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Enquêteur social : une fonction fragilisée

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Dans le cadre d’une séparation conjugale, l’enquêteur social en matière civile intervient pour aider le juge aux affaires familiales à trouver une solution dans l’intérêt de l’enfant. La réglementation de son statut devait améliorer son image, pas toujours positive. Or la réduction brutale des financements freine les avancées en ce sens.

« La fonction est peu connue et souffre de nombreux préjugés », regrette Estelle Ledure, enquêtrice sociale indépendante au tribunal de grande instance (TGI) de Nancy. Passionnée par son métier, qui constitue, selon elle, un poste d’observation captivant en matière de pratiques éducatives, cette ethnologue de formation se défend de la vision étriquée qu’on prête trop souvent aux quelque 600 enquêteurs sociaux en matière civile en France. Loin de se réduire à une prise de position en faveur du père ou de la mère lors d’un litige pendant un divorce ou une séparation, leur mission est beaucoup plus subtile, affirme-t-elle. Il s’agit avant tout de favoriser le dialogue entre les parents pour trouver une solution favorable à l’enfant – la moins mauvaise en tout cas –, tout en leur rappelant « l’importance qu’il y a à ce qu’ils assument, chacun, leur rôle de parents, malgré leur rupture ».

Mesure intrusive, réservée aux conflits complexes, l’enquête sociale vise à recueillir des informations sur les conditions de vie des enfants et leur situation familiale afin d’aider le juge aux affaires familiales (JAF) à prendre sa décision. Chargé de statuer, dans l’intérêt de l’enfant, sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale (droit de visite, résidence alternée, pension alimentaire, enfant confié à un tiers…), ce dernier l’utilise toutefois avec parcimonie. A la différence des autres outils à la disposition des magistrats pour arbitrer les différends familiaux (voir encadré, page 31), l’enquête sociale implique une procédure lourde qui comprend au moins une visite au domicile de chacun des parents et une investigation auprès de l’environnement de la famille (école, accueil périscolaire, professionnels de santé, etc.).

UNE APPROCHE GLOBALE ET OBJECTIVE

« Quand on commence une enquête, on ne sait jamais à quoi s’attendre », observe Maryvonne Deschamps, ex-éducatrice spécialisée, aujourd’hui enquêtrice sociale exerçant en libéral au TGI de Nancy. Au-delà des temps de déplacements, les entretiens, plus particulièrement le premier, sont toujours très longs. « Il faut ensuite refaire un point avec chaque parent pour analyser les contradictions », explique Monique Prudet, assistante de service social libéral qui réalise des enquêtes sociales au TGI de Créteil. Enfin, même si le juge s’intéresse à une question précise (par exemple les modalités du droit de visite), l’enquêteur social privilégie une approche globale afin de se faire une idée, la plus objective possible, du fonctionnement familial. Entre la prise des premiers rendez-vous et la remise du rapport, il faut compter une trentaine d’heures en moyenne (parfois le double), étalées sur trois mois environ. « Le juge ne fait donc appel à nous que lorsqu’il pressent qu’il y a une difficulté (alcoolisme, maltraitance, suspicion d’appartenance à une secte, maladie mentale, dépression…) qui n’a pas pu être mise au jour lors de l’audience », explique Estelle Ledure. « Ou lorsqu’il y a trop de contradictions dans le discours des parents pour évaluer la situation », ajoute Catherine Cottin, présidente de l’Association nationale des enquêteurs sociaux (ANDES), qui regroupe environ 150 enquêteurs sociaux indépendants (1).

Si le contexte est celui du contentieux conjugal, l’investigation de l’enquêteur social, qui exerce en libéral ou dans le cadre d’une association socio-judiciaire, ne porte toutefois jamais sur la cause de la séparation parentale. « Elle n’est pas de notre ressort, nous n’avons pas à donner notre avis à son sujet. En revanche, l’exposition de la version de chacun des parents aide le juge à comprendre le cadre du conflit », indique Monique Prudet.

