régulièrement à la mission locale. Après un BTS action commerciale, cette consultante, qui n’a « jamais travaillé dans son domaine », s’est spécialisée dans l’insertion des jeunes et des personnes handicapées. Elle a à son actif deux validations des acquis de l’expérience (VAE): l’une de conseiller emploi-formation et l’autre en gestion des ressources humaines, option « ingénierie de la formation ».

ACCOLÉ À PÔLE EMPLOI

Un peu à l’écart, un autre îlot de deux tables est aménagé. Isabelle Hervieu s’y installe face à Camille Pecci, une brunette de 22ans. Elles simulent un échange que cette jeune diplômée pourrait bientôt avoir avec un employeur potentiel. Isabelle démarre et demande à Camille Pecci de se présenter. « Je viens d’un petit village de la Doller, commence Camille. Après un bac littéraire, j’ai fait un CAP petite enfance. C’est un secteur qui m’a toujours intéressé… » Son interlocutrice l’interrompt, mi-admirative, mi-étonnée : « Un bac littéraire et ensuite un CAP ? Ce n’est pas un parcours classique. Pouvez-vous m’expliquer cela ? » Au bout de dix minutes de conversation soutenue, Isabelle Hervieu conclut l’entretien. Camille peut souffler, elle a été convaincante. Isabelle remarque, tout sourire : « Je suis toujours heureuse quand ils sont au point. Au début de cet atelier, qui court sur six séances d’une matinée pendant un mois, les jeunes sont souvent très timides – c’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont orientés vers cet atelier collectif. Pour Camille, l’entretien était chaotique au début. Une partie était fluide, l’autre non. Là, elle s’est bien améliorée. Et puis, même si les jeunes ne règlent pas leur problème de timidité en six matinées, ils sont quand même mieux armés après pour faire face à un employeur. »

Ces ateliers collectifs ne constituent que l’un des aspects du travail d’accompagnement des jeunes mis en œuvre par Anita Kuttler, directrice de la mission locale, et son équipe de neuf personnes. L’accueil s’effectue au rez-de-chaussée de ce bâtiment administratif. Une particularité du lieu, l’entrée principale ouvre, d’une part, sur les services du Pôle emploi de Thann et, d’autre part, sur la mission locale qui a comme public exclusif les jeunes de 16 à 25ans en recherche d’emploi ou de formation. Anita Kuttler explique : « Depuis peu, Pôle emploi s’est installé dans les mêmes locaux que nous. Même si les informations ne nous parviennent pas toujours en temps et en heure, cette proximité géographique facilite quand même nos rapports. Nous sommes en train de régler nos problèmes de transfert d’infos et de réactivité… » Il n’empêche, ce voisinage n’est pas sans conséquences sur le travail de la mission locale, notamment sur celui de David Gascon, agent d’accueil et d’animation, qui a suivi en 2010 une formation de médiateur social. « Tout le monde ne comprend pas que nous ne sommes pas Pôle emploi. Certains sont un peu perdus. » David Gascon est employé trente heures par semaine pour répondre aux appels téléphoniques, proposer des rendez-vous aux jeunes qui se présentent et aider les moins à l’aise en informatique à utiliser les ordinateurs mis à disposition. Un travail d’accueil essentiel : l’an dernier, la mission locale a accueilli 449 nouveaux – 252 femmes et 197 hommes – sur un total de 906 jeunes suivis – 513femmes (57 %) et 393 hommes (43 %).

Quand David est absent, ses collègues conseillers se relaient pour assurer l’accueil. Leurs profils sont divers. Sylvie Exel a effectué sa formation de conseillère en insertion à l’AFPA, après un parcours professionnel dans l’imprimerie. Badhia Bouchareb a été formée en interne et Clément Konne par la délégation académique à la formation continue. Sandrine Ribeiro est, elle, titulaire d’une licence d’intervenante sociale et d’une VAE en conseil emploi-formation-insertion. De son côté, Aude Voegtlin, titulaire d’un master en sciences de l’éducation, option « ingénierie de l’intervention en milieu socio-éducatif », travaille à la mission locale dans le cadre d’un volontariat de service civique. Ces conseillers, dont certains sont à temps plein et d’autres à 80 %, enchaînent de trois à huit entretiens individuels par jour. Les rencontres, d’une durée de 30 à 45minutes, permettent au professionnel d’évoquer le projet du jeune qui se présente et d’essayer de comprendre ce qui peut freiner son insertion sociale et professionnelle. Bien souvent, le niveau de formation constitue le principal obstacle : 25 % des jeunes reçus se trouvent en difficulté sur les savoirs de base (lecture, écriture et les quatre opérations), et 2 % sont illettrés. « Parfois, on sert avant tout à régler des problèmes périphériques, comme le logement ou la mobilité, précise Anita Kuttler. Ainsi, les personnes qui se présentent ont souvent des soucis de transports. Dans notre secteur, où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé d’Alsace [17 %, contre 8 % à l’échelle régionale], ceux qui habitent les vallées n’ont pas de TER ou de bus pour se déplacer. Il est arrivé qu’on négocie avec un transporteur privé pour qu’il prenne nos jeunes sur son chemin pendant un an. Parfois aussi, il a fallu que j’aille chercher un jeune chez lui pour l’amener à sa formation ou à un premier jour de travail, qui tombait pile le jour d’une grève des transports en commun ! On s’adapte, on est très flexibles et réactifs. » Dès qu’ils ont un peu de temps, les conseillers assurent l’administratif. « On remplit le logiciel des données, indique Sylvie Exel. On passe des coups de téléphone pour relancer les jeunes, savoir où ils en sont, s’ils se sont présentés aux formations. Ou encore on convoque ceux qui sont dans le dispositif Civis [contrat d’insertion dans la vie sociale], en cotraitance avec Pôle emploi. »

