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Une théorie de la pratique, quadrature du cercle de l’éducation spécialisée ?

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Située au carrefour de différentes disciplines, l’éducation spécialisée peut-elle dégager son propre champ de connaissances ? Une étude conduite par une éducatrice atteste d’une difficulté du secteur à se situer entre pratique et théorie.

La nécessité de formaliser les pratiques éducatives n’a probablement jamais été aussi vive qu’aujourd’hui. Sur fond de transformation de la commande sociale adressée aux institutions du secteur, la réforme du diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé (DEES), en 2007, a déplacé le curseur de la formation du côté des savoir-faire, là où dominait auparavant l’enseignement de la théorie. Afin de comprendre où en était l’éducation spécialisée, Gyslaine Jouvet, éducatrice, doctorante au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), a conduit une étude auprès de 23 éducateurs et 20 formateurs dans la France entière (1). Objectif ? Connaître leur rapport à la théorie et comprendre comment celle-ci s’articule ou non à leurs pratiques.

A un premier niveau, la chercheuse s’est demandée quelles étaient les connaissances mobilisées par les éducateurs dans leur action. Réponse : un nombre considérable. Psychologie, psychanalyse, sociologie, systémie, économie, droit, pour ne citer que les principales. « La diversité des réponses obtenues montre que les références sur lesquelles se fonde un éducateur constituent une sorte de puzzle fabriqué à partir de savoirs reconnus », commente-t-elle. Faute de disposer d’un champ de connaissances spécifique à l’éducation spécialisée, les relations que les éducateurs entretiennent avec ces différentes disciplines sont très complexes. Il leur est très difficile de les considérer avec neutralité et distance. « S’interroger dans le champ social sur la nature des savoirs sans vouloir les hiérarchiser renvoie immédiatement à des questions de pouvoir entre les différentes disciplines », explique Gyslaine Jouvet, en faisant état d’une « attitude de soumission » des éducateurs par rapport aux savoirs psys. « De par la domination imposée par les psychologues, le savoir psychologique et psychanalytique permet d’éclairer, après coup, certains aspects du passé familial et donne l’impression de maîtriser ce qui échappe à l’éducateur dans sa relation à l’autre, de tenter d’unifier une pratique morcelée faite de rôles contradictoires et d’images changeantes. »

De même, si la majorité des répondants reconnaissent les références théoriques comme « utiles pour analyser la pratique », ils restent en revanche « peu précis quant à la façon dont ils les utilisent ». Beaucoup d’entre eux ressentent d’ailleurs « un écart important entre approche théorique et pratique quotidienne ». Près de 40 % des répondants vont jusqu’à déclarer « se méfier » des théories, ou indiquent tirer leurs connaissances de l’expérience de terrain. Pour Gyslaine Jouvet, ce constat serait à l’origine d’un mouvement sans fin. D’un côté, la prise de distance des éducateurs vis-à-vis de la théorie contribuerait à l’installation d’« un flou important autour des pratiques ». De l’autre, l’existence de ce flou « empêcherait la mise en place de référents théoriques issus de la pratique », condition indispensable à la consolidation de l’identité professionnelle des praticiens. Au final, « l’éducateur donnerait la primauté à l’expérience comme source du savoir […] faute de n’avoir pu construire un vrai savoir ».

Signe que le problème auquel fait face l’éducation spécialisée est profond : si 70 % des formateurs interrogés militent pour la construction de ce « vrai savoir d’éducateur », en appelant pour cela à une écriture de la pratique, « premier pas vers une possible théorisation de l’action éducative », seulement un quart des éducateurs partage cette volonté. Quant aux autres, soit ils répondent que ce savoir existe déjà et que la question serait plutôt celle de son évolution, soit ils estiment qu’il n’y aurait pas de vrai savoir d’éducateur possible puisque l’éducation se réfère à plusieurs champs théoriques, soit encore ils jugent que la spécificité de l’éducateur résiderait tout simplement dans le savoir-faire acquis et dans ses valeurs.

Pour autant, « les éducateurs spécialisés ne semblent pas non plus complètement opposés à l’éventualité de construire des référents théoriques », nuance Gyslaine Jouvet. Simplement, leur priorité semble, pour l’heure, « de donner un sens à leurs fonctions professionnelles avant de vouloir fabriquer leurs propres outils ». Un biais pourrait alors être trouvé par la mise en place d’instances d’échange « en dehors des réunions consacrées aux usagers ». Fonctionnant sur le mode de la recherche action, ces groupes permettraient d’engager une réflexion autour des situations et de capitaliser sur les résultats, suggère Gyslaine Jouvet.

UNE RELATION DÉLICATE AVEC LA THÉORIE

 L’idée que se font les éducateurs de la théorie est très contrastée : 40 % pensent que la théorie gouverne la pratique, 30 % qu’elle permet seulement d’analyser une pratique. A l’inverse, 20 % estiment que la pratique contredit ce qu’ils ont appris dans leurs études.

 Dans la pratique, plus du tiers reconnaît ne s’appuyer sur aucune référence théorique. Ils sont néanmoins 40 % à privilégier l’approche systémique pour analyser les situations, en y ajoutant parfois des références psychanalytiques.

 La moitié seulement des éducateurs reconnaissent un savoir spécifique rattaché à leur métier, et plus de 20 % regrettent qu’il soit peu valorisé et transmis.

Notes

(1) Résultats présentés à la Biennale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles, le 3 juillet dernier, au CNAM. Cette étude a été réalisée dans le cadre de la préparation d’un essai de Gyslaine Jouvet : Quand pratique et théorie se mêlent ou l’appropriation de référents théoriques chez les éducateurs spécialisés – Editions universitaires européennes, 2012.

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