Le décret du 12 mars 2009 (1) a mis fin au flou de la fonction. Jusque-là recruté sans conditions par le juge aux affaires familiales (JAF), parfois non déclaré, l’enquêteur est désormais inscrit sur une liste officielle et assermenté pour cinq ans (renouvelables). Il doit également se conformer à certaines dispositions pour pouvoir exercer, notamment avoir une expérience « dans le domaine social ou psychologique ».
Cette clarification, largement saluée par l’ANDES (Association nationale des enquêteurs sociaux), a toutefois été contrebalancée par la régression tarifaire : devenue forfaitaire, la rémunération des enquêteurs sociaux, auparavant négociée au cas par cas, a vu en 2009 son montant fixé à 500 €, une somme très inférieure aux prix pratiqués jusque-là – une amputation de près d’un tiers, selon les associations sociojudiciaires. Déplorant « une logique strictement gestionnaire », trois fédérations nationales (2) avaient aussitôt demandé l’« abrogation » du texte et l’« ouverture immédiate d’une négociation avec le ministère de la Justice pour définir, en toute clarté et transparence, les partenariats, les objectifs et le coût réel de l’enquête sociale en matière civile ». Parallèlement, l’ANDES et d’autres associations nationales déposaient un recours devant le Conseil d’Etat en vue d’annuler le décret – finalement rejeté.
Face au tollé, le ministère de la Justice confiait alors une mission d’étude sur le contenu et le coût d’une enquête sociale à l’inspection générale des services judiciaires, qui déboucha sur la création d’un groupe de travail avec des représentants de la chancellerie, un JAF et les associations représentatives.
En 2011, de nouveaux textes (3), reprenant le référentiel élaboré par le groupe de travail, ont donc homogénéisé les contenus de l’enquête sociale, dont aucun règlement ne donnait jusque-là une définition précise, en imposant des exigences fortes mais consensuelles. Las, cette avancée s’est accompagnée d’un nouveau revers financier : certes, le montant de l’enquête sociale passe de 500 à 600 € pour les enquêteurs libéraux et à 700 € pour les associations. Mais, outre que cela reste insuffisant, l’indemnité de déplacement est plafonnée à 50 € – alors qu’elle était remboursée aux frais réels. « En province, il faut souvent faire plus de cent kilomètres pour se rendre au domicile des parents », déplore Monique Prudet, enquêtrice sociale au tribunal de grande instance de Créteil. « Si l’enquêteur se rend dans une autre région, notre association perd de l’argent ! », s’irrite Nadine Delcoustal, directrice du Prism (Pôle de réparation pénale d’investigation, de soutien éducatif et de médiation) de l’ADSEA 86.
En attendant l’issue d’un second recours auprès du Conseil d’Etat déposé par l’ANDES en mars 2011, la plupart des associations sociojudiciaires ont renoncé à effectuer des enquêtes sociales, ce qui a entraîné le licenciement de nombreux enquêteurs – souvent des éducateurs, des assistants sociaux ou des psychologues travaillant également pour le juge des enfants –, dont certains poursuivent aujourd’hui leur activité en libéral. Les rares associations qui continuent à en faire avaient souvent développé une forte expertise en la matière en étroite collaboration avec les JAF. Mais, pour en diminuer le coût, elles se concentrent sur les enquêtes qui se situent dans une zone géographique proche, focalisent leur investigation sur un seul parent ou en allègent le contenu (avec une seule visite à domicile par exemple). « Cela revient à faire des enquêtes au rabais, qui risquent d’être partisanes et, au final, de conduire à des conflits avec les usagers », regrette Nadine Delcoustal. « Nous sommes dans une impasse budgétaire : plus on fait d’enquêtes, plus on creuse notre déficit », s’alarme Claude Besnard, directeur de Safirem-Sauvegarde Mayenne-Sarthe.
Du côté des enquêteurs indépendants, la situation n’est guère plus satisfaisante : « Si on suit le nouveau référentiel à la lettre, on est payé en dessous du SMIC », se désole Monique Prudet. Dans ces conditions, à l’instar des associations, de plus en plus d’enquêteurs exerçant en libéral écourtent leurs investigations ou refusent celles qui leur semblent trop lourdes (notamment lorsqu’un des parents réside dans une autre région).
Conséquence : les juges aux affaires familiales notifient globalement moins d’enquêtes sociales. « Nous sommes amenés plus que par le passé à sélectionner les affaires pour lesquelles nous en ordonnons une », observe Jacqueline Lesbros, vice-présidente chargée du service des affaires familiales au tribunal de grande instance de Créteil. A la place, les juridictions trouvent des arrangements en remplaçant, au cas par cas, l’enquête sociale par une mesure judiciaire d’investigation éducative (plus coûteuse), par une médiation familiale (plus légère et moins chère), voire par une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert.
Parallèlement, pour rémunérer décemment leurs enquêteurs, les cours d’appel effectuent d’étranges contorsions administratives – comme compter double une enquête pour multiplier par deux les honoraires, ou faire appel pour une même investigation à deux enquêteurs, l’un pour la mère et l’autre pour le père (ce qui ne permet plus d’avoir une vision globale de la situation). L’ANDES a, en juin, fait part de ses préoccupations, notamment sur l’indemnité de déplacement de 50 €, à Christiane Taubira, ministre de la Justice. Sans réponse à ce jour.
(2) La FN3S, la CNAPE (à l’époque Unasea) et l’Uniopss – Voir ASH n° 2602 du 27-03-09, p. 24.
(3) Décret et arrêté du 13 janvier 2011 – Voir ASH n° 2693 du 21-01-11, p. 18.