Les moins de 18 ans représentent environ 18 % de la criminalité générale, mais 25 % des auteurs de violences sexuelles. En 2008, sur l’ensemble du territoire métropolitain, 3 884 mineurs ont été mis en cause pour agressions sexuelles et harcèlements. Parmi ceux-ci, 1 767 l’ont été pour viols, commis majoritairement sur d’autres mineurs. La plus grande fréquence de la criminalité et de la délinquance sexuelle chez les jeunes se situe dans la tranche des 13 à 16 ans, soit un tiers des auteurs. En ce qui concerne l’évolution dans le temps, les agressions sexuelles et les harcèlements ont connu une baisse de 7 % entre 2003 et 2010. Mais, sur la même période, les viols ont progressé de 12 % et les atteintes sexuelles de 20 %. Il faut noter que les filles ne représentent que 5 % de l’ensemble des jeunes mis en cause, mais que la cohorte des filles en tant que telle a connu, toujours entre 2003 et 2010, une croissance plus importante que celle des garçons : 12 % contre 7 %. Les filles sont aujourd’hui davantage prises en compte dans le travail policier et judiciaire. On s’aperçoit qu’elles peuvent être des auteures à part entière, et pas uniquement des complices.
La sexualité, et donc les violences sexuelles, participe de l’histoire de l’humanité. Dans l’ouvrage Violences sexuelles chez les mineurs que j’ai dirigé, je cite l’exemple des « bachelleries » de la fin du Moyen Age qui regroupaient des jeunes hommes âgés de 10 à 20 ans. Le but de ces groupes était d’encadrer ces jeunes, mais une grande violence y régnait et il ne faisait pas bon être une jeune fille croisant ces bacheliers. Lorsqu’on étudie les sources judiciaires de l’époque, parmi les crimes et délits commis par les jeunes jusqu’à l’âge de 20 ans, les viols individuels et collectifs apparaissent majoritaires. Aujourd’hui, nous vivons dans une société nettement plus sécurisée, y compris chez les mineurs.
On estime qu’entre un tiers et la moitié des jeunes mis en cause ont eux-mêmes subi des violences sexuelles. Les adultes agresseurs ont eux aussi très souvent été victimes d’une agression. C’est donc une situation qui, si elle n’est pas élaborée, risque de se transmettre de génération en génération. Heureusement, tous les jeunes impliqués dans des agressions sexuelles ne récidivent pas, loin s’en faut, à l’âge adulte. Bien souvent, dans les agressions en groupes, il y a quelques meneurs, puis tous ceux qui se trouvent à la marge, embringués dans ces affaires un peu malgré eux.
Il faut se garder, surtout pour des travailleurs sociaux, de croire qu’il existe une telle typologie. On pourrait alors avoir la tentation de détecter les futurs jeunes agresseurs sur la base de quelques critères « objectifs ». Le fait de commettre une agression sexuelle n’a rien à voir avec le statut socioéconomique de la famille. Cela peut aussi bien se produire dans la haute bourgeoisie que dans les milieux populaires. On trouve des adolescents auteurs d’agressions sexuelles dans toutes les couches de la société, même si des difficultés sociales ou économiques peuvent constituer un contexte défavorable. Ce que l’on peut dire, c’est que les adolescents agresseurs présentent un fonctionnement altéré ou qui ne s’est pas développé conformément à ce que l’on observe généralement à cet âge.
On relève en effet chez les agresseurs adolescents des organisations de personnalités particulières. C’est ce que montre l’article de Patrick-Ange Raoult, expert auprès des tribunaux, qui s’appuie sur les travaux de chercheurs autour de trois axes psychopathologiques. Il évoque tout d’abord la personnalité immaturo-perverse, qui se caractérise par des difficultés relationnelles et chez laquelle on relève des carences affectives et éducatives. Ensuite, la personnalité névrotico-perverse, qui est à la recherche d’expériences sexuelles et rencontre des difficultés relationnelles avec le sexe opposé tout en éprouvant un sentiment de honte du fait des conséquences de ses actes pour la victime. Enfin, la personnalité psychophatique, qui recherche avant tout le plaisir dans une relation d’emprise avec déni de l’altérité de la victime.
