En plein été, l’ANAS (Association nationale des assistants de service social) a de nouveau mis le doigt sur un sujet sensible : la mise à mal des principes du travail social face à des injonctions « paradoxales » visant les populations immigrées.
Le 22 août, l’association a publiquement réclamé la suppression d’une note du conseil général de la Loire diffusée le 10 juillet aux territoires d’action sociale. Celle-ci précisait qu’« en collaboration étroite avec les services de l’Etat qui agissent dans le cadre du démantèlement d’éventuelles filières d’immigration et de trafic d’enfants », il apparaissait nécessaire de « procéder à des ajustements sur le dispositif des allocations mensuelles versées par le conseil général » aux familles, au titre des prestations d’aide sociale à l’enfance. Elle demandait, de manière provisoire en attendant ces modifications, la suspension de l’instruction des demandes d’aide financière de type « aide vitale » aux familles sans ressources, tout en laissant aux professionnels la possibilité d’apprécier chaque situation.
Face à la levée de boucliers de l’ANAS, qui a dénoncé la confusion des missions, le caractère « illégal » et « discriminatoire » de ces directives au regard de l’article L. 222-2 du code de l’action sociale et des familles – analyse confirmée par l’avis produit à sa demande par l’avocat Pierre Verdier –, le conseil général a précisé ses intentions. « A la fin du printemps dernier, il a été constaté une évolution très forte des sollicitations (+ 25 %) notamment de la part de groupes relativement organisés, revendicatifs, voire agressifs, et les travailleurs sociaux ont exprimé, à de nombreuses reprises, leurs difficultés d’exercice de leurs misions devant ces pressions. » L’objectif est de veiller « à la bonne destination des aides » financières et d’éviter que « le dispositif de la Loire incite à certains trafics ». Le conseil général précise que des réflexions sont en cours pour modifier les modalités d’attribution, « comme le font de nombreux départements ». Il s’agit notamment d’étudier « d’autres formes de soutien garantissant au mieux le bien-être des enfants », comme les chèques d’accompagnement personnalisé.
Si le conseil général de la Loire justifie vouloir s’assurer de la bonne utilisation des aides, d’autres veulent simplement limiter leur soutien aux migrants, pour des raisons politiques ou budgétaires. Le phénomène est tel que l’Ancasd (Association nationale des cadres de l’action sociale départementale) a décidé, à la demande de ses adhérents, de se pencher sur la question lors de sa réunion plénière du 28 septembre. Thème de travail : « Place et rôle du travail social et posture de l’encadrement sur la question des publics relevant de l’Etat », dont font partie les déboutés du droit d’asile, les migrants européens et les mineurs isolés étrangers. « Faire porter aux travailleurs sociaux la question de la régulation des migrations – qui est a minima européenne, voire internationale – n’est pas possible, d’une part parce que le code de l’action sociale et des familles ne le permet pas, d’autre part parce que les professionnels respectent des principes éthiques et déontologiques, commente Cristelle Martin, présidente de l’Ancasd. Le problème se pose avec acuité aux cadres, qui doivent garantir ces principes et interpeller les institutions sur leur posture politique. » Leur position, nuance-t-elle cependant, ne peut pas faire abstraction des contextes politique et institutionnel. « Nos compétences croisées avec l’Etat nous obligent à nous parler, argumente-t-elle. Nous devons aborder l’action sociale au sens de sa dimension politique, qui nécessite des coordinations dans la prise en charge des publics. Ce qui ne signifie pas faire ce que l’Etat nous dicte, mais clarifier le rôle de chacun. Pour cela, nous devons déjouer les fantasmes et rendre légitime et transparente l’attribution d’une aide au titre de la compétence du département. Pour les personnes en situation irrégulière comme pour les autres, le travail social doit répondre de façon pragmatique à une situation de vulnérabilité. Pour les personnes en difficulté n’ayant pas vocation à rester sur le territoire, cela peut induire un changement de pratiques, notamment au regard des objectifs d’insertion. » Pour Cristelle Martin, cette réflexion sur la lisibilité des aides peut même être pour le département « l’occasion de se réapproprier l’action sociale » en affirmant ses choix.
Le travail social étant forcément lié à l’appréciation des besoins, la seule question possible « n’est pas de savoir s’il faut aider, mais comment », abonde Yvan Ferrier, président de l’Andass (Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des conseils généraux). Oui à la réflexion sur les pratiques, « mais en faisant jouer le droit au lieu de le suspendre ou de le contourner », estime également Laurent Puech, vice-président de l’ANAS. Et à condition de ne pas modifier les cadres par une lecture discriminante, fondée sur la culpabilité présumée des familles. Il appartient déjà aux travailleurs sociaux, insiste-t-il, d’évaluer chaque situation à partir d’éléments objectifs. Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur l’évolution des interventions. « Accompagner les populations rom, notamment, fait partie des missions de l’action sociale, il ne faut pas s’en défausser, ajoute-t-il. S’il faut accepter d’être dans un niveau d’accueil “à bas seuil”, mener des interventions en protection de l’enfance est possible, en particulier en lien avec les services de PMI [protection maternelle et infantile]. Sans compter que certaines mères sont en demande d’interlocuteur face à des difficultés rencontrées au sein de leur communauté. Nos institutions ont le devoir de s’adapter à ces populations pour répondre aux objectifs de prévention et de protection. »
Le sujet est d’autant plus d’actualité que le gouvernement a promis de renforcer l’accompagnement des Roms, jusqu’ici occulté, en concertation avec les associations et les élus. Quid enfin des « pressions » exercées à l’encontre des travailleurs sociaux par des groupes organisés, évoquées par le conseil général de la Loire ? Il ne s’agit pas de les nier, répond Laurent Puech. « Tous les systèmes de survie génèrent des économies de survie. Mais si réseaux mafieux ou menaces il y a, il faut s’en remettre à d’autres dispositifs législatifs que ceux de l’action sociale. »