Vouloir contraindre les usagers à l’arrêt d’une addiction est contre-productif. Aujourd’hui, tous les professionnels de l’addictologie s’entendent sur un changement de paradigme : la finalité de la prise en charge n’est plus l’abstinence à tout prix mais, en premier lieu, l’aide apportée à la personne pour diminuer les risques liés à son usage. Le sida a fait en France, en une dizaine d’années, plus de 11 000 morts parmi les usagers de drogues. C’est ce qui a motivé la mise à disposition des outils de réduction des risques – seringues stériles, traitements de substitution, dispositifs d’accueil et d’information des usagers – au milieu des années 1990. L’impact a été immédiat et l’évolution des courbes des overdoses mortelles et des contaminations au virus du sida a été très vite inversée. Quel problème de santé publique a connu une telle avancée ?
Notre pays connaît une évolution progressive depuis le sida, mais la réduction des risques reste sous-développée et cloisonnée à la lutte contre les contaminations. Si les Caarud (centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), créés en 2005, représentent un pas en avant, ils ne sont, selon les textes, destinés à soulager que les usagers de drogues illicites. On ne parle ni de réduction des risques pour d’autres types d’addictions comme l’alcool et le tabac, ni de prise en charge des risques non infectieux comme les problèmes sociaux et psychiatriques. En outre, ces dispositifs ne couvrent pas tous les départements et manquent souvent de moyens. Il y a aussi d’autres progrès à faire comme l’ouverture des salles de consommation à moindre risque, le développement des échanges de seringues en prison, l’accès aux traitements de substitution sur tout le territoire — ce qui passe par la mise en place d’une habilitation des médecins pour primo-prescrire — ou encore l’expérimentation des traitements de substitution par voie injectable.
Car réduire les risques, c’est prendre soin des personnes, leur éviter d’avoir plus de problèmes qu’elles n’en ont, trouver des stratégies pour les aider à diminuer leur consommation, ce qui permet d’avancer pas à pas vers une meilleure maîtrise du comportement et, le moment venu, de passer à l’abstinence, si tel est le choix de la personne. Tous ces dispositifs sont destinés à créer davantage d’ouverture pour que les usagers les plus en difficulté puissent avoir accès à des soignants et à des modes d’accompagnement adaptés.
Oui, c’est facilement observable et compréhensible. Les addictions ne viennent pas par hasard, elles sont une tentative de réponse à un certain nombre de difficultés, une recherche de mieux-être. Les populations les plus en difficulté sur le plan social cumulent les handicaps et les problèmes socio-économiques, psychiatriques et d’isolement. A une personne vivant à la rue qui boit de l’alcool, il serait absurde de ne proposer qu’un sevrage. Elle risquerait de fuir !
C’est un peu tôt pour le dire. De tout petits pas sont franchis, comme le projet d’expérimenter des salles de consommation (2), même si on a pris beaucoup de retard. Mais un changement de politique ne peut se résumer à trois structures isolées ! C’est un ensemble de stratégies qui doit changer. C’est pourquoi il ne faut plus laisser croire que la répression est la solution à « la drogue » et mettre la priorité sur la prévention et la réduction des risques. Et, enfin, remettre à plat une législation totalement désuète, en particulier la loi du 31 décembre 1970 réprimant l’usage de drogues (3).
(1) Avec Pierre Chappard et Jean-Pierre Couteron – Ed. Dunod, 29 €.
(2) Voir ASH n° 2773 du 7-09-12, p. 21.
(3) Voir ASH n° 2663 du 11-06-10, p. 47.