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Un cadre pour l’autonomie

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Ouverte en avril 2011, la plate-forme d’accueil pour adultes autistes de la Pointe du Lac, à Créteil, offre une diversité de structures pour une prise en charge au plus près des besoins des personnes. L’équation est subtile : offrir un environnement ferme et rassurant tout en accompagnant les usagers, à leur rythme.

Au foyer d’accueil médicalisé (FAM) de la Pointe du Lac (1), à Créteil, pas de grand réfectoire bruyant, mais à chaque étage une petite salle très lumineuse d’une vingtaine de places. A chaque table, un éducateur accompagne le repas. Une jeune femme prend sa cuillère, la tourne, la repose, marmonne quelques mots, reprend sa cuillère, la tourne encore. L’éducateur l’incite à manger, elle se décide enfin à ouvrir son yaourt, mais chaque cuillère s’accompagne de ce petit rituel. Allongé dans un canapé dans la salle de repos, un résident est entouré par plusieurs professionnels de la structure. Une psychologue et un aide-soignant se penchent vers lui et lui demandent pourquoi il ne mange pas. Si la présence au repas n’est pas obligatoire, en revanche, il est important de rappeler au jeune homme qu’il n’est pas tout seul et doit tenir compte des autres.

Publics divers, accueils multiples

Ouvert en avril 2011, le FAM de la Pointe du Lac réunit un internat d’une vingtaine de places et un externat de capacité équivalente. Il fait partie d’une vaste plate-forme d’accueil pour adultes autistes, âgés de 20 à 50ans, qui intègre également un service d’accueil médico-social pour adultes handicapés (Samsah) et une unité de six studios. Un centre de formation sur l’autisme lui est associé. L’établissement a été créé par l’Association parentale d’organisation et de gestion d’établissement pour personnes handicapées mentales du Val-de-Marne (Apogei 94), en remplacement d’une structure trop petite et vétuste située auparavant à Valenton. Il est financé par l’agence régionale de santé (ARS) et le conseil général du Val-de-Marne. Pour l’internat, sur un prix de journée de 315,34 €, seuls 16,86 € restent à la charge des familles.

L’originalité de cet établissement réside tout à la fois dans la multiplicité des structures (internat, externat, Samsah, studios) et dans la diversité des publics accueillis : autistes de haut niveau, parmi lesquels certains sont atteints du syndrome d’Asperger, personnes souffrant de troubles envahissants du développement (TED), autistes de bas niveau, parmi lesquels des autistes de Kanner (voir encadré ci-contre). Si les TED ou autistes de bas niveau sont frappés de retard intellectuel, les autistes de haut niveau disposent, eux, d’un coefficient intellectuel normal, voire supérieur à la moyenne. L’internat de l’établissement est donc organisé par étages en fonction du profil autistique des personnes : au premier étage résident des autistes de haut niveau, tandis qu’au deuxième habitent des personnes atteintes de TED et au troisième des personnes souffrant à la fois de TED et d’autisme de Kanner. Si les profils autistiques des internes sont assez homogènes à chaque étage, les ateliers socio-éducatifs organisés en journée sont, en revanche, plus mélangés. Ils rassemblent à la fois des internes et des externes, mais aussi autistes et TED de haut et bas niveau.

L’établissement doit, au quotidien, résoudre une équation complexe : maintenir une certaine souplesse et s’adapter au rythme et au degré d’autonomie de chacun, tout en assurant un cadre ferme qui rassure. « Les autistes ont besoin d’activités qui remplissent le temps, sinon ils angoissent », souligne Marie-Christine Salvia, directrice de l’établissement. Les levers des internes et la prise du petit déjeuner sont échelonnés jusqu’à 8 h 30. Le matin est aussi le temps de la toilette et de l’habillement. L’accompagnement varie beaucoup selon le degré d’autonomie. « Au premier étage, comme les résidents sont plus autonomes, les éducateurs spécialisés, aides-soignants ou aides médico-psychologiques n’entrent pas dans les salles de bains. Au deuxième ou au troisième étage, certains, parmi les plus en difficulté, ont besoin d’être physiquement aidés », explique Frédéric Gourdon, chef de service de l’internat. Toutefois, même pour les résidents les plus autonomes, une intervention éducative est parfois nécessaire. Du fait de leur pathologie, ces adultes peuvent se comporter comme des adolescents dans leur rapport au corps. Les éducateurs, attentifs au temps passé par chacun dans la salle de bains, peuvent ainsi individuellement faire des remarques sur la propreté. Les rappels peuvent aussi prendre une forme plus collective. « Au premier étage, uniquement masculin, un éducateur homme est intervenu en groupe pour rappeler l’importance de la toilette intime », poursuit-il. Le choix et la propreté des vêtements doivent aussi être accompagnés.