Pour faire émerger la parole des parties, l’écoute arrive en tête des aptitudes à mettre en œuvre, devant les compétences en droit et les connaissances liées aux besoins de l’enfant. « Les parents ont en général peur de l’enquête sociale, mais, une fois mis en confiance, il arrive qu’ils saisissent ce moment pour se raconter », constate Estelle Ledure. Quant à l’enfant, lorsqu’il est en âge de comprendre qu’il y va de son intérêt et qu’un bon contact a pu être établi, il peut apporter à l’enquêteur, qui doit s’en faire le porte-parole, des informations précieuses sur ses conditions de vie.

Tout au long de ce travail d’« accoucheur », celui-ci veille à ne jamais se départir de sa neutralité. « Chaque parent détient une part de vérité : ce n’est qu’en confrontant les discours de chacun qu’on peut accéder à la réalité, qui se situe entre les deux », note Jean-Louis Coquin, directeur du service d’enquêtes sociales en matière civile au sein de l’association L’Enfance catalane. Au final, toutes les observations, mises bout à bout, permettent à l’enquêteur d’obtenir une vision d’ensemble de la situation. Cela va lui servir pour la rédaction du rapport remis au juge, qui ouvre sur des propositions.

DES RECOMMANDATIONS SUR MESURE

Pas question d’apporter des réponses préconçues : « Nous faisons du cas par cas, il n’y a pas deux solutions qui se ressemblent », explique Monique Prudet. Si l’organisation lui semble bien établie, cette dernière peut par exemple donner un avis favorable à une résidence alternée qui sorte du schéma classique (une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre), en tenant compte de l’emploi du temps et de la disponibilité de chaque parent, de la proximité de leur logement avec l’école, voire de considérations comme « le voisinage de copains de l’enfant, si ce dernier considère que c’est cela le plus important ». L’enquêteur social engage sa responsabilité en émettant ces recommandations, même si le juge n’est pas tenu de les suivre. « Quelle que soit la décision finale du juge, elles vont peut-être aider les parents à trouver un accord pour l’avenir », espère Estelle Ledure.

L’impartialité est d’autant plus importante que la procédure est contradictoire : contrairement à l’ancien rapport d’enquête sociale réalisé pour le compte du juge des enfants (2), le rapport d’enquête sociale en matière civile est public. Il sera lu par les parents, qui pourront demander une contre-enquête. Cette particularité explique l’extrême attention apportée par les enquêteurs sociaux à la rédaction. « Il faut trouver les expressions qui vont être comprises par le juge, par les parents et, plus tard, par l’enfant », observe Monique Prudet. « Si un parent apparaît hystérique, je dois me contenter de décrire son comportement, car je n’ai pas l’expertise pour utiliser ce terme technique. Au juge d’en tirer les conclusions… », explique Maryvonne Deschamps. Selon elle, la recherche d’objectivité passe également par un balayage systématique des qualités et des défauts des deux parents. Quant à Estelle Ledure, elle s’en approche par le biais des tiers : « Ce sont mes garde-fous. Qu’ils soient enseignants, animateurs, médecins, pédopsy, orthophonistes ou éducateurs, je les interroge pour savoir comment va l’enfant, ce qui me donne également des indications sur l’implication éducative des parents. » Toutefois, précise-t-elle, « le conditionnel sera toujours de rigueur. Il est important de rester dans une perspective d’enquête et de ne pas glisser dans le jugement moral. Sauf s’il existe un danger immédiat pour l’enfant, les parents restent les seuls adultes légitimes pour l’élever. »

De fait, depuis le temps pas si lointain (une vingtaine d’années) où l’investigation, très factuelle, confiée surtout à des gendarmes et à des policiers à la retraite, consistait à se renseigner sur la conformité aux bonnes mœurs du père et de la mère afin de déterminer un « mauvais » et un « bon » parent, la fonction a bien évolué. Effet indirect du rajeunissement des juges, dont la vision de la famille s’est modernisée à la lumière des droits de l’enfant, les enquêteurs sociaux sont désormais recrutés en majorité parmi les travailleurs sociaux ou après un cursus en psychologie, en sciences de l’éducation, voire en sociologie.

Cette évolution a été renforcée par les décrets et arrêtés de 2009 et 2011 qui ont réglementé l’activité des enquêteurs sociaux en établissant une liste officielle de professionnels et en créant un référentiel de pratiques (voir encadré, page 32). Cela suffira-t-il à changer l’image des enquêteurs sociaux, fréquemment conspués pour leur partialité par des parents aux prises avec leur conflit de couple ? Pas si sûr. D’une part, ces textes ont déstabilisé le secteur en instituant une baisse des tarifs (voir page 33). D’autre part, le nouveau cadre d’exercice de la fonction, s’il constitue une avancée, ne propose aucune formation obligatoire – une certification professionnelle aurait pourtant été bien accueillie –, et c’est toujours « sur le tas » qu’apprennent les enquêteurs sociaux.

