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« L’endettement du système de protection sociale n’est pas hors de contrôle »

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La protection sociale coûte cher… C’est vrai, reconnaît Bertrand Fragonard, expert en la matière. Mais elle reste efficace et permet d’amortir les chocs de la crise. Dans son ouvrage « Vive la protection sociale ! », il brosse le portrait de cette vaste machinerie et dessine des réformes possibles.
Le système de protection sociale français, écrivez-vous, s’acquitte de ses missions plutôt efficacement…

En effet. Tout d’abord, parce qu’il reste universel. On a progressivement diffusé au plus grand nombre l’ensemble des couvertures de base et complémentaires, même si les secondes sont un peu moins étendues. Ensuite, parce que ce système assure un niveau de prise en charge plutôt élevé par rapport à d’autres pays. Le taux moyen de remboursement pour l’assurance maladie est de 75 % et les revenus de remplacement, que ce soit le chômage ou les retraites, sont plutôt de bonne qualité. Enfin, l’un des principes fondateurs de notre protection sociale est d’essayer de combiner deux préoccupations apparemment contradictoires : viser l’ensemble de la population, y compris les catégories aisées, tout en aidant un peu plus les familles modestes. Ainsi, tout le monde a le droit à une allocation de chômage, sauf les rares qui sont très au-dessus des plafonds, avec un taux de remplacement dégressif par rapport au salaire antérieur. Cette combinaison me semble au total assez cohérente. Le problème est de la faire vivre.

Quelles sont les faiblesses du système ?

La première est qu’il coûte cher. C’est la contrepartie du bon niveau de couverture. Globalement, en France, nous sommes à plus de 30 % du produit intérieur brut, ce qui représente plus de 600 milliards d’euros. Et la tendance est à la hausse, notamment avec le vieillissement de la population. Ce niveau est problématique, car nourrir la machine grâce aux prélèvements obligatoires finit par poser un problème d’acceptation sociale. En outre, il n’y a aucune raison pour que les faibles marges dont nous disposons soient totalement affectées à la protection sociale. Il existe d’autres enjeux, comme le logement, la recherche, l’université… La seconde faiblesse du système réside dans son endettement. En 1993, on a autorisé le régime général de la sécurité sociale à s’endetter en créant la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Mais il est très difficile de résister à une telle facilité et le niveau d’endettement a grimpé à 6 %. Par ailleurs, il existe des risques pour lesquels notre protection sociale n’est pas performante, comme la dépendance, la situation des jeunes, la lutte contre la pauvreté… Enfin, les gens comprennent de moins en moins le système. Leurs cotisations augmentent et ils ont le sentiment que, quelque part, on les gruge. On en vient à dénoncer la fraude, l’assistanat. Il est logique que les gens s’expriment, mais ce n’est pas appuyé sur un débat suffisamment démocratique. Avec cet ouvrage, je souhaite montrer que l’on peut conserver les fondamentaux et corriger les faiblesses.

Vous détaillez un certain nombre d’idées fausses sur la protection sociale…

Par exemple, on entend souvent dire que l’assurance maladie rembourse de moins en moins bien. Or le taux moyen de remboursement n’a reculé que d’un point au cours des trois ou quatre dernières années. Le système est donc à peu près stable. Bien sûr, on a augmenté le ticket modérateur, déremboursé des médicaments et mis en place des franchises. Tout cela se traduit pour le Français ordinaire – qui n’est heureusement pas très malade – par une diminution du taux de prise en charge, qui se situe autour de 55 %. Mais lorsque ce Français ordinaire sera lui-même âgé, malade chronique ou qu’il aura un accident grave, il continuera à être pris en charge avec des taux de prise en charge très élevés. Et c’est justement ce paquet de dépenses qui croît, en raison de l’augmentation du nombre des malades chroniques et des coûts d’hospitalisation. Les gens sous-estiment la dépense. Ils ne voient pas l’investissement global. Une autre idée fausse consiste à affirmer qu’il ne serait pas intéressant de travailler lorsqu’on bénéficie des minima sociaux. Mais au cours des quinze dernières années, on a considérablement renforcé l’incitation à travailler par des dispositifs d’intéressement et aussi en laissant se creuser l’écart entre le RMI, puis le RSA, et le SMIC. Les gens sans emploi, dans leur grande majorité, se démènent pour trouver du travail.