C’est ensuite le temps des ateliers. A chaque étage, un panneau détaille le programme de la matinée. A chaque atelier sont associées les photographies de l’éducateur qui l’anime et des participants. Cela aide les résidents à se rassurer. « Il est important que figurent les photos des participants car il peut exister des tensions entre certains. Anticiper celles-ci permet de réduire le stress. » Les éducateurs conduisent ensuite les résidents à leur atelier. « A terme, nous souhaitons que le maximum d’entre eux parviennent à y aller seuls. » A 9 h 30, les externes se rassemblent, de leur côté, dans la salle polyvalente devant un panneau général des activités. Une nouveauté car, dans cette toute jeune structure, les pratiques évoluent. Pendant près de un an, internes et externes regardaient ensemble le programme, avant que des panneaux soient installés dans les étages de l’internat. « Rassembler 40personnes dans la même salle générait un stress inutile », indique Frédéric Gourdon. Pour des autistes particulièrement sensibles au stress des autres, les petits groupes sont toujours beaucoup plus faciles à gérer.

Les apprentissages sociaux

Internes et externes choisissent pour l’année les ateliers auxquels ils participent, même s’il est possible de revenir sur ces choix. Le but des ateliers n’est pas seulement occupationnel. Aux côtés d’activités sportives (piscine, vélo…) ou culturelles (théâtre, sculpture, dessin…) figurent des ateliers d’apprentissage dont l’objectif est notamment d’exercer des habiletés sociales. « Une simple promenade autour du lac voisin permet de travailler plusieurs dimensions, comme traverser une route, attendre à un feu rouge. Cela permet aussi d’agir sur le lien aux autres, et notamment à un groupe, comme tenir compte du rythme des autres, ne pas partir trop vite tout seul et s’assurer que personne n’est à la traîne », détaille Clara Robelin, chef de service externat. Si les participants s’inscrivent aux ateliers sur la base du volontariat, l’équipe éducative peut toutefois, dans le cadre du projet individualisé, les inciter à choisir une activité.

Les apprentissages sociaux émaillent aussi la vie quotidienne, en particulier le temps du repas. A tour de rôle, certains doivent mettre la table, la débarrasser, l’essuyer et participer à la vaisselle. Le déjeuner est suivi d’un temps de loisirs. A chaque étage, deux groupes sont animés par un éducateur. Echanges autour d’un café, télévision regardée en groupe, contes… L’organisation de ces temps est moins rigoureuse que celle des ateliers, mais ils gardent cependant une visée d’apprentissage social. « Ces temps un peu plus libres restent difficiles, c’est souvent lors de ces moments plus informels que les crises se produisent », note Marie-Christine Salvia. C’est aussi sur ces temps que la psychomotricienne anime des séances par petits groupes dont l’objectif est de travailler l’imagination et surtout le lien à l’autre, entre autres par le biais de jeux coopératifs. Pendant ce temps, un troisième éducateur déambule dans l’étage à la rencontre d’internes et d’externes plus isolés. Pour favoriser la surveillance des étages et éviter une différence de traitement entre les deux catégories d’usagers du FAM, les internes ne peuvent retourner dans leur chambre dans la journée.