Il n’existe pas de violences sexuelles sans racines familiales. Un adolescent auteur d’agressions présente très souvent une problématique familiale dysfonctionnelle. Patrick-Ange Raoult cite trois situations de dysfonctionnement. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une typologie, simplement d’un moyen de distinguer des failles possibles. En premier lieu, on trouve les adolescents qui deviennent agresseurs dans un contexte familial où l’interdit est faiblement intégré, associé à une conception très patriarcale de la famille et, parfois, à de faibles moyens socioéconomiques. En deuxième lieu, celui de jeunes profondément carencés, confrontés précocement à une réalité violente et/ou sexuelle. Ils sont enclins à agresser des enfants plus jeunes lorsqu’ils sont placés en institution en subissant à la fois un manque affectif et la poussée pulsionnelle de la puberté. En dernier lieu, certains adolescents peuvent commettre un inceste en raison d’un climat familial soit hypersexualisé ou incestuel, soit hyposexualisé où l’on ne parle jamais ni de sexualité ni de relations affectives.
Ce qui est très difficile à comprendre, c’est que l’adolescent agresseur est toujours débordé par quelque chose. C’est d’ailleurs aussi le cas chez l’adulte. Et lorsqu’il se trouve débordé, il va essayer de faire cesser ce débordement. Ce n’est pas facile à admettre mais l’acte de violence sexuelle constitue, d’une certaine façon, un acte de survie psychique. Et, en général, le débordement cesse par là où il arrive, c’est-à-dire par la sexualité. Soit avec des conduites sexuelles sur des plus jeunes ou des pairs, soit par des agressions en groupes. Si un jeune a vu des images pornographiques, il va tenter de s’y conformer. S’il a lui-même été agressé sexuellement, il va parfois faire subir une agression à l’autre dans une forme de vengeance inconsciente.
Tous ces mineurs ne relèvent pas du même schéma. Pour un même acte commis, certains sont en capacité de réfléchir à ce qu’ils ont fait, et ils auront toutes les chances de ne jamais recommencer. A l’inverse, d’autres moins bien outillés psychiquement présentent un fort risque de répétition. Tous ne peuvent donc pas être traités de la même manière. Pour certains, la mise à l’écart d’un milieu parfois délétère et criminogène est préférable. Il faut les placer dans un environnement qui les aide à se saisir des éléments éducatifs leur permettant de comprendre ce qui s’est passé. Il faut aussi leur permettre de trouver leur place dans la société. Mais tout doit aller de pair : l’éducatif, le psychologique et l’accompagnement familial. Car on ne peut prétendre aider des enfants à modifier leur fonctionnement psychologique et leur code de valeurs puis les remettre dans une famille au sein de laquelle ils vont se retrouver en décalage, aux prises avec un conflit interne très difficile à gérer.
La prévention est une nécessité, et le plus tôt possible, car la violence sexuelle est l’aboutissement d’un très long processus qui place le jeune dans une situation qu’il n’a pas les moyens de penser véritablement. Pour cela, il faudrait veiller à ce que le développement infantile se passe dans les meilleures conditions. Un tel accompagnement des familles passerait par un travail social et éducatif au long cours pour pouvoir prendre en considération les premiers troubles de l’enfant. Cela supposerait évidemment de dégager des moyens financiers et de repenser le suivi des familles. Par ailleurs, il faudrait aider les travailleurs sociaux, dès leur formation, à acquérir une sensibilité plus affinée aux troubles manifestés par les enfants, et surtout à regarder en face ce qui se passe. Je suis toujours surpris de constater que, malgré toute l’information dont on dispose, il existe encore des cas de cécité sur des situations à risque. On n’arrive pas à voir, notamment parce que dans les familles incestueuses la loi s’arrête à la porte d’entrée. Il est donc très difficile de s’immiscer dans ce fonctionnement pour le faire changer.
Propos recueillis par Jérôme Vachon
André Ciavaldini est docteur en psychologie clinique et psychanalyste (SPP-IPA). Il est directeur de recherches au Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie de l’université Paris-5 René-Descartes. Il a dirigé Violences sexuelles chez les mineurs. Moins pénaliser, mieux prévenir (Ed. In Press, 2012). Il est également l’auteur de Psychopathologie des agresseurs sexuels (Ed. Masson, 2001).