Les populations modestes ont, notamment, de plus en plus de mal à se soigner…

C’est indéniable. Les taux d’effort des ménages les plus modestes sont élevés. Lorsque vos revenus sont faibles, les frais de santé grèvent votre budget. Surtout si vous ne bénéficiez pas d’une couverture complémentaire, ce qui est le cas de 7 % des gens en France. Et l’on sait que le renoncement aux soins est lié à l’absence de complémentaire. Que faire ? Soit on augmente le taux de remboursement pour l’ensemble de la population, selon le principe de 1945 qui veut que la cotisation assure la redistribution. Mais cela poserait un problème financier énorme. Soit on traite la question des ménages modestes de façon spécifique. La CMU-C a été une réforme remarquable en ce sens, de même que la création de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), qui n’atteint cependant pas vraiment sa cible.

Autre sujet épineux, la situation des retraités…

Le débat s’est un peu enflammé ces derniers temps avec le rapport de la Cour des comptes recommandant de diminuer certains avantages des retraités. Les personnes âgées, comme les jeunes, sont très différentes les unes des autres. Certaines sont aisées et d’autres, pas du tout. Néanmoins, avec la maturation des régimes de retraite, les retraités ont aujourd’hui un niveau de retraite moyen assez cohérent. Ils sont souvent propriétaires de leur logement et sont plus riches que la moyenne de la population, par unité de consommation. D’autant que, pour un certain nombre, ils s’adossent à un patrimoine parfois significatif. Toute la question est de savoir si l’on peut mobiliser un peu d’argent auprès d’eux. Pour ma part, cela ne me semblerait pas déraisonnable en vue de financer des projets utiles, notamment vis-à-vis des jeunes. Chaque année, 130 000 à 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans formation. C’est considérable. En outre, un grand nombre d’étudiants doivent travailler ou demander à leurs familles un effort important afin de financer leurs études. Il faudrait améliorer la situation des petites classes moyennes en matière d’accès à l’enseignement supérieur. Enfin, il y a tous ceux qui restent un peu à la périphérie et pour lesquels le RSA jeune, très verrouillé, n’a rien amélioré.

Quelles sont les grandes pistes de réformes possibles pour la protection sociale ?

Deux scénarios me semblent impossibles en France. Le premier consiste à baisser radicalement le niveau de la protection sociale. C’est-à-dire à prendre des blocs et à les transférer progressivement vers le privé en expliquant aux ménages que, désormais, c’est leur affaire. Une telle politique très libérale peut séduire dans une période de fortes contraintes financières, mais je ne crois pas que ce soit sain en termes de démocratie et de cohésion sociale. D’ailleurs, cette thèse n’est portée que par une petite minorité. Une autre option peu probable, et peut-être déraisonnable, consisterait à augmenter largement les budgets en mobilisant des marges de prélèvements obligatoires considérables. Le risque serait alors d’évincer les autres dépenses publiques, avec des conséquences économiques lourdes. Sans compter que les Français en auraient sans doute assez de voir leur marge de pouvoir d’achat financer la protection sociale. La voie classique, selon moi, est celle du réformisme intelligent, avec pour objectif de contenir la dépense tout en réussissant à réaffecter environ 40 milliards sur 600 pour mener à bien les réformes indispensables, comme la dépendance ou l’aide aux jeunes. Cela reste possible. L’endettement n’est pas hors de contrôle. En matière de maîtrise des dépenses de santé, des résultats positifs ont été enregistrés ces dernières années. De même, la réforme des retraites a été menée à bien et elle est beaucoup plus consensuelle qu’il n’y paraît. On a conservé un socle élevé de retraite par répartition et sauvegardé un taux de remplacement plutôt honorable. On a, en outre, accepté la possibilité de bouger les paramètres d’âge. Il ne faudrait cependant pas aller trop loin, sous peine de décourager les jeunes générations qui vont finir par refuser le principe même de la protection sociale.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Magistrat à la Cour des comptes et président délégué du Haut Conseil de la famille, Bertrand Fragonard a dirigé notamment la CNAF, puis a occupé la fonction de délégué interministériel au RMI… Il présidera l’un des groupes de travail de la conférence contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Il publie Vive la protection sociale ! (Ed. Odile Jacob, 2012).

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