Une ouverture sur l’extérieur

Comme le matin, les ateliers de l’après-midi réunissent des personnes de niveaux très hétérogènes. Des autistes de Kanner peuvent partager une activité avec des autistes présentant le syndrome d’Asperger, à condition de s’adapter aux besoins et aux envies de chacun. « A la piscine, certains vont seulement éprouver le plaisir d’être dans l’eau, tandis que d’autres viennent faire des longueurs », précise Frédéric Baringthon, éducateur sportif. Le FAM de la Pointe du Lac a fait le choix de s’ouvrir largement sur l’extérieur. Ainsi, l’activité théâtre est assurée par l’animateur d’une MJC de Créteil dans ses propres locaux. Et les participants sont allés ensemble au festival d’Avignon. Mais, là aussi, la participation est très contrastée. Si certains sont capables de dire des textes, d’autres assurent juste une présence sur scène. De même, les usagers du FAM se rendent parfois au club de pétanque dans lequel la directrice est licenciée. « Les boulistes connaissent maintenant les autistes du FAM et ne sont plus surpris de leurs réactions. Quant aux usagers, ils s’y sentent en confiance. » Cette ouverture sur l’extérieur, très balisée, ne se limite pas à la seule pratique d’activités culturelles ou sportives, et va jusqu’à la participation à la vie citoyenne. Un travail de sensibilisation à l’inscription sur les listes électorales a été organisé, avant qu’une visite de l’Assemblée nationale ne rassemble internes et externes du FAM et usagers du Samsah. « La mairie a accepté d’ouvrir pour nous un bureau de vote avant les élections afin que nos usagers puissent se familiariser avec », se félicite Marie-Christine Salvia.

A la fin des ateliers, internes et externes se séparent et les départs de ces derniers s’échelonnent de 16 heures à 17 heures. Certaines familles viennent les chercher, tandis que d’autres repartent en taxi. Le moment est parfois difficile. Pour certains, le retour en famille est compliqué. Une jeune femme se cramponne ainsi à sa chaise, et il faut toute la persuasion d’un éducateur pour qu’elle accepte de monter dans le taxi qui doit la conduire chez elle. « Elle vit dans une famille nombreuse où il y a souvent du bruit. Comme beaucoup d’autistes, elle est particulièrement sensible au bruit, c’est pour elle très difficile à supporter », commente Frédéric Baringthon.

Détente et accompagnement de la vie quotidienne sont les maîtres mots de la soirée des internes. Si quelques-uns éprouvent le besoin de se retrouver seuls dans leur chambre, d’autres participent en petits groupes à des activités organisées par l’équipe éducative de l’internat (dessin, ateliers d’écriture…). Certains sont accompagnés par un éducateur pour faire leurs courses, tandis que d’autres, plus autonomes, effectuent seuls leurs achats. Des résidents pratiquent en soirée une activité à l’extérieur. S’ils sont accompagnés au début, l’objectif est qu’ils parviennent à devenir autonomes. « Au bout de quelques séances, une activité, même extérieure, fait partie de la routine. Elle n’est alors plus génératrice de stress », précise Frédéric Gourdon. Après le dîner, une partie des résidents regardent la télévision, les autres regagnent leur chambre. A 21heures l’équipe éducative de l’internat quitte les lieux et est remplacée à chaque étage par un veilleur de nuit. Aide-soignant de profession, celui-ci sait comment agir si un résident se réveille angoissé. Il peut signaler toute tension ou événement inhabituel via le carnet de liaison.

La préparation aux imprévus

Afin d’aider les usagers à gagner en autonomie, la plate-forme d’accueil de la Pointe du Lac cherche à décloisonner les différentes structures qui la composent. Ainsi, dans les réunions de synthèse destinées à élaborer le projet individualisé de chaque interne figurent des représentants de l’internat comme de l’externat. Ces moments sont des temps forts d’échange. Les observations que chacun réalise au quotidien sont mises en lien et éclairées par l’évaluation d’une des deux psychologues de la structure. Si la première a une démarche plus psychanalytique, la seconde, Lina Bahi, est cognitiviste comportementaliste et auteure d’une thèse sur le diagnostic précoce du syndrome d’Asperger. « Elaborée sur la base d’une grille d’évaluation précise, l’observation se déroule en deux séances de trois heures, explique-t-elle. Cela laisse le temps d’observer longuement la personne, notamment en situation de stress. » La précision du diagnostic contribue à affiner les projets individualisés qui sont soumis à l’usager interne ou externe.