Il existe certes un code de déontologie élaboré par l’ANDES précisant les obligations de l’enquêteur envers le magistrat, les enfants, les parents et les tiers (3), mais il n’est pas officiel. Et si quelques JAF demandent bien aux « anciens » d’initier les « nouveaux » pendant quelques heures à titre gracieux, c’est rarement suffisant. Certains enquêteurs ignorent que les parents ont la possibilité de lire le rapport d’enquête, quand d’autres s’aventurent dans des pratiques périlleuses : conduire les enfants en voiture dans une chaîne de restauration rapide pour mieux recueillir leur parole – procédé qui s’est déjà vu – peut, faute d’assurance, avoir des répercussions graves en cas d’accident.

CHOC DE CULTURES

Echaudés par la divulgation d’informations non anonymisées, il arrive également que des médecins refusent de communiquer avec les enquêteurs. Certains conseils généraux ont même passé consigne à leurs assistants sociaux de ne pas leur divulguer de renseignements. Conflit de légitimité, choc des cultures professionnelles, force est de constater que les relations avec les assistants de service social ne sont pas simples. « A nous de leur démontrer que nous sommes là non pas pour les mettre en difficulté, mais, comme eux, pour aider les familles », explique Estelle Ledure. Du reste, une des difficultés de la fonction consiste à savoir utiliser les renseignements obtenus : l’enquêteur avisé peut opter pour une expression vague (« d’après les témoins ») et laisser au juge le soin de déduire qui parle, ou se contenter de citer le « corps médical » (ou le « corps enseignant », etc.). « Il n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire de se servir de ce qu’un informateur nous a dit ; dans certains cas, cela peut simplement nous être utile pour vérifier que nous ne nous trompons pas », explique Estelle Ledure.

Reste que si les enquêteurs sociaux associatifs bénéficient de garde-fous liés à l’approche pluridisciplinaire de la structure qui les emploie (4), leurs collègues indépendants, très isolés, n’ont que peu accès à la formation continue, aux supervisions et à l’analyse des pratiques. Aussi, malgré le référentiel de 2011, les pratiques les plus diverses continuent-elles de coexister. Les uns visitent les écoles, les autres ne consultent que les bulletins scolaires. Certains font largement usage du téléphone, d’autres se déplacent systématiquement. Il y a ceux qui se contentent de retranscrire les entretiens et ceux qui ne jurent que par l’analyse et la synthèse. Ceux qui portent une attention particulière au contexte culturel du contentieux conjugal (dans le cas des couples mixtes ou des couples d’origine étrangère) et ceux qui l’ignorent. Ceux qui ne rechignent pas à enquêter directement sur les parents (par exemple en contactant la police et la gendarmerie pour vérifier s’il y a des infractions répétées liées à l’alcoolisme ou en se renseignant auprès de l’employeur pour mieux appréhender leurs comportements), sur les grands-parents, les amis ou les voisins et ceux qui limitent leur investigation à l’environnement scolaire et médical de l’enfant.

PLUS OU MOINS DE DISTANCE

De même avec les juges aux affaires familiales, qui, s’ils suivent souvent l’avis des enquêteurs, ne sont pas tenus de les informer de leur jugement : beaucoup d’enquêteurs obtiennent officieusement le renseignement, d’autres se gardent bien de le demander. « Si on a accès systématiquement au compte-rendu du juge, on va finir par anticiper ses réactions et incidemment transformer nos propos pour obtenir telle ou telle décision », défend, pour sa part, Maryvonne Deschamps.

L’audition de l’enfant (5), qui peut leur être déléguée, a dessiné une autre ligne de fracture entre enquêteurs, selon qu’ils refusent ou non de la pratiquer. « Demander à un enfant s’il préfère vivre avec son père ou sa mère est extrêmement culpabilisant, d’autant que l’audition, qui a lieu au tribunal, est très impressionnante », souligne Monique Prudet. En plaçant « l’enfant au cœur de la procédure, alors que les juges aux affaires familiales ont longtemps eu à cœur d’éviter qu’il ne soit trop impliqué dans le conflit », l’audition, estime Estelle Ledure, marque une évolution regrettable.

