Le relogement des étrangers en situation irrégulière dans le cadre d’une opération d’aménagement relève de l’ordre public social et ne peut être constitutif d’un délit d’aide au séjour irrégulier, estime la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 septembre dernier.
Dans cette affaire, la Ville de Paris avait acquis par voie de préemption un hôtel meublé donné en location-gérance à une personne de nationalité étrangère qui en occupait une chambre. Désirant réaliser une opération d’aménagement public qui nécessitait la fermeture du bâtiment, elle avait demandé au juge de l’expropriation de statuer sur le droit au relogement de l’intéressé et sur l’indemnité d’éviction susceptible de lui revenir. La Ville de Paris faisait valoir que cette indemnité devait être réduite à néant. En effet, selon la municipalité, le droit au relogement et indemnité de l’occupant évincé suppose que celui-ci séjourne de façon régulière sur le territoire français. Or l’intéressé était en situation irrégulière. En outre, toujours selon la Ville de Paris, la fourniture d’un logement à un étranger clandestin, fût-ce sous le couvert d’un droit au relogement, est constitutive de l’infraction d’aide au séjour irrégulier (1).
L’affaire est parvenue devant la cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 16 décembre 2010, ne s’est pas rangée derrière ces arguments. En clair, pour la juridiction, le droit au relogement et à indemnité de l’occupant évincé est simplement conditionné à sa bonne foi, d’une part, et à ce que le logement faisant l’objet de l’opération d’aménagement constitue son habitation principale, d’autre part. En l’occurrence, relevant que le locataire gérant de l’hôtel y occupait une chambre depuis 1993, qu’il n’était pas contesté que ce logement constituait son habitation principale et que les articles L. 314-1 et L. 314-2 du code de l’urbanisme – relatifs à la protection des occupants expropriés à la suite d’une opération d’aménagement – ne posent aucune condition tenant à la situation administrative des occupants étrangers, la cour d’appel a considéré que l’intéressé était « occupant de bonne foi » et en a déduit que ce dernier devait bénéficier du droit au relogement et de l’indemnité d’éviction (fixée en l’espèce à 1 450 €). L’obligation de reloger, « qui relève de l’ordre public social », est prévue « de la manière la plus large pour tous les occupants de bonne foi », sans distinguer selon que l’occupant étranger est ou n’est pas en situation régulière, insiste-t-elle dans son arrêt. En outre, « en l’absence d’agissements intentionnels en vue de dissimuler l’identité de l’étranger ou de volonté de préserver sa clandestinité, la seule circonstance pour quiconque de lui consentir, malgré l’irrégularité de son séjour, un relogement dans le cadre [de] l’article L. 314-2 du code de l’urbanisme, n’est pas constitutive du délit d’aide au séjour irrégulier. »
La Ville de Paris a donc contesté cette décision devant la Cour de cassation… sans toutefois obtenir gain de cause. Pour la Haute Juridiction, en effet, en relevant simplement que l’intéressé, « occupant de bonne foi, devait bénéficier d’un droit au relogement et au versement d’une indemnité d’éviction et que l’obligation de reloger […] est prévue de la manière la plus large pour tous les occupants de bonne foi, sans distinguer selon que l’occupant étranger est ou non en situation irrégulière », la cour d’appel a « exactement déduit, de ces seuls motifs », que le fait de le reloger à la suite d’une opération d’aménagement ne pouvait caractériser une infraction pénale.
On notera que la Cour de cassation n’a pas jugé nécessaire de prendre position, au-delà, sur l’argumentation de la cour d’appel – également contestée par la Ville de Paris – faisant référence à des agissements intentionnels en vue de dissimuler l’identité de l’étranger ou une volonté de préserver sa clandestinité. Des éléments manifestement constitutifs du délit d’aide au séjour irrégulier dans l’esprit des juges d’appel mais qui n’apparaissent pas dans les textes relatifs à cette infraction.
(1) Le délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers vise « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France ». La peine encourue est de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.