UNE REMISE À NIVEAU SI NÉCESSAIRE

Orientés vers la mission locale par les assistantes sociales de secteur du conseil général, le centre d’information et d’orientation, certains employeurs ou associations (Emmaüs, centres sociaux, Restos du cœur, etc.), Pôle emploi ou encore le centre médico-social de Thann, les jeunes, parfois sans aucun diplôme ou qualification, mais surtout sans projet professionnel, sont d’abord invités à dresser un bilan de leur parcours : « Avant de pouvoir aiguiller un garçon ou une fille vers une formation ou des offres d’emploi, on doit évaluer son niveau, précise Anita Kuttler. Pour cela, nous lui proposons un “Bilan jeune” effectué par des prestataires extérieurs et financé par la région Alsace. Les résultats de ce bilan motivent souvent le jeune à faire une remise à niveau en atelier pédagogique personnalisé. Il se rend compte à cette occasion de ce qui lui manque, mais aussi de ce qui lui reste de l’école. Car le but n’est pas de le remettre en situation d’échec. » L’autre test pratiqué, « Performance », vise à évaluer le tempérament du jeune. « Notre métier, c’est aussi de maîtriser tous ces outils, s’amuse la responsable. De même, on ne se rend pas toujours compte de la technicité des dispositifs avec lesquels jonglent les conseillers en entretien ! Et notamment les différents types de contrats aidés, vers lesquels nous orientons beaucoup de jeunes. »

En ce moment, c’est le contrat unique d’insertion (CUI) – ou plutôt sa déclinaison pour les associations et les collectivités, le contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) – qui a le vent en poupe. « C’est un levier très intéressant pour ceux qui ont des difficultés à entrer sur le marché du travail », assure la directrice. Le CAE permet à un jeune d’être embauché pour deux ans au maximum, en contrat de 20 heures par semaine, dont 90 % sont pris en charge par l’Etat. Un conseiller peut le suivre chez l’employeur pendant la durée de son contrat, à mesure que les tâches se compliquent. « Le jeune n’est pas lâché une fois son contrat signé. Notre conseiller relation-entreprises est aussi là pour faire le bilan, en fin de contrat. » Il s’agit aussi parfois de stages qui constituent des « immersions » de courte ou longue durée, non rémunérées, durant lesquelles le jeune est assuré par la Région. « S’il lui arrive quelque chose pendant cette immersion, elle le prend en charge », précise Sylvie Exel.

Depuis plusieurs années, Roland Messerlin, premier adjoint au maire de Sentheim, dans une vallée voisine, fait profiter sa petite commune de ces contrats aidés. Ancien directeur d’école et syndicaliste, il est également trésorier de la mission locale Thur-Doller. Mais c’est au titre d’élu qu’il s’exprime : « Les premiers jeunes de la mission locale intégrés aux services techniques de la commune l’ont été en emplois jeunes sous le gouvernement Jospin [entre 1997 et 2001, Ndlr]. L’un d’eux était cuisinier mais voulait devenir paysagiste. Il a fait son CAP et nous l’avons embauché comme ouvrier communal chargé des espaces verts. Plus tard, il a accepté le même poste dans une commune voisine où il habite maintenant. » L’idée de faire collaborer la mission locale et les collectivités locales ayant des besoins en personnel a été développée par Anita Kuttler et Roland Messerlin lorsque celui-ci représentait la communauté de communes de la Vallée de la Doller et du Soultzbach au sein du conseil d’administration de la permanence d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO), devenue mission locale en 2000. « Depuis, à Sentheim, nous prenons des “clients” de la mission locale qui travaillent chez nous et se forment en même temps au lycée du bâtiment de Cernay, en horticulture à Rouffach, à l’AFPA de Mulhouse… Avec ma double casquette d’élu et de trésorier de l’association, je fais la promotion de ces jeunes auprès d’élus d’autres communes. Souvent, ils sont réticents, ils imaginent que prendre quelqu’un 20heures par semaine au SMIC, c’est trop peu payé pour le jeune. Mais pour moi, c’est un bon système. » Sur les sept jeunes de la mission locale passés par Sentheim, six sont aujourd’hui en contrat à durée indéterminée (CDI), précise l’élu. « Il n’y en a qu’un seul pour lequel ça n’a pas fonctionné. Mais c’est un peu de sa faute… Ce que j’essaie de faire valoir auprès des communes, c’est que si l’on donne leur chance à ces jeunes, ils donnent presque systématiquement satisfaction. Pour notre collectivité, c’est très encourageant. »