Ce que n’est pas l’enquête sociale en matière civile

Formé à la suite du décret de 2009 réglementant la fonction d’enquêteur social, le groupe de travail sur l’enquête sociale en matière civile a rédigé un rapport remis au ministère de la Justice en janvier 2010 (6). Ce document distingue l’enquête sociale d’autres outils à disposition des juges.

 Elle se différencie de l’enquête sociale demandée par le juge des enfants dans le cadre de la protection de l’enfance (7) (qui vise à « rechercher l’existence ou non d’un danger pour l’enfant », alors que l’enquête ordonnée par le juge aux affaires familiales « porte sur les compétences parentales et les enjeux du conflit pour l’enfant ») et de l’enquête sociale demandée par le juge des tutelles (beaucoup plus rare) dans le cas d’une tutelle pour un mineur.

 L’enquête sociale n’est pas non plus une médiation, qui vise à pacifier les relations familiales en favorisant le dialogue et la recherche d’un accord. Réalisée par un médiateur, titulaire d’un diplôme d’Etat, qui ne remet aucune information au juge autre que le protocole d’accord signé par les parents, elle requiert leur accord, alors que l’enquête sociale est imposée par le magistrat.

 Elle n’est pas plus une expertise médico-psychologique, qui se concentre sur l’étude des personnalités des parents sans prendre en compte l’environnement familial ni se déplacer dans les familles.

 Elle se distingue, enfin, de l’audition de l’enfant, même si cette dernière peut être menée en complément d’une enquête sociale mais de façon distincte.

Ce que dit la loi

L’article 373-2-12 du code civil stipule : « Avant toute décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite ou confiant les enfants à un tiers, le juge peut donner mission à toute personne qualifiée d’effectuer une enquête sociale. Celle-ci a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants. »

Le décret du 12 mars 2009 (8) donne un statut à l’enquêteur social et le définit : il doit être âgé de moins de 70 ans, « exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité, notamment dans le domaine social ou psychologique, en relation avec l’objet des enquêtes sociales » et n’exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à sa mission.

Le décret du 13 janvier 2011 (9) établit un référentiel d’actes qui doivent être effectués lors de chaque enquête sociale. L’enquêteur social doit, tout d’abord, réaliser deux entretiens avec chaque parent – dont l’un se déroule à leur domicile – pour obtenir des informations (composition de la famille, parcours individuel des parents, logement, éléments financiers, prise en charge des enfants), confronter leur position et observer l’évolution de la situation. Il doit également rencontrer chaque enfant seul, puis en présence de chaque parent. Enfin, il doit établir des contacts avec le milieu de l’enfant (école, services sociaux de secteur, protection maternelle et infantile, crèches, etc.) par téléphone, par courrier ou éventuellement par questionnaire.

Le rapport d’enquête sociale doit contenir un compte-rendu des entretiens avec les parents et les enfants, une synthèse et une analyse approfondie de la situation et des propositions.

Notes

(1) www.andes-enquete-sociale.com.

(2) Depuis 2011, l’enquête sociale menée dans le cadre de la protection de l’enfance a été remplacée par la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE).

(3) En ligne sur www.andes-enquete-sociale.com/ association-nationale-des-enqueteurs-sociaux/ code-deontologie-andes.html.

(4) Souvent des associations départementales pour la sauvegarde de l’enfance qui réalisent aussi des enquêtes dans le cadre de la protection de l’enfance.

(5) Créée par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, l’audition de l’enfant est obligatoire dans toute procédure qui concerne l’enfant lorsque lui ou ses parents en font la demande, sauf si le juge estime que l’enfant n’est pas capable de discernement ou qu’elle n’est pas nécessaire à la solution du litige ou contraire à son intérêt.

(6) En ligne sur www.unasea.org/ files/news/861.pdf.

(7) Qui a été remplacée, depuis, par la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE).

(8) Voir ASH n° 2601 du 20-03-09, p. 6.

(9) Voir ASH n° 2693 du 21-01-11, p. 18.

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