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« Contrepoids juridictionnels »

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Robert LaforeProfesseur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

La réforme constitutionnelle de juillet 2008, comme la plupart de ses devancières, n’avait pas passionné les foules. Après la petite écume de commentaires qu’elle suscita dans les médias, seuls les constitutionnalistes se souviennent qu’on lui avait affecté des objectifs ambitieux : renforcer le poids du Parlement dans le jeu institutionnel, améliorer les prérogatives de l’opposition, ouvrir plus largement le recours au référendum…

Au-delà du jeu politico-institutionnel, la révision comportait une autre novation : la création d’un contrôle de constitutionnalité des lois ouvert au justiciable et portant sur des textes en vigueur, alors qu’il était jusque-là réservé aux représentants politiques et intervenait avant promulgation. Ne passionnant, là encore, essentiellement que les spécialistes, cette réforme n’en comportait pas moins des effets potentiels considérables. Pour la première fois dans l’histoire politique française, les citoyens concernés par une procédure juridictionnelle peuvent invoquer l’inconstitutionnalité du texte qui leur est opposé et obtenir du Conseil constitutionnel qu’il examine ce moyen et prononce éventuellement son annulation.

Dans le champ de l’action sociale, divers textes ont été ainsi examinés et deux décisions sont intervenues ces derniers temps dans le domaine du contentieux. La plus récente, une question prioritaire de constitutionnalité du 27 juillet 2012 (1), concernait la procédure d’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’Etat : certaines personnes justifiant d’un lien avec l’enfant peuvent s’y opposer au travers d’un recours juridictionnel. La législation en vigueur, essentiellement soucieuse de l’intérêt de l’enfant et de la stabilisation rapide de son statut, ne prévoyait pas la publicité de cette décision, ce qui rendait inopérant en fait le droit de recours. Le juge constitutionnel, se fondant sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, a déclaré ces dispositions inconstitutionnelles, car privant d’un recours effectif à l’encontre de la décision d’admission les personnes justifiant d’un lien étroit avec l’enfant. Le juge, pour éviter tout vide juridique préjudiciable aux enfants, a indiqué cependant que l’effet de cette inconstitutionnalité n’interviendrait qu’à compter du 1er janvier 2014.

Quelques semaines avant (2), le Conseil constitutionnel était saisi d’une question relative à la composition de la commission centrale d’aide sociale. Cette juridiction, héritière d’une instance qui avait originellement des fonctions administratives, s’est vu confier des attributions contentieuses en qualité de « juridiction spécialisée » ; l’appellation entend traduire la supposée nécessité de confier le contentieux de l’aide sociale à des juges suffisamment au fait de la nature et des spécificités de cette institution pour en connaître. De là la présence, à côté de juges professionnels, de fonctionnaires issus de l’administration. On savait de longue date que ce dispositif encourait la censure de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, au nom du principe d’impartialité fondé sur l’article 6 de la Convention, a développé une jurisprudence très défavorable aux juridictions ne garantissant pas une claire indépendance des juges. Le Conseil constitutionnel a suivi le même chemin et a considéré comme contraire à la Constitution les dispositions introduisant des fonctionnaires dans la commission centrale d’aide sociale.

De ces deux décisions, que conclure ?

Tout d’abord que, progressivement et à rebours de notre conception héritée d’un Etat administratif « jupitérien » et censé vouloir notre bien souvent malgré nous, des contrepoids juridictionnels s’imposent, en l’occurrence en amé­nageant des recours qui soient praticables et en garantissant l’indépendance absolue des magistrats. Si l’on peut craindre, en d’autres domaines, une trop forte « juridictionnalisation » de l’action publique par un retournement qui conduirait à corseter l’administration et à gripper l’action collective, dans le champ de l’action sociale, on est encore loin du compte : le recours au juge y est marginal et peu légitime.

Ensuite, ces deux décisions d’apparence limitées participent d’un mouvement d’ensemble où ce sont toutes les législations qui peuvent passer sous les fourches caudines du contrôle de constitutionnalité. De ce fait, et bien qu’à la mesure de décisions juridictionnelles qui ne sont pas de même nature et n’ont pas la même portée que les mutations législatives, on assiste à une réforme progressive de notre droit pour l’accommoder avec les principes constitutionnels qui forment le pacte social et politique de base. Une logique adaptative à bas bruit et à petits pas, certes, mais qui est lourde de changements potentiels à mesure qu’elle développe ses effets dans tous les domaines.

Notes

(1) Décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012, J.O. du 28-07-12 – Voir ASH n° 2772 du 31-08-12, p. 14.

(2) Décision n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012, J.O. du 9-06-12 – Voir ASH n° 2764 du 15-06-12, p. 11.

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