UNE MÉDIATION ENTRE LE JEUNE ET LE PATRON

Si Roland Messerlin joue les VRP auprès des élus, un autre salarié de la mission locale, Hervé Uhlen, démarche pour sa part les entreprises. A 56ans, cet ancien ouvrier de l’industrie métallurgique puis du caoutchouc a suivi un parcours atypique depuis sa reconversion professionnelle en 2010, lorsque son entreprise a été restructurée. Conseiller emploi-insertion fraîchement diplômé, il occupe un poste en CDI à la mission locale depuis le mois d’août seulement, mais se montre déjà très à l’aise au sein de l’équipe. Son rôle : aller d’entreprise en entreprise et « présenter la mission locale », mais aussi les différents types de contrats aidés – une carotte pour certains employeurs alléchés par le faible coût de la main-d’œuvre. Il est aussi chargé du suivi des jeunes en contrat et des bilans de fin d’immersion ou de fin de contrat. Sa mission : « Etre un médiateur entre le jeune et le patron, faire en sorte qu’une situation ne s’envenime pas, que le jeune aille au bout de son stage… » Connaissant le monde du travail, il entend faire profiter les jeunes de son expérience. « Moi, je suis en fin de cursus professionnel, mais eux démarrent à peine. Et ce monde qu’ils connaissent mal est semé d’embûches, regrette-t-il. C’est de plus en plus dur… »

Malheureusement, du fait de cette dureté des temps, les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous. « Nous devrions en théorie avoir en fin d’exercice 30 % de jeunes en formation. Nous n’en sommes qu’à 15 %. Et ils devraient être 30 % dans l’emploi. Nous oscillons entre 19 et 24 %, pointe Anita Kuttler. Mais actuellement, aucune mission locale ne peut atteindre de tels objectifs. Pour nous, le couperet est tombé l’année dernière, lorsqu’on nous a supprimé les 20 % de subventions qui devaient être versés en fin d’exercice ! »

Avec ses 9,1 équivalents temps plein et ses 906 jeunes suivis en 2011, la mission locale de Thann disposait l’an dernier d’un budget de 411 090 €. La part de l’Etat se montait à 42 % et celle de la Région, à 20 %. Pôle emploi en assurait 18 %, de même que les communes et communautés de communes, 2 % restant à la charge du Fonds social européen (FSE). Des moyens qui permettent à l’association de rester « à l’aise » et de financer toutes sortes de prestations pour les jeunes. « Nous pouvons, par exemple, aider à payer un permis de conduire, détaille la directrice, mais c’est réservé à celui qui a décroché une formation ou un emploi et qui n’a pas d’autre solution pour s’y rendre que de prendre un véhicule personnel. Dans nos vallées, l’hiver, impossible de faire du vélo ou de marcher. C’est enneigé et verglacé. » La mission locale peut aussi dépanner les jeunes en Ticket-Repas ou titres de transport (TER, bus…). De même, les conseillers peuvent aider à régler une facture d’électricité ou un arriéré de loyer. Des possibilités dont ne disposent ni Pôle emploi ni les assistantes sociales de secteur – lesquelles n’ont guère de marges de manœuvre pour prendre en charge des jeunes et se concentrent sur les bénéficiaires du RSA ou les familles. « L’idéal serait d’avoir dans nos locaux un demi-poste d’assistante sociale, payé par le conseil général… On l’occuperait, c’est sûr ! »

En l’état actuel de la répartition des tâches, les assistantes sociales font donc appel à la mission locale pour l’orientation d’un jeune vers l’un des multiples dispositifs de formation ou de contrats aidés. Impossible pour elles de maîtriser ces dispositifs aussi bien que des conseillers spécialisés. D’autant que se profilent aujourd’hui les « emplois d’avenir » et les « contrats de génération » du gouvernement Ayrault (2). « Nous avons des réunions régulières avec la sous-préfète sur ces nouveaux types de contrats, note Anita Kuttler. Mais le contrat de génération, je ne sais pas encore si nos jeunes pourront en profiter. Tout dépendra des conditions : milieu urbain ou rural, taux de chômage minimum du secteur… » Et si ces dispositifs peuvent être intéressants pour mettre à de nombreux jeunes le pied à l’étrier, ils ne pourront régler le problème profond de la conjoncture, des délocalisations et de la désindustria­lisation dont souffrent les petites vallées vosgiennes. Reste alors à orienter les jeunes vers des métiers qui embauchent : l’hôtellerie-restauration, le commerce ou le bâtiment. Et de mettre en valeur « ce qui peut sauver le secteur », espère Hervé Uhlen : l’artisanat, l’agriculture et le tourisme.

Notes

(1) Mission locale Thur-Doller : 27, avenue Robert-Schuman – 68800 Thann – Contact : 03 89 37 56 09 ou accueil@mlthurdoller.com.

(2) Voir ASH n° 2772 du 31-08-12, p. 5., et n° 2774 du 14-09-12, p. 10.

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