L’accompagnement vers l’autonomie passe aussi par une acceptation des imprévus – très perturbants, on l’a vu, pour les personnes souffrant de troubles autistiques. « La vie est ponctuée d’imprévus, on ne peut pas tous les éviter », souligne la psychologue. Avec son aide, les usagers s’entraînent afin d’éviter l’angoisse que génèrent les changements. L’absence d’un éducateur ou le manque de terre pour la poterie pourraient, par exemple, générer une crise. « Lors de discussions, on parle du fait qu’il peut y avoir des changements, détaille Lina Bahi. Le jour de l’absence de l’éducateur, on repart de cet échange et aussi du vécu de la personne. On lui explique : “C’est comme toi, l’autre jour tu étais malade.” »

Afin de faciliter ce parcours vers l’autonomie, il est possible d’utiliser toute la gamme de la structure. Ainsi, après avoir bénéficié pendant trois mois de l’une des quatre places d’accueil temporaire du FAM (deux pour l’internat et deux pour l’externat), Gilles Tonitru, 22 ans, a pu s’installer dans l’un des six studios de la plate-forme. « Ils ont vu que j’étais apte à vivre seul », pointe le jeune homme, qui commence une formation et devrait suivre un stage dans le domaine informatique. Si les studios sont autonomes, leurs résidents ne restent cependant pas livrés à eux-mêmes. Ils doivent être occupés au moins à 50 % de leur temps (emploi, stage ou formation). Dans le cadre d’un contrat de séjour qui peut durer de dix-huit mois à deux ans, ils sont accompagnés au quotidien.

Lors d’une réunion hebdomadaire organisée par les deux éducateurs du service des studios, le planning est établi avec les résidents. Une fois par semaine également, ces derniers ont un entretien individuel afin qu’ils avancent dans l’élaboration de leur projet. Ce suivi peut prendre des tournures très concrètes. « Nous avons dû, par exemple, enseigner à l’un des résidents comment passer un balai en lui montrant comment le tenir », raconte Frédéric Legarrec, éducateur spécialisé du service des studios. En l’absence d’automatismes, les actions du quotidien font l’objet d’un apprentissage progressif. « Au début, les résidents recevaient des plateaux tout prêts qu’ils n’avaient qu’à réchauffer, poursuit-il. Nous leur avons montré comment fonctionnent le micro-ondes et les plaques électriques. Ils ont reçu des fiches explicatives, car tout peut être source d’angoisse. L’eau qui bout elle-même peut être inquiétante. » En décomposant les actions, elles deviennent moins anxiogènes. Peu à peu, les résidents apprivoisent les gestes de la vie quotidienne et l’environnement extérieur, afin de pouvoir un jour, peut-être, vivre dans un logement autonome.

AUTISMES

• L’autisme dit de Kanner se manifeste avant l’âge de 3 ans. Il se caractérise par des troubles de la relation et de la communication, des comportements répétitifs et stéréotypés, la peur du changement et des difficultés cognitives.

• Le syndrome d’Asperger n’implique pas de déficit intellectuel. Les personnes affectées ont parfois une intelligence très vive, mais ont du mal à avoir une vie sociale épanouie et sont rigides dans le quotidien. Elles ont souvent des difficultés de coordination.

FOCUS
Samsah, une structure plus légère

Etablissement indépendant du FAM, le Samsah de la Pointe du Lac est l’un des rares établissements de ce type en France spécialisés dans la prise en charge d’adultes autistes. Au maximum quatorze heures par semaine, il accueille 23 adultes autistes ou atteints de TED, de haut et bas niveaux. La structure offre un accompagnement éducatif et paramédical. Quatre aides-soignants y travaillent, le dispositif étant complété par une psychologue, des psychomotriciennes et une assistante sociale. La grande majorité des personnes suivies par le Samsah vivent dans leur famille. Parmi les autistes de haut niveau, quelques-uns habitent dans des logements autonomes. S’ils peuvent mener une activité professionnelle, ils ont cependant besoin d’un suivi dans la vie quotidienne ou les démarches administratives. D’autres personnes accompagnées souffrent d’un retard mental profond tout en vivant au domicile familial. Face au manque de structures de prise en charge pour adultes autistes, le Samsah leur offre la possibilité de sortir de ce contexte pour des activités dans un cadre rassurant.

Notes

(1) FAM de la Pointe du Lac : 67, avenue Magellan – 94000 Créteil – Tél. 01 41 94 80 50 – famdelapointedulac@apogei94.net.

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